FN : le retour, encore




Venant après le score réalisé par Marine Le Pen lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (près de 6,5 millions de votant-e-s, 17,9% des suffrages exprimés), la conquête par le FN de 14 mairies et les bons résultats de ses listes dans un grand nombre d’autres communes lors des récentes élections municipales montrent clairement que la parenthèse ouverte avec son éclatement en 1998-1999 est définitivement fermée.

Apprécier le sens et la portée de la «  renaissance du FN  » – éléments nouveaux de stratégie et de discours – suppose de souligner d’emblée qu’elle n’est en réalité rien d’autre qu’une continuité.

La base électorale du FN reste aujourd’hui ce qu’elle était déjà au moment de sa percée sur la scène politique française au milieu des années 1980. Il continue à réaliser ses meilleurs scores au sein à la fois des catégories moyennes traditionnelles (petits agriculteurs, artisans et petits commerçants, professions libérales, petits entrepreneurs) et au sein du salariat populaire (ouvriers et employé-e-s).

Plus particulièrement, le FN parvient à séduire ceux de leurs éléments qui sont ou craignent de devenir les victimes des politiques néolibérales qui entretiennent et aggravent la crise du capitalisme. Victimes au sens où elles en subissent les effets néfastes en terme de dégradation de leurs conditions d’existence  : appauvrissement relatif ou même absolu, précarité grandissante, menace sur le maintien de leur statut social, absence de toute perspective de mobilité ascendante pour soi et les siens  ; mais victimes aussi au sens où ces éléments sont ou croient être incapables de trouver par eux-mêmes  : par leurs ressources personnelles, leur mobilisation collective, leurs organisations professionnelles, les moyens de faire face à cette dégradation.

Le FN demeure ce qu’il était

Il en résulte la formation d’une attitude de ressentiment (de rage impuissante, de rumination stérile de ses maux, de sentiment d’une profonde injustice à laquelle on ne peut remédier, de haine et de mépris de soi fondés sur le sentiment de sa propre dévalorisation, etc.) qui est propice à la recherche de boucs émissaires mais aussi à la disposition de s’en remettre à un homme ou à une femme providentiel-le censé-e garantir son salut.

C’est en exploitant leur ressentiment que le FN parvient à séduire ces catégories sociales. D’une part, par sa xénophobie qui leur désigne l’étranger extérieur (l’Europe, le monde arabe, l’islam, la Chine, etc.) ou intérieur (les «  immigrés  », les «  faux  » et les «  mauvais  » Français, la gauche) comme responsable de tous leurs maux tandis que son chauvinisme leur redonne une dignité (imaginaire) en tant que Français.

D’autre part, par son projet politique qui consiste à fusionner ces catégories en un bloc nationaliste auquel il assigne la mission de restaurer l’État-nation dans l’intégralité de ses prérogatives antérieures à son démantèlement rampant sous le coup des politiques néolibérales de déréglementation et de libéralisation et de son intégration dans l’Union européenne, en promettant d’en faire le cadre et le moyen de la solution de tous leurs problèmes socio-économiques.

« dédiabolisation » et « gauchissement » ?

Ces éléments, déjà ingrédients du FN des années 1980-1990, permettent de mieux apprécier les nouveautés introduites dans son discours et sa stratégie depuis que Marine Le Pen a pris la succession de son père à la tête du FN. Nouveautés qui se réduisent d’une part à la tentative de «  dédiabolisation  » du FN, d’autre part au « gauchissement » de son discours, les deux étant d’ailleurs étroitement liés.

Jean-Marie Le Pen avait toujours envisagé d’arriver au pouvoir à la faveur d’une crise nationale majeure, discréditant toutes les autres formations politiques et le faisant apparaître comme l’homme providentiel, à la manière d’un Philippe Pétain en juin 1940. En conséquence, il se refusait à envisager toute espèce d’alliance avec la droite dite républicaine, qu’il haïssait au moins autant que la gauche. Et ce à rebours d’un Bruno Mégret, devenu son lieutenant à partir de la fin des années 1980, qui avait déjà compris que la conquête du pouvoir, au niveau central (gouvernemental) tout comme au niveau local (les municipalités, les départements et les régions), ne pouvait se réaliser qu’en s’alliant avec au moins une partie de la droite.

C’est le conflit entre ces deux stratégies bien plus que la querelle entre les deux hommes autour de la succession de Le Pen qui a conduit à l’éclatement du parti en 1998-1999, lui faisant perdre un tiers de ses électeurs et surtout les deux tiers de ses cadres.

Derrière la «  dédiabolisation  » recherchée par l’équipe emmenée par Marine Le Pen, destinée à rendre le FN fréquentable par la droite de la droite, se cache en fait une reprise par cette dernière, à plus de dix ans de distance, de la stratégie de l’opposant le plus résolu à son père, Bruno Mégret. La fille est donc en train de trahir le père, dans la plus belle tradition de la tragi-comédie du pouvoir.

Et c’est dans ce cadre que doit se comprendre aussi le récent «  gauchissement  » du discours du FN, soit la reprise sur un mode propagandiste d’un certain nombre de revendications du monde salarial (en matière de défense de l’emploi, des salaires, de la protection sociale, etc.). Car l’alliance que le FN recherche avec une partie de la droite n’a quelque chance de se produire et, surtout, d’être durable, que si elle parvient à constituer et à solidifier un bloc social (un système d’alliance de classes) regroupant une partie du prolétariat, le gros des classes moyennes traditionnelles et la partie de la bourgeoisie dont les intérêts se situent essentiellement dans le cadre du marché national – le FN se chargeant plus particulièrement de séduire les éléments prolétariens.

Un tel bloc social pourrait alors servir de base à une politique de rupture avec l’ordre libéral régnant aujourd’hui en Europe, impliquant évidemment la sortie et de la zone euro et de l’Union européenne.

La réussite d’une telle stratégie dépendra en définitive, par delà les péripéties électorales et politiciennes, des rebondissements de la crise structurelle au niveau mondial, de la poursuite ou des inflexions des politiques d’austérité libérale au niveau européen mais aussi et surtout de la capacité des organisations de la gauche radicale de polariser la résistance et les luttes du monde salarial dans le sens non pas d’une crispation nationaliste et réactionnaire mais d’une offensive anticapitaliste. Telle est bien en définitive le défi que le FN nous lance aujourd’hui.

Alain Bihr

 
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