Autoroutes : Vinci goudronne (et il n’est pas le seul)




Malgré la saturation du territoire français en la matière, huit nouveaux projets autoroutiers sont en construction, principalement motivés par le développement économique qu’ils vont créer. Mais cet argument est démenti par les faits.

Quels que soient leurs objectifs locaux et leurs formes, les projets dont il est question reposent sur un argument qui n’est en fait qu’une croyance : qui dit grands travaux et « mobilité » dit croissance, création d’emplois, dynamisme économique.

Cette foi aveugle, et la détermination des élu.es à goudronner tout ce qui se présente, se maintiennent au mépris des connaissances scientifiques montrant que ces résultats tant attendus ne sont pas forcément au rendez-vous.

Et non seulement l’argument est fallacieux, mais il masque les impacts négatifs de ces projets sur certains territoires, qui vont subir les travaux sans être desservis par l’autoroute.

Tracé du GCO

Une partie de ces projets territoriaux sont dans les tuyaux depuis quarante ans, telle l’autoroute A355 appelée « GCO » (grand contournement ouest) à Strasbourg, ou l’A680 entre Toulouse et Castres. Les deux chantiers, issus des Trente Glorieuses où l’État pensait la réforme en termes d’investissement, sont devenus des investissements assumés par Vinci en échange d’une concession (durable) sur le territoire.

Développement territorial et autres fausses prophéties

Si la conscience écologiste actuelle amène à contester ces projets pour défendre le cadre de vie, la propriété terrienne, ou pointer la pollution, et si les riverains et riveraines de ces projets (élu.es, habitantes et habitants) s’affrontent en fonction de leurs intérêts, il semble qu’un front de lutte organisé ait du mal à se développer. Alors que ces projets sont d’ordre structurel, relevant de l’idéologie de l’aménagement du territoire, on ne dépasse pas le stade de luttes ponctuelles et isolées. Il y a là un vide politique et syndical.

Pourtant, en regardant de près les deux cas de l’A355 et de l’A680, on peut dégager plusieurs axes de lutte communs. En premier lieu, il faut faire un sort à l’argument des créations d’emplois. Les économistes et les géographes ont compris depuis les années 1970 que les infrastructures de transport ne créent pas d’emplois mais contribuent plutôt à leur relocalisation aux points d’entrée (cf. les travaux de F. Plassard ou encore l’article de J.-M. Offner [1]), et qu’il en va de même pour les logements. Or à Castres, on prophétise que l’A680 engendrera une revitalisation du bassin d’emploi Castres-Mazamet. Même son de cloche du côté de Strasbourg, où on promet 2000 emplois et 450 logements nouveaux (déjà, cherchez l’erreur) grâce à la reconversion de l’ex-raffinerie de pétrole de Reichstett en « écoparc » et en zone industrielle, desservis par l’échangeur de Reichstett...mais d’ici 2030 [2].

Tout cela est bien évasif. Par ailleurs, un emploi dans une zone industrielle de chargement veut juste dire une qualification de cariste et un Smic. On est loin de la requalification des 900 emplois perdus lors de la fermeture de la raffinerie en 2011 ! Pas de requalification mais de la « relocalisation », et les élu.es font passer ça pour du progrès. Pour finir, les 450 logements seront bâtis sur 30 hectares de terres aujourd’hui agricoles.

Mais ces contre-arguments sont totalement absents des luttes, probablement parce que le chantage à l’emploi calme les esprits, et aussi parce que les habitants et habitantes de ce futur territoire dévasté ne sont pas encore là.

Au-delà de la question de l’emploi, le soi-disant développement économique promis repose toujours, depuis les années 1970, sur un modèle de création destructrice. À Castres, à l’époque des premières négociations autour de l’A680, les élu.es et décideurs s’étaient affronté.es sur la pertinence de cet axe routier vers Toulouse, du fait de liens économiques plus forts avec les ports méditerranéens qui favorisaient d’autres axes. Aujourd’hui la donne a changé, les industries de peaux, cuirs et textiles ont fermé leurs portes et l’agglomération Castres-Mazamet se tourne plus vers la métropole toulousaine, d’où le retour au projet d’A680. Mais que les lubies autoroutières soient nouvelles ou anciennes, elles empêchent toujours d’envisager la réduction des réseaux pour favoriser le développement local, mot pourtant cher aux décideurs.

Vernis écologiste

Voilà pourquoi on taxe ces projets d’ « inutiles », car du point de vue de la qualité de vie, la seule certitude que peut donner le renforcement des réseaux routiers, c’est qu’on trouvera du travail… plus loin ; qu’on sera obligé de posséder une bagnole pour ça. Et qu’on aura détruit des espaces naturels et agricoles supplémentaires pour la construction de zones d’activités et de pavillons à proximité des échangeurs (lire sur les Cafés géographiques de Toulouse, Qu’est-ce qu’une autoroute ?, Michel Cohou [3]). Création destructrice, donc, malgré le vernis écologiste contemporain qui vante des chantiers « responsables » grâce à la dépollution des sites et à la gestion des déchets engendrés. Tout ceci est connu, il s’agit donc d’accepter que ces projets sont néfastes bien plus qu’inutiles.

La question du prix des autoroutes est aussi un gros morceau. Comment faire accepter qu’un Toulouse-Castres-Toulouse coûtera désormais 15 euros, pour garantir une rente à Vinci, concessionnaire du nouvel axe ? Y interdire le transit aux poids lourds ne fait qu’augmenter leur temps de trajet, et donc le prix de vente final des produits (mais ça on ne le dit pas).

Comme cela ne suffit pas, les arguments de l’écologie capitaliste peuvent entrer dans la bataille. À Strasbourg, l’autoroute actuelle pourrait redevenir une nationale, avec feux rouges, etc. La mairie fait valoir le bien-être dans la ville, la réduction du trafic... En fait, le conducteur friqué rejoindra le GCO payant, tandis que le prolo ira sur sa nouvelle nationale pleine de camions, avec moins de véhicules certes, mais toujours à l’arrêt. Il semble en effet complètement illusoire de voir une quatre voix désertée, tout autant que la pollution se dissiper.

Les premiers opposants de poids à tous ces projets sont les maires, ce sont aussi les premiers informés comme les 18 maires contre l’A680, la suite viendra ou non. Ce sont aussi eux qui peuvent faire entrave, comme le maire de Reichstett qui soutient le GCO et musele un magnifique nœud de contestation. En Alsace plusieurs foyers d’en-zad-ification se font jour contre l’autoroute, un journal est créé, Béton et biftons. Mais les foyers de luttes, éloignés, ne parviennent pas à globaliser concrètement leur contestation.

Paul et Reinette Noyée (AL Tarn et Aveyron)

[2Voir sur Alsace.alternativelibertaire.org, « La friche de Reichstett, comme on nous parle ».

[3Voir le site Cafe-geo.net.

 
☰ Accès rapide
Retour en haut