syndicalisme

Goodyear : Ils ont suivi leur conscience et leur cœur




« La matraque et le barreau seront leur réponse au lent effondrement d’un système injuste qui vacille sous le poids de sa propre vacuité. À nous de survivre et de, vite, faire advenir l’aurore. »

Aujourd’hui, en France, on va en prison pour avoir défendu son travail. Un tribunal français en a décidé ainsi : les huit anciens salariés de Goodyear écoperont de 9 mois de prison ferme et 15 mois de prison avec sursis pour trente heures de séquestration sans atteinte physique de deux membres de leur direction.

On va prendre ces huit hommes et les enfermer dans une cellule – pendant de longues semaines, on va les priver de liberté et envoyer un message clair aux autres travailleurs : gare à ceux qui résistent pour conserver leur emploi ou leur dignité ! Un bon travailleur, nous dit la justice française, est un mouton, une créature qui baisse les yeux et les bras, qui accepte son sort sans broncher et qu’on peut donc virer ou maltraiter avec désinvolture.


Les 19 et 20 octobre à Amiens
avec les huit condamnés de Goodyear

Récit et reportage photo ici


La violence est au centre du monde travail

Un avocat, qui approuve le verdict, a décrit le procès comme un signe « que la violence n’a plus sa place dans le monde du travail ». [1] Il a tout faux. La violence est au centre du monde travail, elle est partout, des plus basiques échanges humains aux grands conseils d’administration où se joue la vie de milliers d’individus.

Le travail est violence : violence de la hiérarchie, violence de la répétitivité, violence des dividendes et des grands salaires, violence des délocalisations et des efforts consentis dans la peur de voir les emplois s’envoler ; violence donc d’un système construit sur l’idée que le profit devrait régner en maître sur les relations humaines et qu’on devrait lui consentir tous les sacrifices.

Seulement, cette violence ne sera jamais mise en procès et ses instigateurs – les patrons, les PDG, les grands actionnaires, les managers – ne seront jamais inquiétés par les tribunaux. On devrait même les admirer et considérer leur œuvre comme un sommet de la civilisation occidentale… Ceux qui profitent du travail des autres, qui ne seraient rien sans les centaines de mains à leur service, sont considérés par les politiciens comme des messies : loin de leur taper sur les doigts, on leur fait des cadeaux en espérant très forts qu’ils réduiront un chômage qui les arrange pourtant fort bien.

Leur violence, celle de la vie facile, de l’aisance et surtout du pouvoir de détruire, d’une signature, le destin d’autres êtres humains, cette violence-là est protégée, entretenue, perfectionnée par l’État et le système économique en général.

Manifestation du 12 février 2013 à Rueil. Reportage photo cc Marie-Au Krasnyi

Blocage, occupation, séquestration, réappropriation des machines et du matériel

Ce que les huit d’Amiens-Nord ont fait, c’est montrer à leur direction que la violence d’une fermeture d’usine qui met 1.173 salariés sur le carreau est aussi concrète que celle qui consiste à rester enfermer dans une pièce pendant trente heures avec une poignée de syndicalistes. Et quelle séquestration ! C’était à peine une mise en bouche, un petit échantillon.

Une femme ou un homme qui perd son travail, c’est un salaire qui disparaît, c’est peut-être une famille jetée dans les affres de l’instabilité financière, peut-être dans la pauvreté. Cette violence retire à l’être humain son moyen d’existence et lui enjoint de se débrouiller dans un monde où le chômage est endémique, où les industries s’écroulent et où les travailleurs d’un certain âge sont fuis comme la peste par les DRH. Ce sont des jours entiers de souffrance, d’angoisse et d’humiliation.

Auraient-ils dû, les huit d’Amiens et tous les camarades, accepter de voir leurs salaires diminuer et leurs conditions de travail se dégrader ? Auraient-ils dû plier devant le chantage d’une entreprise qui, en 2014, année des faits reprochés, a enregistré un bénéfice net de 2,45 milliards de dollars ? Non, ils ont suivi leur conscience et leur cœur.

Quand on affronte une coalition d’intérêts aussi puissante et une philosophie où l’humain est une valeur de capital, qu’on met dans des colonnes et qu’on biffe, d’un coup de crayon, la violence est parfois légitime. La grève ne suffit pas toujours et le blocage, l’occupation, la séquestration, la réappropriation des machines et du matériel deviennent souvent une nécessité.



Une nuit de plus en plus sombre

Nous espérons, pour le bien de nos camarades, que les condamnations seront annulées en appel ou, au strict minimum, aménagée. Mais cette bonne nouvelle serait de toute façon gâchée par le sort de tous ceux qui croupissent dans des cellules, pour une nuit ou cent, pour avoir défendu leur droit de vivre honnêtement, contre la violence des riches ou celle de l’État.

Il semble que nous ayons, dans les années à venir, à nous enfoncer dans une nuit de plus en plus sombre. Alors que les pauvres sont tous les jours plus pauvres et les riches tous les jours plus riches, les gouvernements européens choisissent la voie de l’ordre et criminalisent toute action qui s’opposerait au statu quo. La matraque et le barreau seront leur réponse au lent effondrement d’un système injuste qui vacille sous le poids de sa propre vacuité. À nous de survivre et de, vite, faire advenir l’aurore.

Aujourd’hui, c’est une petite lumière que nous allumons pour les huit d’Amiens-Nord : nous ne vous oublions pas et nous vous accompagnons en esprit. Demain, peut-être, nous serons à votre place.

Julien Clamence (AL Bruxelles)

 
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