écologie

L’Atelier Paysan : briser les chaînes de l’agro-industrie




L’Atelier paysan oppose à l’agro-industrie un modèle agro-écologique et se pose comme une alternative permettant aux paysans et paysannes de se réapproprier techniques et machines sans se contenter de rester une «  alternative inoffensive  »...

La coopérative l’Atelier paysan fait le constat que l’agro-industrie dépossède les paysans et paysannes des techniques et des savoirs nécessaires à leur travail. Elle vise à la «  généralisation d’une agro-écologie paysanne, pour un changement de modèle agricole et alimentaire radical et nécessaire  ». Au cœur de sa stratégie  : la réappropriation des outils, machines et bâtiments agricoles par la formation des paysans et paysannes au travail du bois et du métal.

Le modèle agricole industriel actuel est dément. D’un côté, un tiers des habitants d’un pays riche comme la France déclarent ne pas manger ce qu’ils et elles souhaitent. De l’autre, environ 70 % des revenus des agriculteurs et agricultrices sont constitués d’aides nationales et européennes, la moitié d’entre-elles et eux ont un revenu négatif avant impôt et subvention... et 14 % ne dégagent aucun revenu, malgré ces subventions  !

Un système en échec

L’agriculture industrielle est un système en échec  ; elle permet bien une abondance, mais une abondance de produits mauvais pour la santé et de précarité économique. Et cela empire : entre 2010 et 2017, le prix du matériel agricole a augmenté de 11,6 %, au point que les agriculteurs et agricultrices doivent choisir entre s’endetter fortement ou recourir à des entreprises spécialisées pour effectuer le travail à leur place. L’endettement moyen d’une ferme est à présent de 193 460 euros, contre 50 000 en 1980. Le poids des investissements liés aux machines est tel que c’est tout le système de production qui doit être adapté afin de les rentabiliser.

Depuis le milieu du XXe siècle la taille des parcelles s’est conformée aux machines, faisant ainsi disparaître 750 000 km de haies. Aujourd’hui les routes des campagnes ne sont parfois même plus assez larges pour les nouveaux modèles. Pour optimiser l’usage du matériel et éviter de devoir investir dans trop de machines différentes, les fermes se sont spécialisées  : la monoculture est devenue la norme.

Les machines sont un frein à la diversification des ateliers de production, indispensable pour rendre les systèmes agricoles plus respectueux de l’environnement et plus riches en biodiversité. Pourtant les pouvoirs publics et les syndicats agricoles dominants s’entêtent dans une foi technophile. Le plan «  Agriculture et innovation 2025  » alloue plus de 10 milliards d’euros au développement des technologies numériques, robotiques, et à la biotechnologie.

S’approprier les machines

L’Atelier paysan souhaite prendre le contre-pied de ce modèle et propose de renforcer l’autonomie des fermes en permettant aux agricultrices et agriculteurs de se réapproprier des techniques et savoir-faire anciens, en les modernisant et en les adaptant aux contraintes économiques des fermes.

Les agriculteurs et agricultrices qui se forment auprès du collectif ont la possibilité de limiter le coût lié aux machines  : celles-ci ne sont pas surdimensionnées et sont low-tech, conçues avec des techniques simples, robustes et faciles à réparer. La coopérative recense les innovations paysannes et crée un cadre d’échanges des pratiques. Les machines sont ainsi conçues ou adaptées pour correspondre aux besoins de fermes agro-écologiques. Les plans sont diffusés sous licence Creative Commons, pour que les réalisations puissent être appropriées gratuitement par n’importe qui.

Un travail est également réalisé en lien avec des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) sur les questions de genre afin que les paysannes puissent concevoir et fabriquer des outils adaptés à leur morphologie, les standards de poids et de taille des outils sur le marché étant bien souvent inadaptés. Au-delà d’activités qui permettent d’améliorer dès maintenant l’autonomie des fermes et le quotidien des paysans et paysannes, l’Atelier paysan porte un projet politique détaillé dans le livre Reprendre la terre aux machines. Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire.

Les agriculteurs et agricultrices qui se forment auprès de l’Atelier paysan ont la possibilité de limiter le coût lié aux machines : celles-ci ne sont pas surdimensionnés et sont low-tech conçues avec des techniques simples, robustes et faciles à réparer.

Passer à l’offensive

Ayant pour objectif l’installation d’un million de paysans et paysannes dans les dix années à venir en France, l’Atelier pose trois axes à mener conjointement pour y parvenir.

Premièrement, renouer avec l’éducation populaire, ouvrir partout et tout le temps des espaces d’éducation mutuelle entre pairs, promouvoir un autre rapport au savoir que la culture bourgeoise, forger un savoir utile à l’action collective.

Deuxièmement, continuer à développer des alternatives et les rendre plus combatives. Et enfin construire le rapport de force face aux capitalistes, car le passage de l’agriculture industrielle à l’agriculture paysanne ne sera pas concédé par les élites politiques et économiques sans le surgissement d’un mouvement social, il sera conquis par la lutte ou il n’adviendra pas.

Pour cela trois pistes politiques :

1. La fixation de prix minimums d’entrée sur l’Hexagone pour lutter contre le libre-échange et la mise en concurrence des exploitantes au niveau international.

2. La socialisation de l’alimentation et de la production agricole  : l’idée de base est d’allouer à chaque citoyenne un budget mensuel destiné à la nourriture choisie collectivement, reposant sur des cotisations sociales.

3. S’opposer offensivement au développement de la robotique, lutter pour la désescalade technologique, à l’image des luttes contre les OGM.

L’Atelier paysan revendique une perspective de transformation sociale  : «  Nous ne voulons pas être une “alternative” certes solide et conséquente, mais inoffensive face au productivisme de compétition et de destruction. Il est grand temps de sortie de cette marge confortable et parfaitement intégrée, de cette niche branchée des alternatives qui ne serviront jamais que des privilégiés.  » [1]

Pauline (UCL Brest) et Eric (UCL Livradois)


AUTONOMIE OU SOUVERAINETÉ AGRICOLE ?

Pour comprendre les enjeux des alternatives au système agricole dominant, il faut expliquer la notion d’autonomie. Elle est souvent entendue comme la capacité pour les paysans et paysannes à effectuer librement leurs choix économiques et techniques. L’Atelier paysan en étend la définition à l’ensemble des choix politiques et collectifs liés à la production alimentaire en exigeant la délibération collective pour les choix technologiques, la répartition des terres et de la nourriture et la reprise en main collective de nos conditions matérielles d’existence.

Quand Macron ou la FNSEA (le syndicat agricole majoritaire, promoteur de l’agriculture industrielle) n’hésitent pas à s’approprier le mot d’ordre revendicatif de « souveraineté » alimentaire ou économique, ils évoquent en réalité la reprise de contrôle sur certains leviers agricoles et commerciaux dans la compétition internationale, projet bien éloigné des revendications des mouvements internationaux de défense de l’agriculture paysanne qui ont forgé ce concept.

Contre cette récupération sémantique, on préfère parler d’« autonomie » plutôt que de souveraineté car elle porte étymologiquement une idée de supériorité, le souverain étant celui qui est au dessus de tous les autres, là où le concept d’autonomie renvoie au fait de se donner à soi-même sa loi, donc davantage à une démocratie effective.


[1 L’Atelier paysan, Reprendre la terre aux machines, Seuil, 2021.

 
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