Mémoire : Le tournant de décembre 95




En 1993, le gouvernement avait allongé la durée de cotisation pour la retraite dans le secteur privé, sans opposition . En 1995, rebelote pour le public. Mais, cette fois, trois semaines de grève vont le faire reculer.

Lorsqu’Alain Juppé propose son plan de « réforme » de la Sécurité sociale à l’Assemblée le 15 novembre 1995, il est soutenu par la quasi-totalité des médias. Pourtant sous cette unanimité libérale de façade, le feu couve déjà.

En mars 1994, un mouvement massif de la jeunesse avait permis de repousser le projet de Contrat d’insertion professionnelle (le « Smic-jeune ») du Premier ministre (RPR) Édouard Balladur. Malgré une répression violente qui n’était pas sans rappeler celle du mouvement étudiant de 1986, plusieurs centaines de milliers de jeunes avaient manifesté dans toute la France, tardivement rejoints par les syndicats. En mars 1995, un mouvement étudiant reprenait contre le rapport Laurent, puis dès la rentrée d’octobre 1995, pour des moyens supplémentaires.

500 000 personnes mobilisées

La grève unitaire du secteur public le 10 octobre est un succès inattendu. Une semaine après que Juppé a présenté son plan, plus de 100 000 jeunes manifestent pour l’université. Trois jours plus tard, ce sont 500 000 personnes qui répondent à l’appel intersyndical. Les grèves qui démarrent ensuite, essentiellement limitées au secteur public, bénéficient de la dynamique de lutte de la jeunesse.

Après les deux septennats de Mitterrand, l’affaiblissement des syndicats, la marginalisation du PCF, la réorientation d’une partie de la gauche sur des thèmes « sociétaux » jugés plus porteurs, le mouvement de novembre-décembre 1995 a marqué le retour en force de la question sociale. Si ce mouvement a consacré la pratique des assemblées générales de grévistes, leur donnant un rôle réellement décisionnel, il ne s’agit pas d’une nouveauté. Les mouvements de 1986-1988 (facs, SNCF, instits, infirmières) avaient déjà initié ces pratiques d’auto-organisation [1]. Il n’y a pas de hasard : les liens interprofessionnels, si forts en 1995, sont le fruit des échanges des années précédentes, notamment entre le mouvement étudiant et les syndicats de salarié-e-s.

Décembre 95 est l’occasion de reconstruire un syndicalisme de lutte sur ces bases nouvelles. La trahison de la CFDT, qui soutient le plan Juppé contre l’avis d’une partie de ses membres, entraîne une hémorragie d’effectifs sur sa gauche. Dès 1996, des équipes syndicales cheminotes impulsent SUD-Rail, comme l’avaient fait les « moutons noirs » de la Poste en créant SUD-PTT en 1988 [2]. C’est le point de départ de l’expansion des syndicats SUD.

Récit, analyses, interviews, photos… retrouvez le dossier spécial d’Alternative libertaire, « Ce que Décembre 95 a changé ».

Renaud (AL Alsace)

[2Voir « 1988 : Des moutons noirs fondent SUD-PTT », Alternative libertaire, octobre 2008.

 
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