Arménie-Azerbaïdjan : La coresponsabilité de l’engrenage nationaliste




Depuis vingt-cinq ans, Erevan et Bakou ont refusé tout accord sur le statut du Haut-Karabakh, le retrait des territoires occupés, le droit au retour des réfugiés. Tous les motifs d’une guerre de revanche étaient réunis.

Au terme de six semaines meurtrières, l’armée Azerbaïdjanaise s’est emparée de la cité à la fois symbolique et stratégique de Þuþa (Chouchi, en arménien). De là, la chute du Haut- Karabakh n’était plus qu’une question de jours. Dès le lendemain, alors que les forces arméniennes commençaient à se débander, Erevan était acculé à signer l’armistice.

Pour Bakou, c’est un triomphe : tous les districts perdus depuis la guerre de 1990-1994 sont reconquis ; des centaines de milliers de réfugiées espèrent à présent rentrer chez eux ; le triste potentat Ilham Aliyev est promu héros de la nation ; s’il obtient la réouverture de négociations sur le statut du Haut- Karabakh, ce sera en position de force. Pour Erevan, la défaite est complète. Seule consolation : la population arménienne peut rester au Haut-Karabakh, sous la protection de l’armée russe. Moscou, qui est délibérément resté attentiste, renforce au final sa présence militaire au Caucase, coiffant Ankara au poteau.

Si Poutine voulait faire comme les Occidentaux, il demanderait à présent un mandat à l’ONU, au titre du « maintien de la paix ».

L’Azerbaïdjan, avec un budget militaire trois fois supérieur, et des alliés fidèles, a battu l’Arménie, plus pauvre et isolée.
cc ministère azerbaïdjanais de la Défense

En France, l’opinion publique a penché en faveur de l’Arménie, pour de bonnes et de moins bonnes raisons. D’abord, la mémoire du génocide de 1915-1918 suscite une sympathie instinctive face au négationnisme panturc. Ensuite, la « révolution de velours » de 2018 a redoré le blason de l’Arménie face à un Azerbaïdjan au régime népotique et liberticide. Et puis l’Arménie est un petit pays pauvre, lâché par ses amis russe et iranien, tandis que l’Azerbaïdjan, riche de ses hydrocarbures, au budget militaire trois fois supérieur, a été appuyé à fond par l’impérialisme turc qui l’a fourni en drones ravageurs et même en mercenaires djihadistes importés de Syrie. Sur le sol français, enfin, la gauche kurde a soutenu l’Arménie, pour d’évidentes raisons de solidarité face à l’extrême droite turque (les Loups gris). Pour finir, l’inclination européenne va plus facilement à un pays chrétien comme l’Arménie qu’à un pays musulman comme l’Azerbaïdjan.

Pacifistes et internationalistes

Cependant, une clef d’interprétation fondamentale du conflit ne peut être négligée : l’occupation de sept districts d’Azerbaïdjan par l’armée arménienne depuis 1994 ; l’épuration ethnique concomitante ; l’opposition des nationalistes de deux camps à tout processus de paix. À Erevan, on pensait plus avantageux que ce « conflit gelé » le reste indéfiniment... mais on poussait ainsi Bakou à la revanche. Si bien que le plaidoyer légitime pour l’autodétermination du Haut-Karabakh ne peut faire oublier que, depuis vingt-cinq ans, on a bien peu plaidé la fin de l’occupation et le droit au retour des réfugiées...

Les milliers de morts à déplorer sont donc imputables au nationalisme des deux camps, qui a conduit à cette guerre de revanche. Dans cette triste affaire, le seul « camp » à soutenir est celui des pacifistes et internationalistes des deux côtés de la frontière, comme la dizaine de courageux signataires d’une « Déclaration antiguerre de la jeunesse de gauche d’Azerbaïdjan », le 5 octobre, relayée par des anarcho-syndicalistes russes. « Nous devons jeter la hideuse camisole de force de l’État-nation aux ordures », disait-elle, et « imaginer et créer de nouvelles voies de coexistence pacifique communes ».

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

 
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