Lire : Grojean, « La Révolution kurde »




Non, ce n’est pas le énième livre pour exalter le courage des combattantes kurdes. Ce n’est pas non plus un tissu de billevesées malveillantes à la Jean-Pierre Filiu, ni un servile storytelling pro-PKK. C’est encore moins une tribune néocolonialiste à la Kouchner, qui ne verrait dans la cause kurde qu’un pion sur l’échiquier géopolitique.

Le livre d’Olivier Grojean est simplement un bel effort de synthèse, tout en sobriété, fondé sur le dépouillement de vingt-cinq ans de travaux sociologiques menés par des chercheuses et des chercheurs – souvent allemands – sur le PKK et sa mouvance. Il confronte l’évolution de son idéologie à la réalité de ses pratiques, aux permanences de son fonctionnement, à ses interactions avec la société civile et avec la diaspora, scrute la discipline dans ses unités combattantes, la montée des femmes, le rapport à l’icône Abdullah Öcalan, son fondateur et principal dirigeant…

Le livre est très instructif, à condition de ne pas se méprendre : il n’offre pas une vision exacte de ce qu’est la gauche kurde en 2017. Sur certains sujets, il souffre de l’absence de sources datant de moins de quinze ou vingt ans. Beaucoup de descriptions ou d’analyses sont donc valables pour les années 1990 ou 2000, et le livre, malgré sa prudence, ne permet pas toujours de discerner dans quelle mesure elles valent encore aujourd’hui. Il fournit en revanche de bonnes clefs de compréhension généalogiques.

Ainsi de la «  théorie de l’Homme nouveau » qui dans la résistance va se libérer de son ancienne personnalité de colonisé. Grojean la décèle dans des écrits d’Öcalan et d’autres leaders du PKK et la rapproche de la pensée de Frantz Fanon. Cette théorie a visiblement marqué la pratique dans les années 1990, alors que le PKK, en train de prendre ses distances avec le marxisme-léninisme, cherchait à élever sa doctrine à la hauteur d’une entreprise civilisationnelle. Qu’en est-il vingt ans plus tard ? L’auteur ne se risque pas à le mesurer.

Même remarque pour ce qui est de l’émancipation des femmes, thème emblématique de la gauche kurde. Olivier Grojean décortique les ambiguïtés de la « théorie de la Femme libre » élaborée par Öcalan à la fin des années 1980, en l’imbriquant dans la lutte anticolonialiste. Cette théorie était porteuse à la fois d’une promotion inédite des femmes, en rupture avec le patriarcat, et d’un essentialisme quelque peu inquiétant. Trente ans plus tard, qu’en subsiste-t-il dans le vaste mouvement des femmes ­kurdes, qui a pu se frotter à d’autres pensées féministes ?

Parmi les chapitres les plus intéressants, on citera encore celui sur les « convergences entre les projets politiques » du PKK et de l’EZLN mexicaine ; celui sur l’« autonomisation de la cause écologiste » ; « l’économie sociétale » au Rojava ; les « espaces gouvernés par le PKK » au Rojava, au Sinjar et à Maxmûr...

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

  • Olivier Grojean, La Révolution kurde. Le PKK et la fabrique d’une utopie, La Découverte, 2017, 256 pages, 17 euros
 
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