Antiracisme

Purplewashing : l’instrumentalisation raciste du féminisme




«  Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.  » L’islamophobie se nourrit des tous les fantasmes et clichés sur l’islam et personnes de confession musulmane pour justifier ses méfaits. C’est ainsi que l’étendard du féminisme et de la laïcité est brandi de façon opportuniste, au mépris justement du féminisme et de la laïcité.

Comment expliquer les discours de féministes ou de politiciens et de politiciennes dans les médias contre les personnes musulmanes ou assimilées comme telles ? Il s’agit de justifier un certain racisme par la défense de valeurs progressistes. L’imaginaire en arrière-plan, c’est celui de femmes françaises et blanches qu’il faudrait protéger face aux hommes arabes et noirs censés être des prédateurs.

Cette vision raciste est largement associée aux migrants. En fait, les femmes musulmanes sont les premières impactées par cette idéologie qui prétend défendre les femmes  : il faudrait les libérer du joug de leurs maris, frères, pères et communautés, en les dévoilant. Ce qui n’est pas sans rappeler l’époque coloniale en Algérie, ce phénomène actuel en étant le continuum.

Un colonialisme toujours vivace

La loi sur le harcèlement de rue est un des exemples de cette mentalité  : les hommes arabes harcèleraient les françaises dans la rue, tandis que les hommes blancs ne poseraient eux pas de problème (sauf dans le cas de Darmanin, Baupin, des femmes sifflées à l’Assemblée pour leurs tenues, etc.). De nouveau, certains hommes nous expliquent comment nous libérer, voire veulent nous libérer eux-mêmes. Mais ceci est clairement une instrumentalisation de la lutte féministe.

Au gouvernement, des ministres tiennent ce type de discours alors que leur réforme des retraites pénalisera en premier lieu les femmes, que les salaires sont toujours inégaux, que les violences sexistes et sexuelles continuent de plus belle… On pense aux propos de Blanquer (le port du voile « n’est pas sa conception de la libération de la femme »), Sarkozy ou Valls et d’autres.

La fabrique du sauvage

Après la guerre d’Algérie, traumatisme national pour l’extrême droite, et même avant, la figure de l’homme algérien a été ultravirilisée, voire animalisée. Certains mouvements d’émancipation, notamment en faveur de l’homosexualité, ont véhiculé des fantasmes tout aussi déshumanisants autour des Arabes. La vision orientaliste essentialise les individus, les rend interchangeables, donc inférieurs.

Certaines féministes blanches visibles dans les médias peuvent verser dans le racisme par l’essentialisation des populations issues de l’immigration – l’articulation des luttes spécifiques des femmes racisées est un débat déjà vieux dans le féminisme  [1]. La question pour nous est donc bien l’articulation des luttes antiracistes et féministes. Des féministes peuvent participer à la fétichisation, à l’humiliation des hommes arabes ou noirs, au côté du système capitaliste d’asservissement et du système policier et judiciaire de contrôle des quartiers populaires.

Haro sur les mères voilées

Les islamophobes visent spécifiquement les femmes voilées, sous couvert soit de laïcité, soit de défense identitaire chrétienne-blanche-européenne. Le principe de laïcité est totalement dévoyé afin de stigmatiser les mères portant le foulard et les musulmanes et musulmans en général. Rappelons que l’article 1er de la loi de 1905 assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Il s’agit de protéger les citoyennes et les citoyens contre toute discrimination. Les libertés de conscience et de culte supposent la liberté d’expression.

La loi ne renvoie certainement pas la pratique religieuse au domaine de l’intime et ne demande pas à ce que nous soyons toutes et tous habillées et pensant de la même manière. L’article 2 précise que l’État est neutre, et donc ses représentants également. Mais l’espace public, lui, n’est pas concerné. En 2013, le Conseil d’État réaffirme clairement que, contrairement aux agentes et agents du service public, les parents participant aux sorties scolaires ne sont pas soumis au devoir de neutralité.

Dévoile-toi, libère-toi !

Les femmes musulmanes n’ont pas besoin d’être libérées, ou éduquées, elles sont capables de faire leurs choix. Le port du foulard n’est pas univoque, elles peuvent choisir de le porter ou de ne pas le porter pour diverses raisons, un choix qui ne regarde qu’elles et qu’elles n’ont pas à justifier.

Les féministes se sont-elles battues pour que nous soyons toutes obligées de porter une jupe courte ou pour que nous soyons toutes libres de nos corps et de nos choix vestimentaires ? Ce processus de déshumanisation de celles qui portent le foulard est total, puisque personne ne s’interroge sur ce qu’elles ressentent, ce que vivent leurs enfants qui sont traumatisés par le traitement infligé à leurs mères, et le décalage entre le discours officiel sur l’égalité républicaine et ce qu’ils observent chaque jour.

De quelle force et de quelle dignité doivent faire preuve ces mères de famille pour tenir le coup, pour leurs enfants ? Les musulmanes et les musulmans, et singulièrement les mères qui portent le foulard, subissent de plein fouet cette violence, dans la rue, sur leur lieu de travail, à l’école, dans les médias.

Commission antiraciste


DES CLIVAGES A GAUCHE

Si l’extrême droite est souvent à l’avant-garde de l’islamophobie (le RN en France, le Parti pour la liberté aux Pays-bas, l’AfD ou PEGIDA en Allemagne),
la gauche n’est pas en reste.

Depuis 2004, outre le PS qui a participé à renforcer les dispositifs islamophobes en France, tous les partis de gauche plus ou moins radicale ont multiplié les sorties islamophobes ou dans le meilleur des cas sont restés très timides dans la dénonciation des discriminations.

La particularité de l’islamophobie est de mobiliser des combats progressistes  : instrumentalisations du féminisme et des luttes LGBTI, de la liberté d’expression, de la laïcité… Tout cela est source d’ambiguïtés à gauche dont la grande responsabilité dans la colonisation est souvent minimisée  : les valeurs universalistes et le combat progressiste ont souvent été mobilisées, dans le passé, pour justifier la «  mission civilisatrice  ».

Le combat antireligieux et l’athéisme militant ne doivent en aucun cas être dévoyés et instrumentalisés pour stigmatiser une minorité religieuse
en particulier. Il faut bien comprendre que l’expression de l’islamophobie, même à l’extrême gauche et dans les syndicats, nourrit des divisions, des oppositions au sein des luttes et donc des rancœurs rendant impossible toute convergence.

[1Elsa Dorlin (dir.), Black Feminism. Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, L’Harmattan, 2008

 
☰ Accès rapide
Retour en haut