Dossier religions : Prisons : Faut-il croire en un dieu pour être réinséré ?




Face aux carences de l’accompagnement à la réinsertion, les aumôniers religieux se prévalent de plus en plus d’une fonction « sociale ». Et l’Administration pénitentiaire ne le voit pas d’un mauvais œil.

Alors que le nombre de détenus n’a jamais été aussi élevé en France (64 584 au 1er mai 2011), alors que les conditions de détention ne cessent de se dégrader [1], la place de la religion en prison est posée. Derrière la légitime liberté de l’exercice du culte en prison, c’est aussi la question du rôle des Églises dans la société qui apparaît.

L’administration pénitentiaire (AP) doit permettre à chaque personne détenue d’exercer librement le culte de son choix, dans le respect de la confidentialité, et de ne pas se voir imposer des pratiques contraires à ses croyances. À l’heure actuelle, il est évident que beaucoup de conditions ne sont pas réunies pour voir ce droit entièrement reconnu pour tous et toutes : des estimations plus ou moins fantaisistes montreraient que 50 à 70 % des détenus sont musulmans [2], alors qu’il n’y a qu’une centaine d’aumôniers musulmans contre 480 catholiques, 250 protestants, 50 israélites et quelques orthodoxes et bouddhistes.

L’administration n’assure donc pas l’égalité de traitement entre les différentes croyances. Face aux attaques dont font l’objet les services publics, celui de la justice n’y échappant pas, l’AP continue de mener une politique dangereuse concernant le fait religieux.

Auxiliaires de l’ordre et autorité morale

Placés sous le feu de l’actualité avec cette année « l’affaire de Pornic » (meurtre de Laetitia Perrais par Tony Meilhon), les Services pénitenciaires d’insertion et de probation (SPIP) se concentrent davantage sur la prévention de la récidive. Exit les missions sociales traditionnelles. Certains détenus démunis se tournent donc vers les aumôniers, qui se substituent aux professionnels débordés… et cela avec la bénédiction de l’administration. « Les aumôniers sont un facteur d’apaisement en prison », reconnaissait le directeur de Fleury-Mérogis en 2007. Très fières de cette légitimité retrou­vée, les Églises défendent cette nouvelle fonction : l’aumônier musulman de la prison de Loos (Nord) estimait « faire partie du dispositif d’insertion » alors que celui de Fleury-Mérogis expliquait que son rôle était de « faire prendre conscience des principes moraux » aux détenus [3]. Auxiliaire de l’ordre et autorité morale, la religion a donc de beaux jours devant elle dans le système répressif de la république « laïque ».

Alors qu’il faudrait travailler à recréer du lien social, on se contente de voir dans cette présence religieuse un moyen de gérer et de pacifier certains établissements, de canaliser certains détenus qui auraient certainement une autre attitude s’ils étaient libres de penser et de revendiquer.

Un vrai service public de la Justice avec des moyens humains, de vraies prises en charge assurées par des professionnels, rendraient caduques toute velléité religieuse ou privée de se substituer aux défaillances actuelles. Il faudrait aussi replacer la construction du lien social au centre des politiques pénales. Il faut lutter contre les tentatives religieuses d’investir l’espace public, que ce soit par le biais humanitaire ou par un autre.

Émil (AL Corrèze)


Cet article fait partie d’un dossier complet : « Religions, racismes et mouvements sociaux, y voir clair ».


[1À ce sujet, lire le rapport du contrôleur général des lieux de privations de liberté (www.cglpl.fr).

[2Aucune statistique officielle n’existe, mais le sociologue Farhad Khorokhavar estime que la pratique religieuse est « extrêmement minoritaire » en prison (L’Islam dans les prisons, Balland, 2004), ce qui laisse à penser que ces estimations sont peu fiables.

[3« Les aumôniers de prison musulmans pas assez nombreux », Le Nouvel Observateur, 14 décembre 2010.

 
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