Écologie

Les soulèvements de la terre : restaurer nos communs




La campagne d’actions et de blocages des soulèvements de la terre lancée fin janvier depuis la Zad de Notre-Dame-des-Landes relève d’une volonté de coordonner les luttes existantes contre les projets inutiles et d’en impulser de nouvelles. Elle replace au centre des luttes écologiques la nécessité de s’opposer à la propriété privée pour reprendre collectivement le pouvoir de décision sur la gestion des sols.

En janvier, 200 personnes impliquées dans des collectifs de lutte écologique à travers le territoire français se sont réunies sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Luttant localement, parfois depuis des dizaines d’années, pour défendre leurs quartiers, leurs villages, leurs champs, leurs forêts, leurs rivières, leur avenir et celui du vivant dans son ensemble, contre des projets inutiles, nuisibles et imposés, elles se sont retrouvées autour de constats communs. Et face à la nécessité de coordonner leurs luttes pour établir un rapport de force de plus grande ampleur, elles ont décidé de lancer un appel à occuper les terres et bloquer les industries qui «  dévorent les sols  »  : les soulèvements de la terre  [1].

Faire résonner les luttes pour la terre

La première phase de cette campagne d’actions s’est déclinée ce printemps au travers de différentes luttes locales préexistantes. Le 27 mars aux Vaites à Besançon pour défendre des jardins populaires autogérés contre la construction de 1 800 nouveaux logements dans une ville à la population stagnante et aux nombreux logements vacants. Les 10 et 11 avril à la Prévalaye à Rennes pour mettre en culture collectivement des terres servant régulièrement de «  compensation écologique  » pour les chantiers de la métropole et dont les «  artificialisateurs  », soutenus par la majorité «  sociale-écologiste  » voudraient à présent faire un parc de loisir aseptisé et une vitrine de l’agriculture urbaine en attendant la prochaine étape de métropolisation de cette vaste zone humide et d’expansion de crue.

Les 22 et 23 mai en Haute-Loire où 29 fermes et 20 hectares de zones humides sont menacés par une déviation devant fluidifier l’axe routier Lyon-Toulouse  [2] , alors que les terres visées par le projet sont précieuses. Un parcellaire morcelé et des sols riches permettant d’abriter une faune et une flore diverse et propice à une agriculture en polyculture élevage autonome en intrant, garantissant ainsi une sécurité alimentaire actuelle et future.

Ce sera aussi les 19, 20 et 21 juin prochains à Saint-Colombau en Loire-Atlantique pour défendre le bocage menacé par les carrières de sable et le maraîchage industriel. Cela se clôturera les 3 et 4 juillet par un grand rassemblement festif en Île-de-France qui aura lieu à la suite d’une première semaine de blocages ciblant l’industrie de construction du Grand Paris. Un avant-goût de la seconde phase d’actions prévues cet automne.

Faire atterrir l’écologie

Cette campagne, imaginée par un large ensemble de personnes issues de fermes, de Zad, de syndicats paysans et de collectifs écologistes, vise à faire «  atterrir  » les luttes actuelles. Elle replace au centre de l’écologie la question de la propriété et du mode de gestion des terres alors que, ces dernière années, la prise de conscience autour des dangers du changement climatique, de la perte alarmante de biodiversité et de la nécessité d’agir en faveur d’un changement de «  système  », a davantage eu pour sujet la planète.

De fait, malgré les fortes mobilisations lors des récentes marches pour le climat, qui ont su rassembler des dizaines de milliers de personnes, l’organisation des luttes écologiques ne pourra ni se faire à un niveau conceptuel, hors-sol et hors-échelle, ni sans opposer un réel rapport de force à l’État, ses institutions et le modèle capitaliste qu’ils défendent.

Ainsi, les signataires de l’appel, en posant la question foncière comme un enjeu majeur de lutte et situé «  à la croisée de la fin du monde et de la fin du mois  », nous rappellent que, d’ici dix ans, c’est un tiers de la surface du territoire français qui va changer de main suite au départ à la retraite de nombreux exploitants agricoles mais aussi que l’État et ses institutions laissent le champs libre aux ravages marchands des terres en organisant lui même le contournement des régulations foncières et environnementales qu’il a instituées.

Ils et elles nous proposent d’impulser et inventer des résistances nouvelles ayant pour point d’accroche, pour moyen et pour fin la récupération collective du foncier, en ville comme à la campagne, par l’installation paysanne, le rachat en commun ou l’occupation. Garantir un accès populaire à la terre, l’arracher à l’exploitation capitaliste et constituer des «  espaces libérés  » ouvre la perspective à une multiplicité d’usages communs pour permettre de prendre soin des sols, des humains et du vivant qui nous entoure  : «  La terre n’est pas du capital. C’est le vivant, le paysage et les saisons. C’est le monde que nous habitons en passe d’être englouti par la voracité extractiviste  ».

Enfin, en plus de la création d’un archipel de lutte constituant un réseau de contre-pouvoir inter-régional, l’appel des soulèvements de la terre nous exhorte à cibler et bloquer directement les industries responsables de la destruction des sols  : celles du béton, des pesticides et des engrais de synthèse, et de s’emparer des lieux de pouvoir où se décide sans nous l’attribution, l’usage et la destination des terres  : chez les aménageurs, les institutions politique, la FNSEA... Une marche jusqu’aux portes du ministère de l’agriculture et de l’alimentation est ainsi prévue pour l’ouverture de la seconde saison des soulèvements de la terre en septembre.

Un mouvement à renforcer

Si en tant que communistes libertaires nous pouvons nous réjouir de la création d’un réseau de contre-pouvoir écologique résolument anticapitaliste, dénonçant le greenwashing et les injustices sociales d’accès à la terre, notre soutien ne peut se passer d’un regard critique sur cette lutte dont la réussite dépendra de sa capacité à mobiliser massivement, à former des alliances et à garantir une autogestion démocratique de ces nouveaux communs.

La remise en question de la propriété privée doit rester un enjeu central mais la distinction entre l’occupation de terres agricoles à préserver de l’urbanisation et celle de terres à préserver de l’activité humaine quelle qu’elle soit ne doit pas non plus être négligée. Enfin il est regrettable que pour l’instant les soulèvements de la terre semblent ne concerner que des luttes déjà existantes, à nous de renforcer le mouvement, d’élargir les alliances et de rendre la création de ces nouveaux communs accessible aux plus précaires d’entre nous.

Mélissa (Commission écologie)

[1L’appel est consultable sur Lessoulevementsdelaterre.org

 
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