Quartiers populaires

Mohamed Amami : « Briser le repli identitaire et l’exclusion »




Implantée au cœur du quartier du Valdegour, une des cités les plus défavorisées et excentrées de l’agglomération nîmoise, l’association ­Emancip’Actions forme à l’informatique et à Internet... et promeut la lutte sociale en alternative au repli religieux et au clientélisme politicien. Entretien avec Mohamed Amami, un de ses animateurs.

Révolutionnaire tunisien, Mohamed Amami est réfugié politique en France depuis 2006. Auteur d’un livre sur la révolution tunisienne [1], il est également membre d’Alternative libertaire dans le Gard.

Alternative libertaire : Mohamed, peux-tu nous présenter l’association Emancip’Actions ?

Mohamed Amami : C’est une association qui a été fondée en 2012. À l’origine, nous étions cinq à la mettre en place. Le hasard nous a fait nous installer ici, dans le quartier Valdegour, à la Zup Nord de Nîmes, plutôt que dans un autre quartier. En effet, les services qui gèrent le parc des HLM, « Habitat du Gard », nous y a loué un rez-de-chaussé avec un loyer modéré, dédié aux associations.

L’association entend promouvoir l’autonomie et l’émancipation individuelle et collective, par son implication contre les exclusions et les discriminations sociales, culturelles et raciales, d’abord à travers l’appropriation des outils informatiques et d’Internet. Tous les services y sont gratuits. Nous disposons d’une salle Internet, procédons à la réparation du matériel et assurons des formations multimédias ainsi que de maintenance de matériel informatique.

Mais notre action va bien au-delà des seules questions informatiques. L’intitulé de la fête que nous avons organisée le samedi 3 octobre, pour les trois ans de l’asso, « Journée multiculturelle, solidaire et antiraciste », le montre bien. Au programme : témoignages de réfugiés libyens, caucasiens et syriens installés à Nîmes, expos de livres et de photos, lectures de poésies et de nouvelles, ainsi que la projection de La Source des femmes, un film sorti en 2011 sur le statut des femmes dans le monde arabe. Et le soir différents groupes de hip-hop se sont succédé sur scène.

Régulièrement, nous proposons des rencontres culturelles afin de briser le repli identitaire et l’exclusion. Nous faisons en sorte de promouvoir l’autogestion des personnes.

La cité du Valdegour
4.500 habitantes et habitants, contre 7.000 il y a dix ans.


Quels liens entretenez-vous avec les autres acteurs et actrices du quartier ?

Mohamed Amami : Ces deux dernières années, notre association s’est imposée et a tissé des liens de coopération avec le reste des associations et des habitants et habitantes du quartier. Ce fut le cas notamment, au printemps dernier, quand les assos et la population ont mené une lutte exemplaire pour le maintien du bureau de poste.

Plus généralement, nous nous inscrivons dans toute initiative – que ce soit des rencontres et des manifestations culturelles publiques – qui s’insère dans notre vision globale de l’éducation populaire pour contrer le communautarisme et lutter contre l’influence des religieux réactionnaires parmi les jeunes des quartiers.

Peux tu revenir sur la réalité du quartier ?

Mohamed Amami : Valdegour est un des quartiers les plus défavorisés et excentrés de l’agglomération nîmoise. Il comptait 7.000 habitants il y a dix ans, contre 4.500 aujourd’hui.

À l’origine, au milieu des années 1960, elle avait été construite à la hâte pour accueillir les pieds-noirs qui débarquaient en masse et qu’il fallait loger. Depuis, la cité s’est ghettoïsée et regroupe dans son extrême majorité des Marocains, des Gitans, des Comoriens et des Tchétchènes. Leur horizon : plusieurs tours, des rez-de-chaussée murés, une dalle désertée, une pelouse pelée. Mais une magnifique vue à 360 degrés sur la région nîmoise, là-bas, en contrebas.

La cité du Valdegour - Nord

Valdegour est une ville dans la ville du fait de cet isolement, renforcé par sa situation géographique au sommet d’une colline. Et le fait qu’à partir de 20 heures aucun bus ne circule vers le centre-ville renforce cette impression d’insularité.

Les chiffres sont éloquents quant à ses caractéristiques sociales : des revenus moyens de 500 euros, 54% de chômage pour les 18-25 ans, 44% pour les plus de 25 ans. Le quotidien des gens qui vivent ici est compliqué : salon de thé ou salon de coiffure, auto-école, supérette et laboratoire d’analyses ont baissé leurs rideaux. Pour faire les grosses courses, il faut prendre le bus vers la Zup Sud ou aller au marché dont les femmes reviennent chargées de lourds sacs de légumes. Il ne reste plus que deux médecins, dont l’un sera bientôt à la retraite. Trois sont partis en deux ans, aucun remplaçant à l’horizon.

Une autre caractéristique du quartier, c’est la désertion des services publics. Il n’ y a pas si longtemps, par exemple, deux assistantes sociales y intervenaient. Elles sont parties depuis. Idem pour le centre médico-social. Le peu de services publics qui restent menacent aussi de quitter les lieux. Apparemment la stratégie de la mairie consiste à vider Valdegour, petit à petit, de sa population et à récupérer les terrains à des fins de spéculation immobilière. Notre implication au sein des luttes pour maintenir et renforcer les services publics tels que la Poste s’oppose à cette stratégie et contribue à instaurer des liens militants et de solidarité avec les habitantes et habitants et les autres associations. Des associations qui, hélas, pour la plupart, se contentent de la charité et gèrent la misère.

Le mot de la fin…

Mohamed Amami : La plupart des organisations révolutionnaires continuent à voir le travail associatif avec réticence. En délaissant ce terrain, notre absence pousse les habitants des quartiers et des banlieues vers les griffes des intégrismes de tous bords, et vers l’État ou les partis électoralistes qui y pratiquent une politique clientéliste.

Le peu de solidarité, de notre part, envers les quartiers, se mène de l’extérieur comme si on soutenait la cause d’un autre peuple à l’autre bout du monde. Les habitantes et les habitants des quartiers, d’origines différentes, sont souvent conçus comme des étrangers à notre monde, à nos repères !

J’y vois là une des causes essentielles qui entravent notre ancrage dans ces quartiers. La réalité des quartiers n’est pas celle de nos habitudes et « normes » militantes : à savoir un milieu essentiellement blanc qui a pour cadre professionnel l’industrie ou les services publics et des emplois stables. Que fait-on, dès lors, de ce pan entier de la population, qui vit dans les quartiers et dont le quotidien est fait de chômage, de misère, d’exclusion sociale et de précarité ?

Propos recueillis
par Jérémie Berthuin (AL Gard)



[1Mohamed Amami, Tunisie, la révolution face à la mondialisation des fondamentalismes contemporains, Éditions franco-berbères, 2015, 160 pages, 12 euros.

 
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