Education Nationale

Vers la démission de Blanquer et au-delà




Ce mois de janvier a été marqué par un mouvement de grève d’une ampleur inédite dans l’Éducation nationale. Si les conditions ubuesques dans lesquelles ont été annoncés les derniers protocoles au sein des établissements scolaires y sont pour beaucoup, les causes du malaise sont plus profondes et les revendications doivent maintenant aller bien au-delà se porter sur le terrain social.

Avant les congés de fin d’année, l’horizon était la journée de grève du 27 janvier pour les syndicalistes de l’Éducation nationale. D’une part parce que la préoccupation des salaires, dans ce secteur comme dans le reste du monde du travail, est une question revendicative importante, liée à l’augmentation du coût de la vie. Question qui s’était déjà concrétisée qui plus est par une grève spécifique sur la question le 26 janvier 2021. D’autre part parce que depuis cette date, et à l’appui d’un travail syndical de terrain important et de plusieurs journées de grève nationale, les personnels [1] se mobilisent fortement et régulièrement sur le triptyque  : «  un vrai métier, un vrai statut, un vrai salaire  ».

Rappelons que ces personnels précaires représentent près de 120 000 salariées, à 90 % des femmes, payées en dessous du SMIC  [2]. L’intersyndicale nationale AESH, dans laquelle SUD éducation joue un rôle moteur, travaillait ainsi à une nouvelle journée de mobilisation au mois de janvier. Il y avait quand même une inquiétude sur la force de l’engagement des personnels  : les équipes syndicales constataient depuis des mois les effets néfastes de la crise sanitaire sur les collectifs de travail et les capacités de mobilisation. Mais Jean-Michel Blanquer est une source presque inépuisable de radicalisation.

Blanquer, ministre autoritaire

La vague épidémique liée à l’apparition d’un nouveau variant de coronavirus, Omicron, allait frapper la société française de manière spectaculaire. Durant les fêtes de fin d’année la question de reporter la rentrée des classes de janvier d’une semaine se pose, afin d’éviter une circulation et des contaminations encore plus massives du nouveau variant, ultra-contagieux. Blanquer, chantre de « l’école ouverte » ne veut rien savoir. Et opter pour un ralentissement généralisé n’est pas dans l’intérêt du patronat de toute façon.

Les écoles, collèges, lycées et lycées professionnels reprennent donc bien le 3 janvier… avec un protocole plus allégé encore qu’à la veille des congés. Fidèle à sa ligne de conduite depuis le début de la crise épidémique, le ministère fait le choix de casser le thermomètre pour régler la question de la température. Le fameux protocole, annoncé dans un article payant en ligne le 2 janvier, se résume en termes d’investissements à… rien.

Évidemment, dès la première semaine, un tsunami de cas contacts et positifs désorganise complètement le service public d’éducation. Les «  aménagements  » de protocoles s’enchaînent (il y en aura quatre successifs), jonglant entre auto-tests et attestations sur l’honneur, accentuant la cacophonie institutionnelle. On est à des années-lumières de tout plan d’urgence surtout, puisqu’à part « ouvrir les fenêtres », il n’y a aucune dotation en masques (chirurgicaux ou FFP2) pour les personnels (ne parlons pas des élèves) et capteurs de CO2 et purificateurs d’airs tiennent du mirage. Quant à construire et aménager le bâtis des écoles et établissements, le sujet n’existe pas.

Les premières Assemblées générales et débrayages se tiennent dans les établissements. On se souvient du mois de novembre 2020, où déjà une reprise des cours s’était faite avec une augmentation des contaminations sans prise en compte institutionnelle. Samuel Paty avait été assassiné par un intégriste islamiste et pour la grande majorité des personnels le temps de recueillement proposé, comme ses modalités, n’étaient pas à la hauteur, ajoutant à la colère. Là aussi, AG, débrayages et grèves s’étaient multipliés. Les personnels élaborant même des protocoles alternatifs  [3]

La grève du 13 janvier 2022 est historique avec 75 % de grévistes dans le premier degré et 65 % dans le second degré. Et c’est bien ce qui est déterminant.

Grève sanitaire

En cette rentrée de janvier 2022 on retrouve un peu de cet esprit dans les échanges entre personnels, accentué par des contaminations plus fortes encore. Des premiers appels à la grève s’imposent dans des départements pour le 11 janvier. L’effet d’accélération est notable dès le jeudi 6 janvier. Très vite la journée du jeudi 13 janvier est en ligne de mire. Si le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire du premier degré, est le premier à rendre public l’appel, les autres organisations syndicales n’en étaient pas moins en pleine préparation de cette date.

La colère est profonde dans tous les métiers de l’éducation nationale. Même le peu combatif Sgen-CFDT est obligé d’en tenir compte et, bousculé par ses adhérentes, se rallie à la journée de grève du 13 janvier. L’arc intersyndical est inédit et même les syndicats d’inspectrices et inspecteurs et de personnels de direction appellent à la grève. La principale Fédération de parents d’élèves, la FCPE, est de la partie. Pour essayer de casser la montée à la grève, Castex se sent contraint d’annoncer en urgence que des masques chirurgicaux arriveront «  d’ici fin janvier  » dans les établissements scolaires.

70% de grévistes

Le 13 janvier la grève est historique avec 75 % de grévistes dans le premier degré et 65 % dans le second degré. Et c’est bien ce qui est déterminant. Les cortèges sont partout dynamiques, même si ne faisant pas le plein. La grève est soutenue largement. L’intersyndicale nationale est reçue en audience le soir même par Castex, Véran et Blanquer. Il en ressort quelques annonces mais très loin du compte, reposant pour l’essentiel sur quelques milliers d’emplois précaires en renfort annoncés – ce qui est très peu rapporté au million d’agents de l’Éducation nationale. Dans les jours qui suivent la question est  : comment rebondir  ? Certaines AG de grévistes ont appelé à une nouvelle journée de grève le 18, d’autres le 20, d’autres encore veulent manifester le samedi 22 avec les parents d’élèves. La Fédération SUD éducation prend l’initiative de proposer à l’intersyndicale nationale d’appeler au 20 janvier. Ce sera chose faite, un peu par volontarisme, tout le monde le sait. Mais avoir une sorte de «  grève tampon  », imprimant d’une grève à l’autre, du 13 au 27 janvier, est une manière de continuer à battre le fer, même un peu refroidi.

Car il faut le dire, le 20 janvier est bien plus faible et témoigne de la volonté des personnels de journées unitaires, de journées « qui s’imposent » d’une certaine manière. Pourtant la révélation par Mediapart d’un protocole annoncé le 2 janvier depuis Ibiza par Blanquer est un nouveau coup porté au ministre. Là encore SUD éducation se distingue en assumant pleinement la revendication de la démission de Blanquer. C’est le seul syndicat à le faire. À l’heure où est écrit cet article, la journée du 27 janvier n’est pas passée. Nous verrons si les réserves de radicalité dans le secteur de l’éducation s’y sont reportées ou pas.

Quoi qu’il en soit, la question reste entière pour les syndicalistes de lutte : comment construire une puissante mobilisation dans la durée, auto-organisée par les personnels eux-mêmes, et qui ancrerait la question scolaire dans le camp des classes populaires. Pour remettre le mouvement social au centre du jeu.

Théo Roumier

[1AESH Accompagnant des élèves en situation de handicap.

[2Voir le tract de SUD éducation « Le 8 mars, en finir avec la précarité pour les femmes  : un statut pour les AESH », publié le 25 février 2021

[3« De l’autodéfense sanitaire dans l’éducation », article pour le site de l’Association Autogestion, 9 novembre 2020.

 
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