Écologie

Agriculture : contre le servage des saisonniers




Une immense partie de l’agriculture du sud-est a subi les méfaits de la «  modernisation  ». Du pire des pratiques intensives jusqu’au quasi servage des travailleuses et travailleurs, c’est avec l’appui de l’Europe que se mettent en place des injustices d’un autre temps. Mais c’est sur ce terreau, et depuis plus de 20 ans, que lutte le Codetras.

C’est dans le contexte d’une «  modernisation  » de l’agriculture (exploitations concentrées, mécanisation accélérée, recours croissant aux engrais, augmentation des surfaces irrigables…) que le travail de la main-d’œuvre agricole a évolué depuis la Seconde Guerre mondiale  : contrats de l’Office national d’immigration en 1945 (Maroc, Pologne, Italie), puis contrats d’introduction de main-d’œuvre de l’Office des migrations internationales, jusqu’aux contrats de mission d’activités agricoles, via des entreprises de travail temporaire (ETT) basées en Europe. Et, toujours, travail non-déclaré des sans-papiers.

Censée répondre au besoin permanent de main-d’œuvre «  temporaire  » des exploitations agricoles françaises, la présence annuelle de ces travailleuses et travailleurs étrangers est en réalité une base invariable de l’agro-industrie intensive. En effet, ce statut «  saisonnier  » ne décrit pas une réalité liée au cycle des saisons mais bien à la nécessité capitaliste de réduire les coûts de la main-d’œuvre. Cela débouche trop souvent sur des relations de travail proches du servage et des relations sociales à la limite de l’apartheid. C’est en réaction à cette situation intolérable que le Codetras(Collectif de défense des travailleureuses étrangeres dans l’agriculture) s’est constitué.

Le Codetras, un collectif large et radical

Arboriculture intensive des Hautes-Alpes, cultures légumières sous serre des bords du Rhône, immenses surfaces de vergers et légumes en terre irrigables du Val-de-Durance, de la Crau et de la Camargue… La lutte du Codetras s’implante dans ce terreau. Son objet est la lutte contre l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère, contre les dénis de droits, les discriminations et contre toutes formes d’exploitation dans l’agriculture. Il réunit des paysannes et paysans, des syndicats, des associations, des militantes, des chercheureuses, des journalistes, des avocates et des juristes.

En 2000, le Forum civique européen (FCE, réseau international de solidarité), organisait une mission d’enquête en Andalousie à la suite des émeutes racistes de février à El Ejido. En août 2001, une rencontre réunit sous le titre «  L’exploitation de la main-d’œuvre dans l’agriculture intensive en Europe aujourd’hui et demain  » une grande diversité de participantes et participants. La naissance du Codetras s’inscrit dans la continuité de cette histoire qui a tissé des liens entre militantes et militants du FCE, du sud de l’Espagne et du sud-est de la France. À sa création en 2002, le collectif se centre sur les discriminations dans l’emploi agricole des Bouches-du-Rhône, dont étaient victimes les ouvriers marocains et tunisiens sous contrats saisonniers introduits par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

L’action du Codetras s’est élargie depuis à la défense des travailleuses et travailleurs détachés recrutés par l’intermédiaire d’entreprises prestataires de services essentiellement implantées en Espagne, Italie, Portugal, Roumanie et Pologne. Basé sur le droit européen, le détachement permet la mobilité au sein de
l’Union européenne et constitue, depuis une quinzaine d’années, le cadre d’emploi des travailleuses et travailleurs étrangers en Europe. Dans l’agriculture, il instaure des contrats de travail toujours plus flexibles et précaires  : pouvant être rompus du jour au lendemain, ils permettent aux employeurs de payer moins de cotisations sociales et de passer des «  commandes  » collectives d’ouvriers pour des missions précises.

En 2017, cinq travailleuses et travailleurs agricoles marocains et espagnols portent plainte contre Laboral Terra, ETT spécialisée dans le travail agricole, et huit donneurs d’ordre français se présentant comme «  bio  », qui les ont embauchés via ce prestataire. Les exploitants agricoles du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Gard embauchent régulièrement des travailleuses et travailleurs étrangers détachés dans la production, l’emballage et la distribution de leurs produits. Ces faits ne sont malheureusement pas exceptionnels, mais cette plainte, elle, est une des rares à aboutir.

Combattre les dérives du travail détaché

Cette plainte porte sur les motifs de travail dissimulé, non-paiement d’heures travaillées, non-respect des personnes, du code du travail et des conventions collectives.
Cibles d’intimidations, de pressions, de violences, largement précarisées et isolées, les victimes n’ont souvent pas les moyens de dénoncer auprès des tribunaux les pratiques illégales, inhumaines, sexistes et discriminatoires subies. Le Codetras se tient aux côtés de leur lutte et documente ces faits d’exploitation pour faire condamner les inégalités de traitement, de qualification et de rémunération, tout en renforçant la solidarité avec et entre les travailleuses et travailleurs de la terre.

Dans les champs de la plaine de la Crau, les agriculteurs et agricultrices ont massivement recours au travail détaché : une main-d’oeuvre flexible et précarisée.
MARC SALVET

Champs de lutte

La crise sanitaire liée au Covid-19 a mis en difficulté le modèle «  agro-industriel  » mais la main-d’œuvre ne peut être encore une fois sa variable d’ajustement, ni toujours subir la logique d’exploitation, raciste, sexiste et de classe. Désormais, faire la sourde oreille n’est plus possible. Suivre la composition du travail agricole dans les prochains mois et ses effets au-delà de la pandémie qui a perturbé le recrutement transnational de la main-d’œuvre permettra de comprendre les enjeux de «  libre  » circulation des travailleuses et travailleurs pour assurer la «  libre circulation  » des marchandises dans le marché unique.
Alors que la crise a mis en lumière la centralité et la performance de ces travailleuses et travailleurs étrangers intra et extracommunautaires dans les agricultures européennes, comment faire pour que cette parenthèse ouvre une lutte des premières et des permiers concernés, et conforte les mobilisations des réseaux solidaires et acteurs du monde paysan  ?

Le Collectif de défense des travailleur.euses étranger.ères dans l’agriculture

Plus d’infos sur Codetras.org

 
☰ Accès rapide
Retour en haut