Education : Au-delà de l’école républicaine ? L’éducation intégrale




Alors que la droite et une partie des médias ne jurent plus que par l’école de Jules Ferry et en appellent au rétablissement de méthodes autoritaires d’enseignement, il est bon de (re)découvrir Paul Robin et de reparler d’éducation intégrale comme alternative émancipatrice.

En 1880, Paul Robin, est nommé à la tête de l’orphelinat Prévost à Cempuis, dans l’Oise. Sorti de l’école normale supérieure, expulsé de l’Internationale après avoir pris le parti de Bakounine, Paul Robin obtient ce poste de direction grâce à son ami Ferdinand Buisson qui vient d’être nommé directeur de l’instruction primaire pour y préparer les réformes de Jules Ferry.

L’orphelinat Prévost est la première mise en pratique des concepts libertaires d’éducation [1], jusqu’ici exposés dans des livres. Mais lorsqu’il prend en main cet orphelinat laïque, sous l’autorité du département de la Seine, Robin s’éloigne du mouvement libertaire et mène sa révolution éducative dans l’indifférence à peu près générale. Ce n’est qu’en 1894, lorsqu’il est renvoyé pour avoir permis un usage mixte de la piscine, que le mouvement libertaire s’empare de son expérience pour la défendre et la diffuser [2].

Le concept d’éducation intégrale de Paul Robin [3] correspond à un projet de régénération de l’humanité, bien au-delà de la non-directivité de l’enseignement. Il s’agit pour lui de former des individus libres, pleinement responsables de leurs actes, sains de corps et d’esprit [4].

Les élèves de l’orphelinat avaient donc en plus des cours « normaux » (donnés avec des livres différents, non conformistes) une multitude d’activités éducatives. Les activités physiques nombreuses et non compétitives ont permis de maintenir ces enfants, issus de familles pauvres, dans un état de santé largement supérieur à la moyenne. Tous participaient à la vie de l’orphelinat, par des tâches techniques (cuisine, jardinage, couture…) à tour de rôle et quel que soit leur sexe. D’ailleurs, l’orphelinat non seulement était mixte (chose rarissime en France à cette époque), mais il pratiquait aussi la coéducation des sexes. Les cours étaient communs et identiques pour garçons et filles.

Par la participation de chacun à la vie de l’établissement, les élèves, mais aussi les enseignant(e)s, devenaient responsables de leurs actes, étaient intéressé(e)s au bon fonctionnement de toute la communauté et développaient le sens de la vie en société, de la solidarité.

A l’orphelinat Prévost, tous ont fait des passages dans les multiples ateliers (agriculture, cordonnerie, menuiserie, ajustage, ferblanterie, imprimerie, reliure, maçonnerie, couture, repassage…), qui permettaient de choisir librement un métier. Cela a d’ailleurs permis à garçons et filles d’avoir des connaissances en menuiserie ou couture, choses utiles dans la vie de tous les jours.

Sans opposer les métiers manuels aux métiers intellectuels, les enfants pouvaient choisir leur orientation au lieu de suivre une voie imposée selon le niveau scolaire.

Aujourd’hui… une éducation au rabais ?

Aujourd’hui encore, l’expérience de Paul Robin peut paraître novatrice sous bien des aspects. Bien sûr, le XXe siècle a fait le deuil des ambitions universalistes et totales du XIXe siècle. Parler aujourd’hui d’éducation intégrale peutparaître très prétentieux. Peut-être faudrait-il plutôt parler de former des hommes et des femmes polyvalent(e)s.

Une société libertaire ne peut fonctionner comme une république de spécialistes, où la vie politique repose sur des énarques et autres « personnes compétentes », choisis comme des cadres d’entreprises. Une véritable démocratie nécessite des citoyen(ne)s, capables de comprendre, et surtout d’apprendre dans divers domaines, qui ne s’en remettent pas à « eux qui savent mieux que nous ».

Il serait temps que l’école cesse de séparer les jeunes en voies générales et professionnelles en fonction de quelques résultats scolaires. Tout le monde a besoin de connaissances en électricité et couture, autant qu’en français et mathématiques. Les métiers manuels sont éminemment respectables et ne doivent plus être des voies de secours pour enfants en difficultés.

L’éducation doit aussi comprendre l’apprentissage de la vie en commun, de la solidarité. Pour cela, c’est la vie, le fonctionnement, de nos écoles qu’il faut revoir. Cela passe par la participation active à la vie de l’établissement, par l’apprentissage des responsabilités.

Plusieurs écoles continuent actuellement à assumer les héritages de Paul Robin et d’autres pédagogues progressistes, comme le Lycée autogéré de Paris, par exemple, qui fonctionne depuis vingt-deux ans.

Renaud (AL Strasbourg)

[11. A part l’école russe de Yasnaïa Poliana, dirigée par Léon Tolstoï, partiellement llibertaire, et chrétienne (voir Dominique Maroger, les idées pédagogiques de Tolstoï, Lausanne, 1974).

[22. Sébastien Faure et Franscico Ferrer ont ouvert des écoles inspirées de Paul Robin, respectivement à Rambouillet et Barcelone (voir Roland Lewin, Sébastien Faure et « La ruche » ou l’éducation libertaire, Vauchrétien, Ed. Iwan Davy, 1989 et Francisco Ferre, Vauchrétien, 1984).

[33. Christiane Demeulenaere-Douyère, Paul Robin (1837-1912), un militant de la liberté et du bonheur, Paris 1994.
Nathalie Bremand, Cempuis, une expérience d’éducation libertaire à l’époque de Jules Ferry, Paris, Ed. du Monde libertaire, 1992.

[44. Paul Robin a aussi introduit en France la propagande néomalthusanienne anglaise qui prônait le droit à l’avortement, à la contraception et une éducation sexuelle pour le contrôle des naissances.

 
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