Livre : Moi, Viyan, combattante contre Daech




Nous sommes en 2008, Viyan a 18 ans. Elle est bergère dans un village kurde de la région de Kobanê – mais il faut dire Aïn al-Arab, son nom en arabe, parce que la langue kurde est interdite sous le régime des Assad. Viyan dépose à côté du lit de sa mère sa boîte à bijoux. Elle le fait sans bruit, pour ne pas la réveiller. Ce soir, elle va rejoindre la guérilla. Elle n’a rien dit à personne, ni à sa mère, ni à ses sœurs, ni à son frère qui fait office de chef de famille. Son frère, justement, voulait la marier à l’un de ses cousins alors que Viyan a d’autres désirs : apprendre, se battre pour son peuple, être libre.

Son départ est rocambolesque. Un couple vient la chercher dans une camionnette avec une autre fille de son village. À peine ont-ils parcouru quelques kilomètres que le frère de Viyan apparaît sur sa moto et les poursuit. La jeune fille prie : s’il les rattrape, c’est fini, elle ne deviendra jamais une combattante, elle ne sera jamais libre. Heureusement, la moto disparaît dansun virage, et la camionnette branlante continue son chemin en s’enfonçant dans les ténèbres. Pour sa famille, Viyan a été enlevée ; mais
le lendemain, des miliciens viennent leur dire la vérité : leur fille a rejoint le maquis. Paradoxe de ces campagnes kurdes où brûle le désir d’autonomie, mais où les familles sont prêtes à en découdre pour empêcher leurs filles de rejoindre la lutte.

Après avoir gagné les camps du PKK dans les monts Qandil, en Irak, Viyan ne cessera plus de se battre. Contre elle-même d’abord, pour supporter l’entraînement et prendre conscience de sa responsabilité ; si elle flanche, ses camarades peuvent y laisser la vie. Contre Assad, et tous les potentats de la région. Contre Daech qui menace de les exterminer et de détruire une liberté chèrement acquise. Contre la mentalité des milices arabes, alliées des Kurdes mais réticentes à l’idée d’armer les femmes.

Cette histoire, c’est Viyan qui la raconte elle-même à la journaliste Pascale Bourgaux, auteure du documentaire Femmes contre Daech. Malgré un éditeur français qui a largement cédé au sensationnalisme (bandeau racoleur, faux suspense pour tenir le lectorat en haleine), malgré un texte étiré sur plus de 200 pages alors qu’il aurait aisément tenu sur 100, malgré tout cela, le témoignage est passionnant.

Découvrir la vie quotidienne des paysans kurdes, l’organisation des milices où on apprend aussi bien le maniement d’une kalachnikov que celui de l’alphabet et l’écriture, la guerre contre Daech au jour le jour, la terrible épreuve de la bataille de Kobanê… Le lectorat européen s’étonnera que les milices YPG-YPJ possèdent un système de commandement sans doute unique au monde : chaque poste d’officier est occupé à la fois par un homme et une femme, l’homme n’a pas le droit de donner d’ordre aux femmes de son unité alors que la femme peut donner des ordres à tous les combattants.

Moi, Viyan… est, avant tout, une histoire humaine. Ici, pas d’analyse politique de l’orientation du PYD ni de considérations géopolitiques sur le Rojava. Viyan parle des épreuves, des joies, de tout ce qui fait de cette lutte une lutte d’êtres en chair et en os. Elle montre d’ailleurs des facettes de sa personnalité ou de la cause kurde qui peuvent choquer sous nos latitudes : culte de la personnalité d’Abdullah Öcalan, philosophie du martyre et du sacrifice dans le combat contre Daech, présentation un peu rapide de l’idéologie kurde comme « marxiste-léniniste », répression stricte des relations sentimentales au sein des milices, etc.

En refermant le livre, on est saisi d’un double sentiment : humble solidarité face au courage des combattantes et combattants kurdes d’une part ; questionnement renouvelé sur leur projet de société d’autre part.

Julien Clamence (AL Bruxelles)

 
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