Macron & cie : Ils ne nous mar cheront pas dessus




Ouf. Le spectre de l’extrême droite a été repoussé et Marine Le Pen a été battue. Même si on ne place aucun espoir dans la politique institutionnelle, on ne peut pas s’empêcher de laisser échapper un soupir de soulagement. Mais ce soulagement est de courte durée car, à l’issue d’un second tour marqué par une forte abstention (25,44 % des personnes inscrites, du jamais vu depuis 1969) et une marée de votes blancs (11,47 % des votantes et votants, un record sous la Ve République), on sait très bien que le candidat choisi par défaut ne promet pas de lendemains qui chantent.

Emmanuel Macron a donc réussi son coup : profitant de l’engloutissement de Fillon et de l’implosion du Parti socialiste, le candidat de la bourgeoisie libérale et des milieux d’affaires s’est qualifié pour le second tour et a sans surprise battu Marine Le Pen. L’élection de Macron, qui semblait encore totalement improbable il y a quelques mois, précipite une clarification du paysage politique : les deux grosses machines électorales (le PS et les Républicains) ont été balayées dès le premier tour et risquent maintenant de voler en éclats à la faveur des nominations et des élections, qui mettent en tension les ambitions personnelles et les loyautés d’appareil.

Après l’élection, la recomposition

Si la désignation d’un gouvernement en partie composé de Républicains et le recyclage d’un nombre important de députés de droite ou « socialistes » sous l’étiquette La République en marche ont les effets escomptés par l’équipe Macron, on va très certainement assister à une recomposition politique autour de quatre grands blocs.

Le premier de ces blocs est le bloc « macroniste », qui se prétend « libéral » à l’anglo-saxonne (c’est-à-dire, en théorie, pour donner plus de marge de manœuvre aux entreprises sur le marché et pour donner plus de libertés aux individus dans la société) mais qui rassemble en fait, dans un curieux attelage, des personnalités de droite n’ayant pas vraiment brillé par leur tolérance (Édouard Philippe et Bruno Le Maire s’étaient par exemple abstenus lors du vote de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe) et des personnalités « de gauche » qui ont toujours fait passer les exigences du patronat avant les revendications des salarié.es. Que les sociaux-libéraux du PS, admirateurs de Tony Blair ou de Gerhard Schröder, se retrouvent aujourd’hui dans le même gouvernement que Bruno Le Maire (partisan de la réduction des indemnités chômage ou du RSA et de la mise en place de « petits boulots » sous-payés pour les bénéficiaires des minima sociaux) a le mérite de clarifier les choses !

Ce bloc vainqueur de l’élection présidentielle a le vent en poupe mais est encore fragile parce que, d’une part, sa base électorale est volatile et risque de ne pas lui offrir une majorité parlementaire franche lors des élections législatives, ce qui plomberait la prétention de Macron et Édouard Philippe à « gouverner par ordonnances » ; et parce que, d’autre part, sa base sociale est très réduite : la bourgeoisie traditionnelle lui avait préféré François Fillon tandis que les classes populaires se rappellent amèrement de sa prestation au ministère de l’économie. Ses soutiens se compteront donc essentiellement parmi les grosses entreprises et les milieux d’affaires mais aussi parmi les petits patrons, les entrepreneurs aux dents longues et tous ceux qui croient aux start-up innovantes et à l’ubérisation de l’économie.

En face, trois blocs vont se disputer le monopole de l’opposition dans l’arène politicienne.

Le premier de ces blocs est le grand perdant de l’élection présidentielle : c’est celui de la droite traditionnelle qui, si le travail de sape mené par Macron se poursuit, risque de se retrouver dans une position très précaire, coincée entre une extrême droite qui maîtrise parfaitement le registre national-sécuritaire et une « République en marche » qui joue la carte de l’ouverture et de l’efficacité.

Exposer les mensonges de l’extrême droite

De son côté, l’extrême droite, structurée par une forte culture du chef et armée d’une rhétorique simpliste mais efficace, reste pour l’instant unie derrière Marine Le Pen et continue de réduire l’ensemble des problèmes économiques et sociaux à la question de l’immigration. Le Front national a su s’adapter à des terrains électoraux très différents (anciens bastions industriels de l’Est et du Nord, zones périurbaines, villes du Sud) mais cela n’a été rendu possible qu’en adoptant des positions très élastiques et en multipliant les grands écarts.

Même si la haine des étrangers et étrangères reste son fonds de commerce, de nombreux sujets restent très clivants au sein du parti frontiste et il n’est pas exclu d’assister, à plus ou moins long terme en fonction des résultats des élections législatives, à de forts déchirements internes. Toujours est-il que, pour l’instant, la fille du capitaine continue de mener la barque sans susciter de vives critiques et risque fort de réussir à constituer un groupe parlementaire frontiste à l’Assemblée nationale, sur lequel elle s’appuiera pour tenter de se poser en chef de file de l’opposition à Macron.

L’enjeu, pour les militantes et militants antifascistes, doit donc être de continuer inlassablement à exposer les mensonges de l’extrême droite et de montrer que la vraie opposition aux attaques du capital, ce n’est pas le bulletin de vote FN mais la solidarité, la lutte sociale et l’auto-organisation collective des travailleurs et travailleuses. Sans cela, si elle ne rencontre aucune résistance, la politique antisociale de Macron servira sans aucune doute de marche-pied au FN lors des prochaines échéances électorales.

Enfin, on retrouve, à gauche, les soutiens de Benoît Hamon au sein d’un PS exsangue et les partisans de Jean-Luc Mélenchon, déterminés à afficher clairement la différence entre leurs propositions progressistes et le programme du nouveau président de la République. Empêcher la République en marche d’obtenir une majorité de sièges lors des élections législatives des 11 et 18 juin, c’est le pari de ces forces d’ores et déjà menacées par un éparpillement des candidatures…

Nous comprenons celles et ceux qui ne veulent laisser les mains libres à Macron et qui veulent qu’une opposition de gauche soit représentée à l’Assemble nationale. Mais ce n’est pas notre stratégie : nous ne pensons pas que la résistance au rouleau compresseur libéral puisse être organisée par quelques irréductibles dans les couloirs du palais Bourbon et nous ne misons pas sur les élections législatives pour empêcher le nouveau gouvernement de mettre en œuvre le programme antisocial du Président fraîchement élu.

Quelle opposition à Macron ?

Cette politique antisociale, nous allons la combattre. Car on nous promet dès l’été une nouvelle réforme du code du travail, dans la droite ligne de la loi El Khomri, avec priorité aux accords d’entreprise sur les accords de branche. Car on nous annonce la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires alors que de nombreux services publics fonctionnent déjà en sous-effectif. Car on nous parle de 15 milliards d’économies sur l’assurance-maladie en « réorganisant le système de soin » et de 10 milliards sur l’assurance chômage – autant dire une baisse des prestations et un régime encore plus injuste pour les travailleurs et travailleuses privé.es d’emploi. Car on nous fait miroiter un système de retraites « plus juste » – autant dire un alignement sur le régime le moins favorable, en faisant encore une fois passer les fonctionnaires pour des nantis.

Mais nous sommes pour que les travailleurs et travailleuses prennent directement leurs affaires en main et nous n’allons donc pas combattre cette politique en nous en remettant à des parlementaires, nous allons la combattre en nous organisant pour résister. Au sein des organisations syndicales qui ne se sont pas résolues à négocier le poids des chaînes et au sein des associations de lutte, personne n’attend rien du promoteur des lois Macron et El Khomri et il n’y aura donc ni état de grâce ni états d’âme. Rassembler les milieux militants est bien sûr une première étape, qui permet de se compter, de se motiver et de se préparer. Le « Front social », lancé le 8 mai à l’initiative de plusieurs structures syndicales, de même que la campagne « Nos droits contre leurs privilèges », qui regroupe un grand nombre d’organisations associatives ou syndicales, vont d’ores et déjà dans ce sens et nous devons y participer pour autant qu’elles permettent de regrouper les énergies et de créer des dynamiques dans des cadres démocratiques.

Travail de conviction et de mobilisation

Cependant, on ne peut pas se satisfaire de faire descendre dans la rue celles et ceux qui ont l’habitude de battre le pavé, surtout si cela conduit à dissiper des énergies militantes qui seraient bien plus utiles sur le terrain, pour mener un indispensable travail de conviction et de mobilisation : nous ne devons pas simplement réunir les convaincu.es, nous devons avant tout convaincre les indécises et indécis. Pour cela, il est nécessaire, au sein de nos organisations syndicales, que nous prenions les devants et que nous nous préparions dès maintenant à mener la vie dure au nouveau gouvernement. L’échec du mouvement contre la loi travail au printemps 2016 nous a prouvé que, pour gagner, nous devons placer la contestation au cœur des entreprises et des services, par la grève et le blocage de l’économie. Notre tâche, dans les semaines qui viennent, doit donc être de démonter la communication de Macron, de construire des résistances, de créer des solidarités et de se préparer à l’affrontement, en affirmant clairement qu’on n’apportera pas de solution au chômage, à la précarité et à la crise écologique sans remettre en cause le capitalisme, c’est-à-dire la propriété privée des moyens de production et d’échange qui nous interdit les vrais choix démocratiques.

Benjamin (AL Paris-Nord-Est)

 
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