Routiers et dockers : Des victoires certes… mais pas sur les ordonnances




Début octobre, les routières et routiers auraient imposé un recul important au gouvernement à propos des ordonnances modifiant le Code du travail. Qu’en est-il vraiment ? Le compromis passé ne risque-t-il pas de s’avérer trompeur sous peu ?

Le contexte de l’accord passé entre le patronat et les organisations syndicales représentatives dans le transport routier repose sur deux éléments : la casse du Code du travail organisé par les ordonnances gouvernementales d’une part, un minimum de rapport de forces favorable aux travailleurs et travailleuses du secteur d’au­tre part.

Avec plusieurs journées de grèves, quelques barrages filtrants et tentatives d’occupations, et malgré une relative désunion syndicale, les routiers auraient obtenu, avec cet accord du 4 octobre, que la convention collective continue, dans leur branche professionnelle, à primer sur les accords d’entreprise. Des commentateurs et commentatrices de la lutte des classes se sont empressé.es d’y voir une « trahison » du mouvement interprofessionnel. Cette sentence, outre qu’elle n’a aucun intérêt lorsqu’elle vient de gens qui n’organisent pas de luttes, est en décalage avec la réalité de cet automne 2017. Quand il y a un mouvement interprofessionnel fort, organiser sa fin en négociant secteur par secteur, voire entreprises par entreprises, est une tactique bien connue, condamnable et à combattre.

Mais nous n’étions pas dans cette situation ces derniers mois. Dès lors, il n’est pas stupide que les travailleurs et travailleuses des rares secteurs mobilisés essaient d’arracher des acquis sectoriels.

Mais justement, les acquis annoncés sont-ils vraiment là ? Les routières et routiers refusaient que leurs primes et leur 13e mois puissent être revus entreprise par entreprise – ce que les ordonnances prévoient explicitement. Ont-ils obtenu que, sur ces sujets, leur convention collective continue à s’imposer ? Oui et non…

En 2016, la situation était plus proche d’un mouvement généralisé (SNCF, raffineries, ordures ménagères…), et cela pouvait intéresser le gouvernement de le diviser en faisant des concessions à un secteur-clef comme le transport routier. Ainsi, alors que la loi Travail prévoit qu’une baisse de la rémunération des heures supplémentaires peut être imposée par des accords d’entreprise, les routières et routiers avaient gagné que ce ne soit pas le cas dans leur branche.

Cette fois, il n’en est pas de même. En réalité, il y a eu un tour de passe-passe, qui risque de ne pas faire illusion longtemps. L’accord prévoit que « les éléments de rémunération compensant le travail de nuit, les jours fériés et les dimanches seront désormais partie intégrante des salaires minimaux hiérarchiques » ; de même pour le 13e mois. Autrement dit, ces primes disparaissent en tant que telles et seront intégrées au salaire, dont les montants continuent à être fixés par la convention collective. Ainsi, elles ne peuvent effectivement pas être remises en cause par des accords d’entreprise. Mais cela, c’est la situation à la date du 4 octobre 2017 et pas au-delà. Dès lors qu’il sera question de discuter de nouveau de primes, fussent-elles prévues par la convention collective, les ordonnances s’appliqueront bien aux routières et routiers, et la « négociation » pourra s’imposer entreprise par entreprise !

Les «  spécificités  » des ports et docks

Comment pourrait-il en être autrement d’un strict point de vue légal ? Avec les ordonnances de septembre 2017, la loi prévoit, pour toute une série de sujets, de faire tomber la supériorité obligatoire de la convention collective sur l’accord d’entreprise. Dans ce contexte, des « partenaires sociaux » épris de consensus peuvent bien signer des accords dans leur secteur prévoyant que la convention demeure applicable partout et pour tous les sujets… cela n’aura aucune valeur légale. Dès lors qu’un patron décidera de ne pas le faire, il pourra brandir la loi, qui stipule le contraire !

Il en va différemment pour les dockers : disposant d’un statut particulier, la profession s’est vue confirmer que « l’ensemble des stipulations en vigueur de la convention collective nationale unifiée ports et manutention relatives au contrat de travail conserve son caractère impératif, compte tenu des spécificités de la branche reconnues par la loi en 2008 puis en 2015 ». Là, on peut vraiment parler d’une non-application des ordonnances, mais cela a été rendu possible par les lois spécifiques au secteur.

Ces accords permettent donc de limiter la casse dans ces deux secteurs, et ce n’est pas négligeable dans une période où la tendance est plutôt aux défaites sociales pour notre camp ; mais ils ne sont nullement des « failles importantes » dans le dispositif des ordonnances comme cela a pu être trop rapidement écrit…

Christian (Paris Banlieue sud-est)


Rappel sur la hiérarchie des normes

A priori, tous les secteurs professionnels sont potentiellement concernés par la remise en cause de ce qu’on appelle « la hiérarchie des normes ». Au fil du XXe siècle, le Code du travail s’est construit sur les principes suivants :

• le Code du travail prévoyait un ensemble de normes, applicables dans toutes les entreprises et bénéficiant à toutes et tous les salariés ;

• une convention collective (de métier ou de branche industrielle) ne pouvait être moins favorable aux salarié.es que le Code du travail ;

• un accord d’entreprise ne pouvait être moins favorable aux salarié.es que la convention collective. Ce qui était obtenu par les luttes syndicales dans de grandes entreprises ou à l’occasion de grèves généralisées bénéficiait aussi aux salarié.es d’établissements, entreprises et secteurs où le rapport de forces était moindre.

À compter des années 1980, plusieurs gouvernements de droite et de gauche avaient déjà écorné ce principe, mais il subsistait ce qu’on appelle le « principe
de faveur ». La loi Travail 2016 l’a annulé. Pour tout ce qui concerne le temps de travail, c’est entreprise par entreprise que ce sera « négocié ».

En réalité, dans bien des cas, là où le nombre de syndiqué.es ne crée pas une force suffisante, le patron imposera ses vues en faisant du chantage à l’emploi. La loi Travail de 2017, à travers les ordonnances, étend considérablement le champ des sujets à « négocier » entreprise par entreprise, sans que la convention collective puisse représenter un quelconque plancher.

 
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