CGT : Une gauche syndicale à construire




Depuis des années, on annonce la mue réformiste de la CGT, sensible dans l’orientation confédérale majoritaire. Pourtant, une majorité de syndicalistes CGT conserve des pratiques combatives. État des lieux des oppositions anticapitalistes au sein de la CGT.

Le 50e congrès confédéral de la CGT de mars 2013  [1] a été marqué de façon générale par la poursuite des orientations des précédents congrès  : celles d’un syndicalisme de propositions et de négociations, mâtiné de quelques grandes journées de grèves et manifestations en soutien à une stratégie syndicale fondée sur le dialogue social – entre «  partenaires sociaux  » responsables sous l’égide d’un État protecteur. Ce constat est en partie vrai si on ne prête attention qu’aux déclarations de ses dirigeants les plus médiatisés et aux textes de congrès. En effet, les concepts de «  syndicalisme rassemblé  », «  démocratie sociale  », «  syndicalisme d’adhérents  », «  syndicalisme de propositions et de négociations  »… sont conçus et mis en œuvre sur le terrain d’une toute autre manière par nombre de syndicalistes CGT. Et pour cause, une forte minorité, toutes sensibilités confondues, de la base au sommet, en ont une approche différente, marquée par le primat du rapport de forces.

Entre réformisme et radicalité

Le problème majeur, qui s’est encore vérifié au congrès de mars 2013, c’est l’incapacité à construire une orientation cohérente et alternative à celle des textes préparatoires. On peut le vérifier dans les contradictions des textes définitifs votés à l’issue du congrès. Il marque pourtant des avancées sur de nombreux points. Par exemple quand la CGT entend ouvrir le débat sur l’appropriation sociale et donc la légitimité de la propriété privée. Mais on peut lire en même temps dans les repères revendicatifs que la CGT se bat pour que les entreprises soutiennent par les différents dispositifs d’épargne salariale des fonds régionaux pour promouvoir l’emploi durable. On oscille entre une approche timidement anticapitaliste et une approche de régulation de l’économie de marché.

Pourtant, de nombreux amendements plus «  lutte de classes  » remontent toujours dans les congrès. Les tonnerres d’applaudissements pour saluer les interventions les plus dures à l’encontre du gouvernement PS/EELV et du Medef y attestent d’une demande de radicalité de la part des syndicats. Comment expliquer ce décalage avec les interventions beaucoup plus mesurées des principaux membres de la direction confédérale  ? Comment expliquer que lors des CCN  [2] la majeure partie des secrétaires d’Unions départementales s’en tiennent à une mise en œuvre de la compréhension réformiste des orientations de congrès portées par la majeure partie de la direction confédérale  ?

Lever les obstacles à l’unité

Il y a plusieurs obstacles à l’expression d’une alternative anticapitaliste dans la CGT  : beaucoup de militants et militantes, quels que soient leurs niveaux de responsabilités, rechignent à mener la bagarre de manière collective, ne voulant pas être perçu-e-s comme fractionnistes. Pourtant, n’est-ce pas une sorte de fraction réformiste qui est aux manettes de la plupart des postes clés de l’organisation confédérale  ? Il y a là un véritable problème d’expression collective et de démocratie syndicale.

L’autre obstacle, qui en est la cause et la conséquence, c’est le refus de nuire à l’organisation  : si la CGT se déchire en interne, cela ne peut que l’affaiblir face au patronat et aux autres syndicats. Certes, cela peut l’affaiblir pour un temps mais le fait de laisser la CGT dans les eaux boueuses du réformisme, c’est l’affaiblir définitivement.

Dernier obstacle de taille  : la diversité, la dispersion et le sectarisme des militants et militantes qui affichent clairement leur opposition à l’orientation actuelle. Ces trois facteurs jouent à plein comme repoussoir pour une majorité de syndicalistes CGT préférant gauchir quelque peu les orientations authentiquement réformistes.

Il est indispensable que les courants anticapitalistes se fédèrent sur des bases communes larges et ouvertes, en laissant de côté leurs différents idéologiques souvent liés à des histoires et parcours militants différents (du PCF, des «  trotskistes  », des syndicalistes révolutionnaires, des «  maoïstes  », des libertaires…)  : il nous faut être capable de se comprendre par-delà les différences de vocabulaire qui se traduisent souvent par des discussions et oppositions stériles alors qu’on veut dire la même chose.

Ce qui doit interpeler les diverses minorités organisées, c’est leur capacité à parler d’une même voix avec un langage et des références comprises par tous et toutes les syndiqué-e-s CGT. Cela peut passer par une revue syndicale, par un site internet, par des rencontres régionales et nationales, etc. Cette question n’est pas anodine et purement technique car elle rejoint les problèmes de démocratie syndicale.

Construire une gauche syndicale majoritaire

Mais cette unité des syndicalistes anticapitalistes affichés ne peut se limiter à être un rassemblement contre la direction confédérale. Elle n’aura de sens que dans la volonté de construire dans les luttes et dans la CGT une alternative d’orientations et de pratiques pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Car la majeure partie des syndicalistes CGT qui mènent la lutte de classe au quotidien ne font pas partie des minorités organisées  [3], ne les connaissent souvent pas ou les regardent avec méfiance.

Or, si beaucoup de cégétistes sont arrimé-e-s aux conceptions réformistes classiques reflétant la division sociale-démocrate entre parti qui fait les réformes de structure et syndicat qui revendique à la marge, une très grande majorité de syndiqué-e-s se battent le dos au mur sans aucune perspective d’ensemble à leurs multiples combats. C’est sur ce vide idéologique que le réformisme gagne aussi. C’est par l’affirmation d’une alternative au capitalisme qu’une majorité est potentiellement gagnable au vu des contradictions de la période (crise économique, politique et écologique) et des évolutions positives, quoique fragiles, de la CGT (autonomie à l’égard des partis politiques, luttes sociétales intégrées à la réflexion d’ensemble, unité syndicale).

Ermon (AL Lorient)

[1Voir « Un congrès inachevé  » dans AL n°228 de mai 2013et sur le blog communisteslibertairescgt.over-blog.net

[2Comité confédéral national. Il réunit les secrétaires d’UD et de fédérations. C’est le « parlement » de la CGT entre deux congrès. Il définit notamment les repères revendicatifs.

[3Front Syndical de Classe, Comités Syndicalistes Révolutionnaires, Continuer la Cgt, Où va la CGT  ?, Communistes libertaires CGT aujourd’hui. Comité pour une CGT lutte de classe hier, sous la houlette du métallurgiste Jean-Pierre Delannoy dont la candidature au poste de secrétaire général de la CGT au 49e congrès avait cristallisé les oppositions.

 
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