Syndicalisme

L’unification syndicale, pour quoi faire ?




Que ce soit au sein de la CGT, de la FSU, de Solidaires, on parlait déjà beaucoup d’unification syndicale ces derniers temps. La séquence électorale qui vient de s’écouler en a accentué les enjeux. Alors l’unification, d’accord, mais pour quoi faire ? Et comment ?

La question de l’unification syndicale n’est pas tout à fait vieille comme le mouvement ouvrier, mais pas loin. La séquence électorale présidentielle en a bien naturellement accentué les enjeux, particulièrement avec le risque (réel) de l’arrivée de Le Pen au pouvoir. Avant de dessiner à grands traits les possibles scénarios, il faut présenter les termes du débat.

Il est bien sûr marqué historiquement par deux désunions successives : en 1921 entre réformistes conservant le sigle CGT, et révolutionnaires de la CGTU (« U » pour unitaire) ; en 1947 entre une CGT sous influence communiste et une CGT-Force ouvrière (FO), hétéroclite à son origine, mariant tendances révolutionnaires et réformistes atlantistes. Elle est aussi marquée par une réunification mythique (et mythifiée), celle de 1936, inséparable de la grève générale, de l’occupation des usines et des avancées du Front populaire [1].

Mais aujourd’hui il n’y a pas de dés­union de quelques années seulement à réparer, pas de ré-unification à faire, et l’unification syndicale, telle qu’elle est projetée dans la tête des militantes et militants, ou comme elle est discutée dans les structures syndicales, concerne pour l’essentiel le trio CGT, FSU et SUD-Solidaires. L’unité d’action de ces trois organisations se manifeste par un axe intersyndical et interprofessionnel, qui peut associer FO, réel et établi depuis quelques années maintenant.

Un article récent du site Rapports de force [2] en pointait l’actualité au travers des débats des récents congrès syndicaux : c’est le congrès de la FSU chantant L’Internationale après avoir ­décidé de mettre sur pieds des « comités de liaisons » dans les départements ; le congrès de ­l’Union syndicales Solidaires envisageant la « possibilité de la recomposition intersyndicale à la base, dans les territoires et les secteurs » ; le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez invitant à « aller plus loin » dans ­l’unité.

Et pourquoi pas ?

Certaines diront : « Pourquoi pas après tout ? » Mais il faut rappeler qu’aujourd’hui les organisations existantes n’ont pas véritablement de passé organisationnel commun. La FSU, en partie héritière de la défunte Fédération de l’Éducation nationale (FEN, quasi syndicat unique dans l’éducation à une époque) ayant refusé la scission de 1947… ne l’est précisément qu’en partie, et ce depuis soixante-quinze ans. Une vie.

Les syndicats qui se sont fondus dans Solidaires ayant à peu près la même origine – le Syndicat national des journalistes (SNJ) ou l’ex-Syndicat national unifié des impôts (SNUI) aujourd’hui Soli­daires Finances publiques – ont connu une bifurcation organisationnelle et une sorte d’acclimatation à des stratégies plus radicales au contact des syndicats SUD [3].

Il ne faut pas oublier non plus qu’un syndicat est un organisme vivant, bâti par des femmes et des hommes donnant leur temps, leur énergie, pour faire vivre des orientations, des pratiques militantes, une forme de culture aussi, qui peuvent justifier l’existence d’organisations différentes.

C’est ce qu’avaient compris celles et ceux qui ont fondé les syndicats SUD : exclues ou démissionnaires de la CFDT à l’orée et au début des années 1990, il ne leur était pas possible de rallier une CGT à mille lieux alors du projet socialiste autogestionnaire qui les animait. L’outil qui avait été construit au travers de la gauche CFDT pouvait, devait, se transformer pour se maintenir.

Le pari a été réussi, quand bien même il avait pu être taxé d’entreprise de division de la classe ouvrière (y compris par des militantes révolutionnaires… qui auront fini par reconnaître leur erreur). Les travailleuses et travailleurs n’ont d’ailleurs pas rechigné alors à le valider en apportant leurs voix et leurs adhésions aux syndicats SUD.

Toujours des divergences

On ne peut pas non plus écarter que ces pratiques, ces stratégies, ces orientations différentes ont eu des conséquences encore bien concrètes ces toutes dernières années : il y a toujours eu un syndicalisme acquis à l’auto-organisation des luttes qui doit s’affronter à un autre, peinant à dépasser les modèles hiérarchiques et autoritaires. C’est ce qui a expliqué l’éclosion de syndicats SUD-Solidaires dans des entreprises. Au sein de la FSU c’est ce qui incitait le syndicat des territoriaux, le Snuter, parce que sans doute plus en « concurrence » avec des structures CGT que dans le secteur de l’éducation, a être visiblement plus mesuré sur les perspectives ­d’unification.

On peut encore penser aux difficultés que nos camarades de SUD, à la SNCF ou à la Poste pour ne prendre que ces seuls exemples, ont rencontré sur le long terme face à des appareils CGT pétris de velléités hégé­moniques. Dans de nombreux départements, les « cadres intermédiaires » de la CGT (on passera l’expression) restent encore attachées au PCF ou à son histoire, formées à l’ancienne école comme on dit ; concevant, en toutes circonstances, l’unité syndicale en rang serré derrière leur organisation, le petit doigt sur la couture du pantalon.

Un syndicat est un organisme vivant, bâti par des femmes et des hommes donnant leur temps, leur énergie, pour faire vivre des orientations, des pratiques, une forme de culture aussi. Autant de choses qui peuvent justifier l’existance d’organisations différentes, et faire obstacle à une unification.
Photo : Daniel Maunoury

Malgré tout ça on ne peut pas écarter non plus d’un revers de main le débat existant et, surtout, le fait que de nombreuses et nombreux salariées, syndiquées ou pas d’ailleurs, ne voient pas toujours l’utilité qu’il y ait différents syndicats. Qui n’a pas connu de collègues de travail se fichant même de l’affiliation de son ou de sa déléguée du personnel ? C’est une ou un « syndicaliste » et ça suffit bien comme ça, pas forcément besoin d’en savoir plus.

Quatre scénarios quand même

Alors que nous venons, de peu, d’éviter le pire et la prise du pouvoir par les fascistes, présentons – à la manière dont on ferait de la science-fiction – quelques scénarios d’unifications et leurs éventuelles conséquences.

1. L’unification d’urgence

Dans la période que nous traversons, entre bas­culement dans une démocratie autori­taire et fascisation accélérée, la volonté de construire une « organisation-barrage » peut engager une unification malgré les divergences. Au risque de l’urgence, une telle construction peut se justifier, mais elle se ferait sur des bases imposées de l’extérieur. Est-ce la meil­leure garantie d’une solidarité militante et d’une confiance dans l’outil commun ?

Le sens de la responsabilité des militantes peut y engager, mais on pourrait préférer une sorte de « comité de défense intersyndical » assurant un travail commun permanent des exécutifs syndicaux à tous niveaux sans faire disparaître les structures existantes.

2. L’absorption dans la « grande CGT »

Simple, basique. Il suffirait de rallier purement et simplement la CGT telle qu’elle est. De s’y fondre et de s’y plier. Le scénario, s’il a toujours été la seule hypothèse des plus orthodoxes de la centrale de Montreuil, est à éviter tant il écraserait les cultures syndicales construites au fil des années et sur le terrain des luttes. Il serait la garantie que des structures syndicales refusent l’unification et pré­fèrent rester autonomes. Bref, un repoussoir.

3. L’unification d’état-majors

Un accord au sommet, des textes de congrès mal appropriés par les équipes, un enrobage sur le calendrier, et nous voilà avec une unification d’état-majors. Là aussi l’échec est assuré. Tout simplement parce que le sentiment d’être dupé agiterait nombre de militantes et de militants, quelles que soient leurs organisations d’ailleurs. Aussi, et même si ça n’est pas très glorieux, ­parce que les postes, les titres, les disponibilités syndicales seraient rebattues, et sans doute par en haut. La promesse de sécessions, d’emblée ou à venir, en serait la conséquence inévitable.

Un ­scénario toutefois improbable tant les organisations syndicales conservent une vie démocratique interne et que les « directions » (un terme qui recouvre mal les différentes manières d’assumer des responsabilités) y sont attentives, voire en sont tributaires.

4. L’unification offensive

Des campagnes unitaires, une activité intersyndicale qui ne soit pas « de papier » avec, au bout, un mouvement social d’ampleur et, qui sait ?, une ­grève généralisée couplée à une explosion sociale comme celle des gilets jaunes. Ce serait une manière de retisser des collectifs militants dans l’action et dans la lutte. De partager des pratiques, d’unifier des stratégies.

Certes tout ne serait pas balayé d’un coup. Le neuf naît du vieux. Mais un espace serait créé pour une unification qui rimerait avec la création d’un outil syndical forgé par l’expérience vécue, dans lequel il y aurait des débats, sans doute des crispations (les patriotismes d’organisation ont souvent la vie dure). Mais où la défense de l’auto-organisation, l’ouverture à l’ensemble des mouvements sociaux et la perspective révolutionnaire seraient l’enjeu d’un syndicalisme plus fort. Il n’y a sans doute pas meilleur scénario.

Théo Rival (UCL Austerlitz), avril 2022

[1Gérard Coste, « 1921-1936 : de la scission à la réunification », Les Utopiques n°5, juin 2017

[2Stéphane Ortega, « L’unification du syndicalisme de lutte trotte dans la tête de certains responsables syndicaux », Rapports de force, 3 février 2022.

[3« Où en est l’Union syndicale Solidaires  ? », Alternative libertaire, février 2022.

 
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