Dico anticapitaliste : « Le ghetto »




Chaque mois, un mot ou une expression passée au crible.

À l’origine le mot désigne un quartier juif de Venise au XVe siècle, établi sur des critères de différenciation religieuse. Le ghetto moderne résultant d’une « quartiérisation » imposée à une population racisée est apparu notamment lors de la seconde guerre mondiale. À cette époque, les nazis avaient confiné la population juive dans plusieurs quartiers (notamment à Varsovie et Cracovie) victime de l’isolement et de la faim, avant la déportation et l’extermination. Par la suite, le terme à été repris pour désigner les quartiers à forte ségrégation sociale et raciale (Harlem aux Etats-Unis, le township de Soweto à l’heure de l’Apartheid sud-africain). Malgré la fin des lois raciales dans ces deux pays, les ghettos n’y ont pour autant pas disparu, les rapports de domination raciste non plus.

Aujourd’hui le terme est employé de manière paradoxale, dans le sens de la stigmatisation (pour certaines élites) comme de la revendication (pour certains entrepreneurs politiques), afin de qualifier tout quartier censément homogène racialement et socialement, qui abriterait une population de prolétaires racisés et concentrés dans des espaces matériellement dégradés.

Les sociologues sont divisés concernant la question de la réalité française des ghettos. Certains, tel Loïc Wacquant, réfute le terme parce que la comparaison avec les États-Unis indique qu’il n’existe pas en France des territoires semblables aux ghettos états-
uniens, peuplés à plus de 90 % par des individus originaires du même pays, vidés de tout service public étatique, et dans lesquels l’économie informelle, avec usage des drogues et des armes à feu, couvrirait 90 % des activités. D’autres, tels Éric Maurin ou Michel Pinçon, usent du terme, mais surtout pour indiquer les doubles processus d’agrégation des riches pour lesquels l’entre-soi conduit au ghetto volontaire, et corrélativement de ségrégation des pauvres qui souffrent involontairement de logiques étatiques et économiques de concentration sociale (et raciale).

Le phénomène social de séparatisme, volontaire s’agissant des riches jouissant des « ghettos du gotha », se double donc du côté des pauvres des processus contraints de marginalisation territoriale (la banlieue) parachevant les dynamiques de précarisation du prolétariat et de sa division résultant de l’oppression raciste. Ultime paradoxe : si le terme de ghetto n’est jamais employé par ceux qui vivent dans les espaces privilégiés et séparés propices à l’entre-soi grand-bourgeois, il est paradoxalement mis en avant par les individus qui, s’ils subissent les effets de la ségrégation socio-spatiale, ne vivent pas (encore) dans les ghettos des prolétaires racisés étasuniens.

par la Commission antiracisme

 
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