Ecologie

Énergie : La nouvelle offensive du nucléaire français




Le projet de loi d’accélération du nucléaire, publié le 27 septembre 2022 par le gouvernement, a été adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale en mars dernier. Cette loi subit de nombreuses contestations mais ce projet n’est que la face visible d’une stratégie globale de renforcement du nucléaire en France.

Le 21 mars 2023, l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture un projet de loi de relance du nucléaire  [1]. Avec cette loi, le gouvernement compte accélérer les procédures administratives pour la création de réacteurs nucléaires de type EPR2, espérant ainsi gagner du temps et construire les nouveaux réacteurs dans des délais intenables. Une décision d’autant plus absurde que les délais administratifs ne sont pas à l’origine des retards des précédents projets de construction nucléaire (victimes d’incidents, de défauts de soudures, de malfaçons, etc.).

Quand bien même la première paire d’EPR2 pointerait le bout de son béton en 2035, dans le « meilleur » des cas, il sera déjà trop tard pour répondre à l’urgence climatique pour laquelle les solutions doivent être trouvées et mises en place dès aujourd’hui. Les gains de temps escomptés dans le projet de loi seront de quelques mois, et ce au mépris de la libre administration des collectivités territoriales et de la participation du public. Comprenons-nous bien, l’accélération des procédures est une façon de désigner un affaiblissement des garde-fou face au pouvoir étatique.

Un autre objectif de ce projet de loi est de faciliter la prolongation de la durée de vie des installations nucléaires existantes. Aujourd’hui il y a cinquante-six réacteurs en service, un en construction et quatorze arrêtés définitivement en France. La moyenne d’âge de ces réacteurs est de 36,6 ans et plusieurs, dont ceux du Bugey (01), de Dampierre (10), du Tricastin (26) et certains de Gravelines (59) et du Blayais (33) ont déjà fêté leur quarantième anniversaire  [2]. Or, les réacteurs ont été construits avec une durée de vie de 40 ans. Ces investissements massifs ont pour but de remplacer dans le mix énergétique sur le long terme des installations qui devraient être fermées à court terme.

Affaiblissement des contre-expertises

En première lecture, les sénateurs avaient largement amendé le projet de loi. Leurs amendements cherchaient avant tout à renforcer la simplification des procédures et à renforcer la part future du nucléaire dans le mix électrique. Un des points de tensions principal a été la fusion de l’ASN et de l’IRSN. L’Autorité de Sûreté Nucléaire est une organisation étatique qui gère la sûreté du nucléaire, contrairement à l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, qui est une organisation indépendante à laquelle l’ASN commande des rapports. L’IRSN a des domaines de compétences bien plus étendus mais surtout, en tant qu’organisation indépendante, elle subit moins de pression politique. Certaines prises de positions autonomes de l’IRSN sur l’état des centrales ou sur la politique énergétique française agacent au niveau de l’ASN.

Cette tentative de dissolution de l’IRSN dans l’ASN a mobilisé tous les syndicats de l’Institut qui ont mené plusieurs journées de grève ainsi qu’un gros travail de contre-lobby qui a payé. L’Assemblée Nationale a rejeté la dissolution grâce au soutien de députées EELV et LFI, ainsi que de certaines députées de la majorité.
Cette loi arrive au milieu d’une année importante où le pouvoir cherche à renforcer la place du nucléaire en France. Outre cette loi d’accélération du nucléaire qui continue sa navette parlementaire, plusieurs projets sont en cours comme la construction d’une piscine d’entreposage de combustible à La Hague par EDF ou le projet Cigéo qui prévoit de stocker ses déchets radioactifs dans une formation argileuse à 500 mètres de profondeur à Bure. Le gouvernement veut que les déchets soient récupérables pendant 100 ans. D’ici là, les déchets sont stockés à la Hague.

Nucléaire civil, nucléaire militaire

De plus, la loi de programmation militaire (LPM) promet entre autre une augmentation très importante du budget dédié à la dissuasion nucléaire. En effet, sous prétexte d’une menace nucléaire russe pourtant inopérante dans le conflit ukrainien, l’État a décidé d’investir massivement pour renforcer son arsenal. Cette logique a pour but de confirmer le statut de puissance nucléaire de la France, très loin au final d’une assistance militaire à un pays face à l’impérialisme russe. Cette projection de pouvoir a pour seul objectif de renforcer l’État français.

Le risque posé par l’énergie nucléaire est un enjeu majeur. Sa maîtrise annoncée est en réalité le terrain d’un affrontement entre expertises et contre-expertises. L’affaiblissement de contre-expertises indépendantes est un enjeu politique, celui de la centralisation du pouvoir. Ce pouvoir centralisé cherche avant tout la rentabilité du dispositif nucléaire, le risque devenant une simple donnée à gérer. Nous soutenons le combat des salariées de l’IRSN pour préserver leur indépendance vis-à-vis de l’État.

Par ailleurs, avec la loi d’accélération du nucléaire, nous voyons en quoi consiste un programme de transition électrique porté par le nucléaire. Les considérations écologiques sont le prétexte ¬d’une croissance « verte ». Cette croissance sera toujours plus gourmande en énergie. On re¬trouve en vérité les mêmes considérations de crise des énergies fossiles qui ont conduit à la nucléarisation de la France par le plan Messmer. Au final, cette loi retarde d’autant plus une véritable transition énergétique adaptée pour combattre le changement climatique et les autres problèmes écologiques.

Si l’on combine à cela le renforcement de la dissuasion nucléaire, c’est un vrai retour en arrière vers l’atome de la guerre froide et son modèle de société autoritaire. Il nous faut combattre ensemble ces projets antidémocratiques, ruineux et dangereux !

Muhsin (UCL Paris Nord-Est) et Corentin (UCL Alsace) de la Commission Écologie

Pour aller plus loin :
Lire les articles de Patrice Bouveret, Louiselle Debiez et Angélique Huguin dans Sortir du Nucléaire, n°96,
hiver 2023, pages 9, 11, et 30.

[1« Projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées
à la construction de nouvelles installations nucléaires [...] »,
en ligne sur vie-publique.fr.

[2« Loi d’accélération du nucléaire, ou comment s’asseoir
sur la sûreté nucléaire et la démocratie », Réseau Sortir du Nucléaire, en ligne sur sortirdunucleaire.org.

 
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