Élection présidentielle : quelle démolition sociale après le 6 mai ?




Alternative libertaire ne donnera pas de consigne de vote ou de non-vote pour cette campagne électorale. Il n’y a rien à attendre, et notamment rien de positif, de ces élections. Elles ne sont en aucun cas un moyen de transformer la société dans un sens progressiste. En revanche, elles peuvent changer nos vies en pire. Il y a intérêt à garder un œil dessus, histoire de savoir ce qui attend les travailleuses et les travailleurs après le 6 mai.

“ Lamentable ”, “ ennuyeuse ”, “ consternante ”… Les termes assassins ne manquent pas pour caractériser une campagne présidentielle, il est vrai, passablement médiocre. C’est si vrai que la majorité des électrices et des électeurs ne savent toujours pas même pour qui voter le 22 avril.
Mais ce n’est pas parce que les médias s’intéressent pour la plupart aux petites phrases et aux effets de manche des candidates et des candidats qu’il faut rester tétanisé devant cet écran de fumée. Derrière le spectacle, les programmes permettent de savoir plus ou moins précisément comment évoluera le régime.

La force tranquille du FN

Le champion de l’extrême droite a de bonnes chances de faire un meilleur score qu’il y a cinq ans, et, du coup, d’être une nouvelle fois présent au second tour. Quoi qu’il advienne, Le Pen attaque la campagne dans une position de force. Il peut s’enorgueillir d’être le politicien qui a le plus influencé la politique de cette législature finissante, notamment en ce qui concerne la politique sécuritaire et de fermeture des frontières.

On retrouve sa marque dans plusieurs propositions du candidat Sarkozy : remise en cause du droit de grève par l’instauration du service minimum, principe d’un vote majoritaire pour rendre la grève légale dans le secteur public, instauration d’un service minimum dans les services publics dès juillet 2007, abrogation de la carte scolaire, opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne…

Une fois de plus, non seulement le Front national peut faire valoir que l’original vaut mieux que la copie, mais il peut se permettre d’opter pour une campagne moins agressive et plus discrète que d’habitude, puisqu’il dispose de plusieurs faire-valoir (Sarkozy, De Villiers) qui “ œuvrent ” pour lui, et que la candidate du PS, Royal, a fait le choix de ne pas remettre en cause la politique anti-immigrés du gouvernement tout en faisant, elle aussi, de la surenchère dans le domaine de la sécurité.

Cours Sarkozy, Le Pen est derrière toi

Mais revenons à Sarkozy. Ce dernier incarne une droite de plus en plus autoritaire, ultralibérale et décomplexée. Sa mainmise sur la police et les grands médias, et ses interventions multiples en matière de justice en disent long sur sa soif de pouvoir.

La rupture qu’il appelle de ses vœux fait écho à la volonté de puissance d’une bourgeoisie pressée d’en finir avec tout ce qui limite son pouvoir et à la recherche d’une rentabilité maximale. Le programme de Sarkozy est celui qui répond sans doute le plus fidèlement au programme du Medef – défiscalisation, mise en pièces du Code du travail, destruction de l’Éducation nationale –, même s’il n’est pas le seul à le caresser dans le sens du poil. La “ rupture ” se décline également en termes de politique internationale puisque le Napoléon de l’UMP ne cache pas sa volonté de rompre avec l’héritage gaulliste pour le choix atlantiste d’un partenariat plus étroit avec Washington. Enfin, on notera que Sarkozy entend affaiblir la laïcité en modifiant la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905.

Bayrou sur les traces de Prodi

Si l’UMP est unie de façon quasi militaire derrière son champion, la droite n’échappe pas complètement à la division pour l’échéance présidentielle. Bayrou et Sarkozy s’affrontent sur le terrain des ambitions mais pas seulement. Bayrou et ses supporters, au nom d’un héritage démocrate-chrétien, ne vont pas aussi loin que l’UMP dans la surenchère antisociale, même si la droite libérale constitue leur point d’ancrage commun, et ils entendent se démarquer du discours autoritaire des sarkozystes.

Pour faire contre-poids à l’UMP, Bayrou veut tendre la main au PS afin de former une majorité sociale-libérale, et il entend incarner ainsi une stratégie semblable à celle du démocrate-chrétien Romano Prodi, qui dirige en Italie une coalition allant de la démocratie chrétienne au Parti communiste et aux trotskystes [1].

Pour l’heure, le PS a choisi d’ignorer les invitations à pactiser de la part du leader de l’UDF. Pourtant, rien dans son programme ne lui interdit de faire le pas. L’effondrement des Verts et le maintien du PCF à son niveau d’étiage pourraient rendre le PS plus sensible aux appels de cette partie de la droite qu’on appelle “ le centre ”.

Le Parti socialiste maquillé à gauche

Le programme socialiste est marqué par une ambivalence mais surtout beaucoup de flou. Le PS semble avoir tiré avec quelques années de retard une partie des leçons des deux échecs de Jospin en 1995 et 2002. C’est la raison pour laquelle il a tenu à se doter d’un vernis de gauche. On peut douter de la volonté réelle du PS sur certaines d’entre elles (suppression du contrat nouvelle embauche, maintien des services publics en milieu rural, lutte contre le réchauffement climatique…).

Mais d’autres promesses sonnent elles carrément comme des mensonges voués à l’oubli sitôt l’élection passée : le Smic à 1 500 euros brut “ le plus tôt possible ”, ou le maintien d’un pôle public de l’énergie EDF-GDF (donc retour sur la privatisation de GDF et la fusion avec Suez) par exemple.
Pour preuve qu’une campagne électorale fonctionne comme une véritable vidangeuse, Royal avait annoncé à l’automne 2006 que sa première mesure de présidente serait de légiférer contre les violences faites aux femmes et s’inspirant de la loi espagnole, qui est la plus avancée dans ce domaine. Depuis que sa campagne est officiellement lancée, elle n’en fait plus mention. En ce qui concerne le droit des étrangères et des étrangers, le PS promet d’assouplir la loi Sarkozy mais évidemment pas de l’abroger. Le fantasme de l’invasion étrangère qui sous-tend les programmes des principaux partis est prégnant et le PS opte contre une régularisation de toutes et tous les sans-papiers.

Enfin, l’encadrement militaire des jeunes délinquantes et délinquants, et l’instauration d’un service civil qui pourrait être obligatoire montrent la poursuite d’une dérive sécuritaire et autoritaire.

Restent enfin les sujets sur lesquels le plus grand flou laisse augurer d’une politique dans les pas de Raffarin et Villepin : projet nucléaire EPR, 35 heures, retraites… sans parler de la remise sur le tapis du Traité constitutionnel européen sans précision sur l’évolution de son contenu.

La gauche de la gauche dans l’impasse

Restent les autres candidates et candidats à la gauche du PS (Laguiller, Buffet, Besancenot, Bové) et les Verts (Voynet).

Avec le PCF, la LCR et la campagne Bové, c’est sur la question du “ débouché politique ” et sur l’autonomie des luttes et du mouvement social que nous devons débattre, et non sur le fait de savoir qui est le plus à gauche, le plus anticapitaliste ou encore le plus unitaire.
C’est ainsi que les militantes et militants du PCF devront justifier leur attitude dans les récents conflits sociaux (grève des centres de tri, grève des agents de conduite SNCF, lutte contre le décret De Robien dans l’Éducation nationale…). À chaque fois, la plupart d’entre elles et eux se sont opposé-e-s à une extension des grèves, pour plusieurs raisons.

D’abord parce qu’elles ne correspondaient pas à leurs méthodes et à la volonté des organisations syndicales (CGT, FSU) qu’ils et elles animent, ensuite parce qu’elles ne relevaient pas de leur initiative, enfin parce qu’ils et elles redoutent un affrontement social en pleine période électorale. Ces arrière-pensées ne sont généralement pas présentes chez LO et à la LCR, mais la folle énergie dépensée pour la campagne présidentielle leur interdit de fait de jouer un rôle offensif sur le terrain social.

Enfin, la candidature Bové doit plus à l’ego de l’ancien leader paysan qu’à une aspiration des mouvements sociaux, qui ne lui ont du reste rien demandé. Plusieurs militantes et militants libertaires des mouvements sociaux ont d’ailleurs signé une tribune, “ La fausse bonne idée de la candidature Bové ”, qui met à ce sujet les points sur les i (voir ci-conte). José Bové a le droit d’entreprendre une carrière politicienne si cela lui chante. Le faire en prétendant porter la voix des mouvements sociaux est en revanche plus que douteux.

Depuis la victoire sur le CPE l’an dernier, les différentes attaques antisociales du gouvernement n’ont guère rencontré d’opposition solide. Cela devrait faire réfléchir toutes celles et ceux qui entendent faire exister un “ débouché politique ” aux luttes… en oubliant au passage que le premier débouché aux luttes, c’est leur victoire, et que c’est cela qui aujourd’hui fait défaut.

Ce spectacle est d’autant plus révoltant que les élections, si elles contribuent par leur effet de rouleau compresseur médiatique à écraser toute expression politique autonome, constituent paradoxalement un moment où les gouvernements finissants sont plus vulnérables. Pour gagner, Sarkozy a l’obligation de rassembler au-delà de son électorat et il ne peut pas l’emporter en jouant sur les seules cartes de l’ultralibéralisme et de la répression. Les mobilisations de cet hiver sur le logement (Enfants de Don Quichotte, DAL…) l’ont bien montré en remettant la question du logement au centre du débat. C’est un exemple à suivre et à multiplier.

Pour Alternative libertaire, il faut cesser d’être des spectatrices et spectateurs passif-ve-s de cette parodie de démocratie. Pour nous, le changement s’imposera d’abord et avant tout par les luttes, et, pour espérer décider et exercer un pouvoir sur nos vies, il faut rompre avec un système infantilisant fondé sur la délégation de pouvoir, au profit de la démocratie directe et de l’autogestion. C’est cette affirmation qui est au cœur de la campagne développée par AL à l’occasion de cette campagne présidentielle.

Laurent Esquerre (AL Paris Nord-Est)

[1Les deux sénateurs trotskystes de la coalition ont d’ailleurs voté les crédits militaires au corps expéditionnaire italien en Afghanistan, ce qui a évidemment ouvert une crise dans la section italienne de la IVe Internationale...

 
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