Ukraine : Une révolution entre deux feux




La révolte qui a eu la peau de Ianoukovitch est entre les mains des libéraux et des fascistes. Le pays est maintenant le centre d’une joute diplomatique au parfum de Guerre froide, qui si elle ne date pas d’hier, est maintenant devenue explosive.

En novembre dernier, le refus d’un accord commercial avec l’UE par Ianoukovitch fait débuter le mouvement de protestation pro-européen Euromaidan. La répression violente qu’il connaît, ajouté à la promulgation d’une loi interdisant les manifestations, en janvier, font se durcir le mouvement. D’abord multiforme, avec des composantes de tous bords, en premier lieu des partis « pro-UE » dont les dirigeants ont été formés par les Occidentaux, la lutte de Maidan est ensuite partiellement prise en main par des milices fascistes organisées, qui excluent ceux qui leur sont ouvertement opposés, comme les groupes antifascistes et anarchistes. Après une semaine d’affrontements meurtriers et des pressions diplomatiques occidentales, Ianoukovitch s’enfuit de Kiev, laissant le champ libre aux « pro-UE » et aux fascistes, qui reçoivent la moitié des postes du gouvernement provisoire, avec la bénédiction des Occidentaux.

Les premières mesures prises sont l’abandon de la loi antimanifestation, mais aussi l’interdiction du russe, et de deux partis politiques, le Parti des régions et le Parti communiste ukrainien (PCU), lui aussi prorusse, les membres de ces deux partis sont pourchassés. Très vite, des milices d’autodéfense « antifascistes » surgissent à l’Est, soutenues par le PCU, en particulier dans les régions du Donbass et de Crimée.

Poutine envoie des troupes en Crimée en février pour, dit-il, « protéger ses ressortissants ». Sous la pression russe, le Parlement autonome de Crimée vote, le 11 Mars, son rattachement à la Russie. Le Donbass demande son autonomie.

Fracture culturelle et historique

Comment en est-on arrivé là ? Comme la plupart des pays de l’ex-bloc de l’Est, l’Ukraine a subi de plein fouet les transformations libérales. Suite a l’effondrement de l’URSS, et son indépendance totale en 1991, les principales industries du pays sont tombées sous la domination des anciens cadres du régime. Les fruits de la croissance ont été largement captés par ceux que l’on appelle les oligarques, amassant une fortune colossale, sur le dos et la sueur des travailleurs et travailleuses ukrainiens, qui voyaient disparaître le peu des acquis sociaux de l’ancienne république socialiste, non sans résistance de leur part, comme lors de la grève des mineurs du Donbass en 1995.

Dès 1998, la croissance ralentit, et le gouvernement accepte les tristement célèbres « réformes structurelles » du FMI en échange d’une aide monétaire, achevant la mutation ultralibérale de l’économie. Depuis, la situation économique globale des Ukrainiens ne s’est pas arrangée, le salaire moyen étant d’environ 300 euros, elle a même empiré avec la crise de 2008 et la baisse des exportations vers l’Ouest et la Russie, dont le pays est largement tributaire : en 2009, le PIB baisse de 15 %, le chômage passant de 3 % à près de 8 %.

A cette situation sociale s’ajoute une fracture culturelle et historique majeure, entre l’Ouest, ukrainophone, majoritairement rural et plus pauvre, et l’Est, russophone, industrialisé, plus riche. Elle est source de tensions, mais qui sont surtout instrumentalisées par une bourgeoisie et une classe politique divisée entre les « pro-UE » et les « pro-Russie », soutenus de chaque côté par les puissances respectives pour qui l’Ukraine représente un enjeu stratégique majeur : les premiers par le gazoduc qui fournit les économies de l’Ouest, l’autre pour sa base maritime en Crimée. Les bourgeoisies occidentales ont tout intérêt à avoir un régime qui leur serait favorable en Ukraine, aux portes de la Russie, ce qui pourrait permettre de faire pression sur les Russes de manière directe, ceux-ci devant tout faire pour l’éviter et garder l’Ukraine sous leur influence. Les États-Unis en particulier, n’ont pas ménagé leurs efforts en ce sens. Chaque côté a le soutien des oligarques avant tout concernés par leurs intérêts économiques, et un soutien populaire nourri d’espoirs d’émancipation entretenus par les appareils médiatiques des deux camps sur les modèles russes et occidentaux.

Pas de véritable alternative

Ces tensions ont vraiment surgi en 2004, lors des élections présidentielles opposant principalement Viktor Ioutchtenko, du parti Notre Ukraine (pro-UE) et Viktor Ianoukovitch, Premier ministre depuis 2002 du Parti des régions (pro-Russes), ayant les soutiens respectif de l’UE et des États-Unis d’un côté, de la Russie et de l’ancien Président de l’autre. Sur fond de corruption et de fraudes, la commission électorale annonce Ianoukovitch vainqueur, ce qui donne lieu à une mobilisation sans précédent des pro-Occidentaux : la Révolution orange, qui aboutira, avec fortes pressions diplomatiques des dits occidentaux, à la révision de la décision et à l’arrivée de Ioutchtenko au pouvoir. Les élections législatives de 2006 donneront le Parti des régions majoritaire, et Ianoukovitch sera nommé Premier ministre. Depuis, l’instabilité politique domine, sur fond de scandales financiers et de corruption dans chacun des deux camps. C’est dans ce contexte que l’extrême droite ukrainienne, ultranationaliste et pronazie, incarnée par le parti Svoboda (qui se réfère à l’Armée insurrectionnelle d’Ukraine et à la division SS Galicie, soutien d’Hitler contre l’URSS), voit son audience grossir, particulièrement dans la région de Lviv, où il récolte 30 % des voix.

Dans tout les cas, les Ukrainiens eux-mêmes n’ont rien à y gagner, car aucun des deux pouvoirs en train de se mettre en place ne propose de véritable alternative au système libéral et aux inégalités sociales et économiques. D’ailleurs, la prise de pouvoir des libéraux/fascistes comme des pro-Russes est facilitée et protégée par chaque puissance, car les deux parties ont intérêt à avoir un gouvernement sous leur contrôle en Ukraine.
Tout est-il définitivement perdu ? Cela dépendra des capacités d’organisation et de mobilisation de la gauche révolutionnaire et du mouvement social. La coordination des libertaires en Ukraine et des pays limitrophes est donc cruciale. Plusieurs appels à l’union, contre l’intervention russe et contre la guerre, sans illusion sur le nouveau gouvernement de Kiev, émanant d’organisations anarchistes ukrainiennes, vont dans ce sens.

Hugues (AL 95)

 
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