politique

Comité invisible : C’est donc « Maintenant »




Le nouveau livre du Comité invisible témoigne d’une réflexion en mouvement. Ce n’est plus tant l’insurrection qui vient mais le bonheur de la rater et d’essayer encore. Une poétique de la révolution qui recouvre d’absolu bien des simplismes, un peu d’arrogance et quelques contradictions.

D’une plume virtuose et tranchante (mais réservée comme d’habitude aux universitaires), les auteurs de Maintenant précisent longuement dans cet ouvrage leur vision d’un monde où tout aurait implosé, la destitution devenant le geste final, la pichenette révolutionnaire qui balaierait les ruines fantomatiques du capitalisme.

Cette description apocalyptique touche l’ensemble de la société et de ses institutions, y compris et largement celles et ceux qui pensent lutter contre : organisations, militants et militantes…Même l’émeute, pourtant glorifiée, est remise en cause. Le manque de nuance dans l’analyse critique du monde réellement existant fait office de radicalité au détriment de la qualité de l’analyse. Ainsi la comparaison entre Mai 68 et le printemps 2016 néglige d’analyser l’impuissance du mouvement à se massifier dans la durée et, plus grave, néglige l’absence d’une grève générale appuyée sur l’occupation massive des entreprises !

Le travail

La fin du travail et des travailleurs nous est annoncée entre disparition des bastions ouvriers, précarisation des salarié.es et progrès technologiques. Dans ­l’élan, ce sont les luttes collectives du salariat qui deviennent impossibles... L’annonce de la mort du prolétariat a cela de pratique qu’elle évite de se poser la question d’en être, ou pas. Une analyse bien légère et franco-centrée, laissant de côté la croissance du prolétariat à l’échelle de la planète et négligeant la vérité des chiffres : 80 % des salariés en France sont en CDI. En quelques lignes éparpillées les auteurs s’en prennent au marxisme mais quelques pirouettes littéraires ne vont pas suffire à nous convaincre. Nous attendrons de ce point de vue un ouvrage un peu plus sérieux avant de nous laisser convaincre que pour les marxistes le capitalisme consisterait « à vendre ce qui est produit ».

Déserter et destituer le travail prive les auteurs de la moindre réflexion sur la réduction du temps de travail socialement nécessaire à la production des biens utiles aux besoins, opposant à un marxisme qui est réduit à un « comment produire », une révolution qui pense le « comment vivre ». Comment produire restant un point aveugle sans réponse. À peine esquissée, une réponse qui sous des mots post-modernes remet au goût du jour ce que les travailleurs et les travailleuses ont toujours fait : la perruque (c’est-à-dire l’utilisation par le salarié du temps ou des outils de travail pour effectuer des travaux personnels)…

La fin du travail permet de renvoyer ultimement la grève générale au rayon des mythes pour la plus grande satisfaction des actionnaires dont les capitaux ne sont toujours pas tout à fait fragmentés. S’il existe bien quelques « gens sincères » parmi eux, le ­livre critique massivement tous ceux et toutes celles qui s’organisent et toute organisation révolutionnaire. La critique est intéressante parce qu’elle touche juste à de nombreux points.

Mais c’est sur la critique de Nuit debout [1] que l’analyse dévoile sa faiblesse. Nuit debout est d’abord vantée comme l’expérience exceptionnelle de réappropriation politique par l’individu, avant ­d’être ramenée à une bureaucratie du micro et à l’impuissance de l’assembléïsme. Pour nous, communistes libertaires, l’assemblée est à la base de l’auto-organisation, mais encore faut-il que quelque chose de social rassemble les gens assemblés : un lieu de travail, un lieu de vie, une discrimination subie ensemble, une lutte précise. Une auto-organisation de la société où l’individu en entrant dans le collectif ne perd pas son autonomie mais trouve l’efficacité de l’action en prenant le temps nécessaire aux décisions partagées.

Et ce qui vaut pour la société vaut aussi pour l’organisation révolutionnaire que nous construisons. C’est justement parce que les individus en tas à Nuit debout n’étaient liés par rien que rien ne pouvait sortir de ces assemblées sans fin.

Après avoir décapé au vitriol la question complexe de la démocratie dans le mouvement d’émancipation, le Comité invisible nous offre une issue : la spontanéité « verticale » qui viendrait de la décision d’individus qui exprimeront, par magie, « l’intelligence de la situation ». La destitution de la démocratie reste le point aveugle du propos et des pratiques des militants et militantes « autonomes » qui substituent à l’autoritarisme « léniniste » de toute structure collective l’autorité de leur individualité sans convaincre sur leur légitimité.

L’émeute

Puisqu’un tag est plus efficace que toute la littérature critique du capital, l’émeute reste au cœur stratégique du Comité invisible, mais on entend quelques inflexions. D’abord les auteurs soulignent que suivant les villes les SO de la CGT ne sont pas toujours des ennemis et ils souhaitent que perdure l’absence d’affrontements directs avec les « cortèges de tête ». Saluons ici ce qui est dit même si nous remarquons que cela ne s’accompagne pas d’autocritique sur ce qui a été fait… Cette inflexion fait écho aux positions clairement divergentes exprimées sur le site Lundi matin ou sur Paris-luttes.info [2] sur le rapport aux organisations syndicales. L’enjeu est important car les appels à combattre les SO considérés comme des flics est lourd de dangers pour le mouvement social.

Au-delà de cet aspect tactique, le livre évoque aussi la perte d’âme de l’émeute dans sa militarisation outrancière et dans son autosatisfaction médiatique. Il est même avoué que l’émeute ne peut pas gagner face à la répression. Reste qu’il n’y a pas de proposition alternative. Ni grève générale, ni manifestation promenade, ni émeute répétée... mais quoi : « Le cortège de tête se répétant, il n’était plus un geste dans une situation, mais un sujet se mirant dans le reflet des médias, notamment alternatifs. Il était alors temps de déserter cette ­désertion en train de se figer, de se parodier. Et de continuer à se mouvoir. » Mouvoir vers quoi ? Nous attendrons le prochain livre.

Un autre débat secoue la mouvance autonome et l’écho y est ici perceptible. Il s’agit de la critique voilée d’une désertion illusoire de celles et ceux qui construisent une vie économique alternative. Les auteurs précisent à juste titre que dans le capitalisme aucune gestion n’est innocente mais ils se gardent d’être aussi arrogants que vis-à-vis d’autres courants politiques : « S’organiser révolutionnairement sous couvert de tout un maquis de structures légales échangeant entre elles est possible, mais périlleux. Cela peut fournir entre autres choses une couverture idéale à des relations conspiratives internationales. La menace demeure toujours, néanmoins, de retomber dans l’ornière économique... de ne plus percevoir le sens de la conjuration. » Les déserteurs ne sont donc pas plus à l’abri du réformisme que les prolétaires et ces derniers ne sont plus tout à fait les soutiens objectifs du capital... Malgré bien des outrances inutiles, Maintenant atteste de lentes maturations.

Jean-Yves (AL 93-Centre)

  • Comité Invisible, Maintenant, La Fabrique, 160 pages, 9 euros.

[1Lire « Nuit debout : Des hauts et débats », Alternative libertaire, août 2016.

[2Lire sur Paris-luttes.info, 3 mai 2017, « Face aux SO, il est temps de choisir son camp »

 
☰ Accès rapide
Retour en haut