Culture

Lire : Léonard, « L’ivresse des communards »




Un vigneron qui écrit sur l’ivresse des communard, difficile de passer à côté  ! Juste après la Commune, les partisans de l’ordre assimilèrent la révolution à l’alcoolisme, dans le but de salir cette expérience sociale et de ternir l’image des « classes dangereuses ». Mathieu Léonard a parcouru l’abondante « littérature de complaisance » éditée après 1871, et dénonce dans ce livre la stigmatisation considérable de la classe ouvrière. Il observe une grande « opération de pathologisation du moment révolutionnaire » qui accompagne la reconquête des mentalités par la religion. « Un choix s’opère à dépeindre les excès supposés plutôt que les conditions d’existence et les aspirations d’une classe dont on entrave l’émancipation » ; et voilà que nait l’image du fédéré soiffard.

Dénoncer l’alcoolisme des Communards permettait de ne pas interroger les causes de la Commune, d’expliquer la victoire des troupes de Thiers sur une bande d’ivrognes et d’attribuer à une population désoeuvrée les destructions de Paris. Dans l’imaginaire de Thiers et des Versaillais, il fallait promouvoir les images de la prostituée, de la brute avinée, pour détruire la construction de solidarités sociales.

La prégnance idéologique fut telle que nous retrouvons ce rejet de l’alcoolisme dans les écrits des anarchistes de la fin du siècle. Albert Libertad se fit le chantre d’une propagande antialcoolique et antitabagique. Malato dénonça les cabarets. Le capitalisme paternaliste bâtira son idéologie autour de cette prétention à éradiquer la misère, en transformant le milieu social par l’assainissement des êtres.

Jamais il ne remit en question les conditions miséreuses qui avaient conduit à nombre de révoltes ouvrières. S’appuyant sur des discours scientifiques, la société bourgeoise transforme le prolétariat en une créature sociale malsaine, pathologique, trimballant toutes les tares, pouvant aller jusqu’à la folie : voir L’Assommoir de Zola. Un regard novateur sur la période post-communarde qui mérite le détour... entre deux verres  !

Dominique Sureau (UCL Angers)

  • Mathieu Léonard, L’Ivresse des Communards. Prophylaxie antialcoolique et discours de classe (1871-1914), Lux, 2022, 288 pages, 18 euros
 
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