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Fédération anarchiste de Santiago (Chili) : « La nouvelle Constitution, c’est un peu comme une lampe magique »




Depuis le mois de mars et l’élection de Gabriel Boric à la présidence de la République, le Chili est dirigé par une coalition de gauche portée au pouvoir par la mobilisation d’une grande partie des mouvements sociaux. Nos camarades de la Fédération anarchiste de Santiago (FAS) analysent ce nouveau cycle politique.

Alternative libertaire : Comment analysez-vous le contexte politique et social après l’élection de Boric ?

FAS  : La révolte sociale d’octobre 2019, a créé un nouveau cycle politique, cinquante ans après la mise en place du néolibéralisme par la dictature militaire. Le oui au référendum pour une nouvelle constitution avec la formation d’une assemblée constituante et l’élection de Boric s’inscrivent dans le processus institutionnel qui vise à sortir de cette crise politique et où s’impose la volonté de construire un État social et de droits.

La victoire de Boric, avec le plus grand nombre de voix jamais enregistré par un candidat, est lié à ces attentes, cette nécessité urgente de changement et répond aux bouleversements culturels qui se sont approfondies depuis la révolte de 2019, réussissant à imposer dans le programme du gouvernement des revendications du féminisme, de l’écologie et de la garantie des droits sociaux universels. Cependant, nous savons en tant qu’anarchistes, que tout changement dirigé d’en haut ne vise qu’à renforcer le système de domination.

Au cours des dernières mois, nous avons déjà vu les premiers signes de continuité avec les précédents gouvernements, les réunions avec la plus grande association d’entreprises et la formation de la coalition gouvernementale avec l’ancienne Concertación (dirigée par le Parti socialiste) qui a géré le système politique au cours des trente dernières années et [ainsi que la répression par la police d’une manifestation étudiante le 8 avril dernier, NDLR] indiquent que nous ne sommes pas en présence d’un gouvernement révolutionnaire, loin de là.

Nous pensons que le contexte social et politique sera marqué par une lutte constante entre les forces du changement et les conservateurs, sur de la crise économique et sociale laissée post-pandémie.

Le nouveau ministre des Finances (socialiste) a déjà proposé une période d’austérité budgétaire, ce qui a été salué par les milieux d’affaires et la droite, qui feront tout leur possible pour empêcher toute atteinte au modèle néo-libéral. Il sera crucial de savoir comment le gouvernement se comportera face à ces pressions des milieux financiers.

Il y a également pour nous un risque que la centralité de l’organisation et de la lutte comme moyen d’avancer et d’obtenir des acquis pour une vie digne se perdent, en raison de l’implication de la grande majorité du mouvement populaire dans la campagne de Boric.

Il serait terrible que le peuple attende tout du gouvernement et cesse de faire confiance à la lutte. C’est pourquoi, nous pensons que l’urgence est de rappeler que la domination, l’état d’urgence permanent et la protection de la propriété privée ne vont pas disparaître et en même temps, d’affirmer la nécessité de la mobilisation et de la rue pour que le mouvement populaire se développe et génère des espaces de pouvoir populaire.

Il faut saisir l’importance de cette séquence pour les déborder par nos revendications et approfondir encore les pratiques d’autogestion communautaire, rappeler que nous sortons d’une révolte et que c’est plus que jamais le moment de militer, d’organiser et de débattre.

Que reste-t-il du soulèvement populaire historique de 2019 ? Vous avez agi dans les assemblées de quartier , ces espaces d’organisation existent-ils encore  ?

FAS : Si nous réfléchissons à ce que la révolte a laissé derrière elle, l’image des manifestations massives et violentes ne doit pas nous rester seule en tête. Précisément, peut-être à cause des effets de la pandémie ou à cause de la canalisation institutionnelle du processus qui a abouti à l’assemblée constituante et à l’élection de Boric, la rue a cessé d’être centrale pour le mouvement populaire.

Le cycle politique actuel se caractérise par le fait que les questions sociales, le féminisme, l’écologie, la critique des institutions traditionnelles et de la corruption sont maintenant profondément ancrées.

Malheureusement, celles et ceux d’entre nous qui construisent des projets politiques à partir d’en bas et dans l’autonomie des institutions étatiques/patriarcales sont loin de canaliser ce désir de transformation.

Quant aux assemblées de quartiers qui ont surgi dans le feu de la révolte, la majorité d’entre elles ont eu tendance à disparaître ou à se transformer en collectifs. Quelques-unes ont réussi à se maintenir et se sont regroupées en différents organes de coordination, dont certaines qui se sont unies pour soutenir la candidature de Boric et d’autres qui ont maintenu leur autonomie.

C’est une question complexe, mais que pensez-vous du processus constituant ?

FAS : Sur cette question, nous voulons être clairs, la nécessité d’une nouvelle Constitution est une revendication qui a eu un grand écho au sein de certains secteurs du mouvement populaire. Cependant, cette possible nouvelle Constitution est présentée comme une lampe magique qui, une fois frottée, mettra fin à toutes les injustices et à tous les abus dont nous souffrons  : une telle vision n’est rien d’autre qu’une illusion.

Nous analysons le «  processus constituant  » plutôt comme un processus de restauration, qui ne fournira qu’une solution institutionnelle au conflit et qui fonctionnera certainement dans l’intérêt de la classe dirigeante.

Ce processus vient reconstituer le pouvoir de l’État et de ses institutions, qui sont discrédités depuis le déclenchement de la révolte. Ce processus est plus une nécessité pour la bourgeoisie que pour les opprimés. Par conséquent, parier sur ce processus constitutionnel dans le feu de cette révolte sociale revient à remettre le destin de ce mouvement à ceux qui nous oppriment.

Il n’y a pas le rapport de force suffisant et les moyens nécessaires pour imposer les intérêts des territoires, des peuples et des organisations. Historiquement, nous voyons que les processus constituants sont comme des béquilles de la gauche, comme une formule parfaite et unique pour avancer vers des sociétés plus « démocratiques  », comme une vérité omnipotente qui doit être répétée à chaque période de crise, mais qui ne font que renforcer le système de domination en oxygénant le pouvoir de l’État, du patriarcat et de ses institutions.

Nous agissons en faveur de mesures pour une vie digne et pour la construction d’une nouvelle société libertaire, féministe et écologique, ce qui signifie parier sur la construction d’un pouvoir révolutionnaire autogéré des peuples.

Lors du soulèvement populaire historique de 2019 au Chili, des assemblées de quartiers ont surgi dans le feu de la révolte.
Mais la majorité d’entre elles ont eu tendance à disparaître ou à se transformer en collectifs. Quelques-unes ont réussi à se maintenir et se sont regroupées en différents organes de coordination, dont certaines qui se sont unies pour soutenir la candidature de Boric et d’autres qui ont maintenu leur autonomie.

Pensez-vous que l’élection de Boric ou ce processus aura un réel impact sur les luttes des peuples du Chili ? Par exemple dans les luttes du peuple Mapuche pour la récupération et le droit de vivre dans leurs territoires ?

FAS : Cela dépendra de la capacité des peuples et des territoires à faire valoir leurs revendications par la lutte et à avancer dans la gestion des questions importantes des communautés, où le peuple Mapuche a eu un contrôle territorial effectif pendant des décennies.

Nous proposons que ce soit une période de débordement et de pression depuis tous les territoires, revendiquant l’application des transformations nécessaires mise en lumière par la révolte, indépendamment de qui gouverne. Nous n’attendons rien de Boric, nous n’avons confiance que dans le peuple et sa capacité d’action.

Propos recueillis en février 2022 par la commission internationale de l’UCL

 
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