Douarnenez 2004 : Caméra au poing




La 27e édition du festival des minorités de Douarnenez (Finistère) qui s’est tenu fin août était dédiée cette année « aux Belgiques ». La programmation était éclectique et permettait de découvrir des films très peu diffusés en France.

La sélection effectuée par les animateurs/trices du festival a permis aux participant(e)s de visionner des films drôles, tragiques, étranges et très marqués par la pensée humaniste et libertaire, le surréalisme ainsi qu’un un certain ouvriérisme.

La singularité de certains films nous a fait découvrir une richesse culturelle et une sensibilité propre à la culture de ce pays divisé linguistiquement, économiquement, entre pays minier wallon plutôt socialiste et pays flamand plutôt de droite catholique.

Toutefois, les cinéastes présent(e)s lors du festival, qu’ils/elles soient d’origine wallonne ou flamande, étaient plus intéressé(e)s par les problématiques sociales et politiques que par le recours au nationalisme pour critiquer leur système royaliste, leur église catholique et le passé colonialiste de l’État belge...

Voici un petit aperçu de films belges qui seront bientôt disponibles à la location pour les Bretons en adhérant à l’association « Gouel ar filmou » [1], ou pour les Parisiens en allant faire un tour au centre culturel Wallonie/ Bruxelles situé à côté du centre Beaubourg.

Films d’Henri Storck

Images d’Ostende (1930), Une idylle à la plage (1931), Sur les bords de la caméra (1932), Misère au Borinage (1933)

Pour ceux/celles qui aiment le vieux cinéma noir et blanc, les films d’Henri Storck, bien qu’un peu vieillis, entraînent le spectateur dans un univers poétique et teinté de surréalisme comme Images d’Ostende (succession de tableaux sur la mer, le sable, le vent...) et une idylle à la plage (histoire d’amour avec un petit clin d’œil à l’antimilitarisme), ou dans la brutalité de la misère ouvrière des corons comme dans Misère au borinage, violent reportage engagé sur la classe ouvrière avec en chute un appel à la« dictature du prolétariat » (on est en 1933, donc on peut comprendre...).

À noter que le film Misère au borinage a trouvé un autre cinéaste pour, en 99, revenir sur le même thème avec les Enfants du Borinage, Lettre à Henri Storck de Patric Jean qui, soixante ans, après dans son documentaire témoigne de la continuité de l’exploitation et de la misère au pays des corons.

Films de Paul Meyer

Klinkaart , la briqueterie (1956), Déjà s’envole la fleur maigre (1960)

Dans Klinkaart, on découvre le sort réservé aux jeunes filles qui commencent le travail dans la briqueterie et qui doivent passer par le bureau du patron... Film noir qui se termine par l’intervention d’une des femmes plus âgées qui crie sa colère !

Dans Déjà s’envole la fleur maigre, une famille sicilienne émigre en Belgique dans le pays minier. Ce film a été censuré par le commanditaire : l’État belge !

Films de Robbe de Hert

Mort d’un homme sandwich (1972), Caméra Sutra (1973), La Guerre de Gaston (1996)

Dans Mort d’un homme sandwich, Robbe de Hert passe à la moulinette le milieu du cyclisme professionnel (à l’époque le cyclisme professionnel est dominé par la Belgique) et celui du monde politique et des affaires...

Caméra Sutra décrit la dérive de jeunes contestataires vers le terrorisme, ce qui donne lieu à un démontage total des institutions belges de la royauté, à la religion en passant par les tensions nationalistes et le patronat. Le film débute et se termine par des gros plans sur des enfants qui rentrent à l’école en hurlant contre ce qui les attend ! Terrible et hilarant...

Quant à La Guerre de Gaston, ce film raconte l’histoire (véridique) d’un réseau de résistance hollandais, mis en place par un Belge (Gaston) durant la Deuxième Guerre mondiale 39/45. Ce réseau a été sacrifié par les services d’espionnage anglais. Il était utilisé par les Anglais pour faire croire aux Allemands que le débarquement allié se déroulerait dans le Nord et afin de détourner l’attention sur celui qui se préparait en Normandie. Ce film a particulièrement déplu aux autorités anglaises ! On est là très loin des habituels films de guerre qui encensent la couronne britannique...

Films de Claudio Pazienza

Panamarenko, portrait en son absence (1997), Tableau avec chute (1997), Esprit de bière (1999), L’Argent raconté aux enfants (2002)

Claudio Pazienza, présent lors du festival, entraîne à chaque film le spectateur dans des univers différents avec humour, réflexion, interrogation sur le monde, critique du système.

Franchement, ce cinéma-là est difficile à décrire mais cela vaut le coup de voir les films...

Dans Esprit de bière, film commandé par une institution politique belge, on part d’une description de l’univers de la bière avec au début du film un père qui emmène son jeune fils boire sa première bière. Ils sont « tirés à quatre épingles » et cela ressemble vraiment à un passage rituel... Suit une description de la fabrication de la bière (très sérieuse) jusqu’à sa consommation (humour garanti) pour finir avec une discussion entre un fils devenu adulte (le réalisateur) et son père (le vrai père de l’auteur), tous les deux étant plongés jusqu’à la taille dans l’eau !

C’est surréaliste, efficace, étrange, parfois hilarant.

Je m’arrête là, mais je ne finirai pas cette description sans vous donner aussi quelques titres de films qui décrivent à eux seuls la richesse de ce cinéma : La Raison du plus fort (Patric Jean), Quand j’étais belge (Luc de Heusch), Marchienne de vie (Richard Olivier), La Vie sexuelle des Belges (Jan Buquoy)...
Je ne terminerai pas cet article sans parler du dernier film documentaire de notre camarade Christophe Cordier, Frères de classe (voir article suivant), qui évoque l’histoire de deux « ennemis », un CRS et un manifestant de l’usine du Joint français de Saint-Brieuc en 1972. Une photo témoigne de cette « rencontre » lors de la grande grève (victorieuse) du Joint français et Christophe nous emmène sur le chemin de la mémoire et de la lutte de classe qui parfois sépare des hommes que tout pourtant devrait réunir...

Mais le festival de Douarnenez, c’est aussi une ambiance, des débats, des spectacles, une librairie, un village des associations, des militant(e)s bénévoles et des rencontres... Le tout dans une petite ville sympa au bord de la mer, loin des paillettes et des festivals branchés !

Rendez-vous l’année prochaine... Le prochain festival sera (sous réserve) consacré aux « chicanos » du Mexique... [2]

Marc Every

[11. Tél : 02 98 92 09 21, BP 206, 20, rue du Port-Rhu, 29172 Douarnenez Cedex. Adhésion : 20 euros.

[22. Plus de renseignements sur : http://www.kerys.com/festival/

 
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