Communiqué UCL

Chloroquine : quand communication médiatique et sciences font mauvais ménage




Depuis quelques jours on voit un emballement médiatique autour de la chloroquine, présentée comme un remède miracle par le Pr Didier Raoult. En réalité, on n’en sait rien (et lui non plus) : l’étude scientifique véritable pour déterminer son efficience est encore en cours. Mais un bon plan com’ aura attiré l’attention sur son labo, semé le trouble dans une population déboussolée, et jusque chez certains politiciens.

La chloroquine c’est quoi ? Il s’agit d’un médicament contre le paludisme, connu depuis longtemps, pas trop cher (1 euro le comprimé), et produit en grande quantité. Il est fréquent, quand de nouvelles maladies apparaissent, de tester en laboratoire tous les médicaments déjà existants pour voir si par hasard ils ne fonctionneraient pas, c’est ce qu’on appelle le repositionnement.

Pour autant, ce médicament a de nombreux effets secondaires [1] et, parmi les plus problématiques, de possibles troubles cardio-vasculaires. Il ne doit donc pas être pris sans raison, et peut être dangereux pour des personnes présentant d’autres maladies.

Une étude très discutable

Fin février, une étude chinoise montre des résultats prometteurs de la chloroquine contre le Covid-19 in vitro, c’est-à-dire en éprouvette. Cependant, ça n’est pas parce qu’un produit marche in vitro, qu’il marchera in vivo, c’est-à-dire sur des êtres vivants.

Cela n’empêche pas le Pr Raoult de sortir fin février une vidéo, Fin de partie, où il affirme que la guerre contre l’épidémie est d’ores et déjà réglée. Il est ainsi intégré dans le Conseil scientifique de suivi nommé par Macron, mais préfère être « à côté ». Il s’exprime vigoureusement contre le confinement, qu’il qualifie de « moyen-âgeux » [2], ce qui n’est sans doute pas étranger à la première annonce de Macron, du jeudi 12 mars, de se contenter de fermer les écoles.

Disons que Macron a trouvé une caution scientifique à sa décision politique de ne pas confiner pour maintenir l’économie, quitte à exposer la majeure partie de la population. Rappelons qu’à ce moment, d’autres scientifiques modélisaient que la stratégie de laisser-faire, en vue d’atteindre l’immunité de groupe le plus vite possible, pouvait se solder par 300.000 à 500.000 morts [3]. Le confinement ne remet pas en cause l’idée d’atteindre l’immunité de groupe mais, en étalant les courbes dans le temps, permet d’amoindrir considérablement le bilan humain en limitant la surcharge des hôpitaux.

Au final, le Pr Raoult conduit une étude en urgence, dans des conditions ne respectant pas du tout l’éthique scientifique, afin de faire croire que la chloroquine marcherait sur des patientes. L’étude a été vivement critiquée [4] : les cas les plus problématiques traités par chloroquine ont été retirés des résultats (y compris un décès), il n’y a eu que 20 patientes traitées, elle est parue dans un journal dont l’éditeur est auteur de l’article, etc. L’Inserm écrit ainsi sur son site que sa « validité méthodologique est controversée » [5].

La nouvelle étude publiée le 27 mars semble être du même tonneau [6].

Entre-temps, des files de personnes se sont formées devant le labo du Pr Raoult pour se voir administrer de la chloroquine. Des personnes qui n’étaient pas malades ont en conséquence sans doute été contaminées dans ces files d’attente. Et en Afrique, la chloroquine est également prise d’assaut [7], ce qui réduit d’autant les stocks pour les personnes dont on est sûr qu’elles en ont besoin.

Il s’agissait donc d’un plan de communication bien orchestré dans la période de doute et d’angoisse actuelle. Avec des conséquences, jusqu’ici relativement limitées mais qui auraient pu être graves s’il avait conduit au non-confinement par exemple.

A Marseille, fin mars, les marins pompiers étaient contraints de réguler la foule venue faire la queue devant l’IHU du Pr Raoult, en quête du médicament miracle.

Mais alors on fait quoi ?

Une étude européenne [8] incluant 3.200 patients, dont 800 en France, coordonnée par l’Inserm, a été lancée le 23 mars, pour tester 4 molécules. Il n’y a en effet pas que la chloroquine qui suscite l’espoir, mais les autres médicaments n’ont pas bénéficié d’un plan de communication médiatique. Les résultats seront connus dans quinze jours.

Une étude a également été lancée aux États-Unis [9]. On pourra reconnaitre un intérêt au plan com du Pr Raoult : il a permis à la chloroquine d’être incluse dans cette étude.

Par ailleurs, depuis lundi 23 mars, le Haut conseil de la santé publique recommande l’utilisation, dans les cas graves [10]. Donc son utilisation est d’ores et déjà possible.

Y a-t-il un complot autour de la chloroquine ?

Le Pr Raoult est en conflit ouvert avec Yves Lévy, ancien PDG de l’Inserm et mari d’Agnès Buzyn. Il n’en faut pas plus à certains soit pour y voir un complot, parfois sur fond de relents antisémites, soit pour prendre fait et cause pour Raoult. C’est le cas de Trump, qui considère la chloroquine comme un « don du ciel » [11], ce qui a conduit un homme en Arizona à décéder après avoir ingéré du phosphate de chloroquine, initialement destiné au nettoyage de son aquarium.

Mais c’est également le cas par exemple de Mélenchon, qui juge que « Didier Raoult est trop mal aimé par les belles personnes pour ne pas éveiller l’intérêt » [12]. On retrouve là le vieil adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Cependant, Mélenchon oublie un peu vite que le Pr Raoult a été très soutenu par Macron, qui a « ordonné qu’on l’écoute » aux scientifiques [13].

L’épisode ne peut donc pas se résumer à un conflit d’égos. Le fond du problème, c’est bien la validité des études scientifiques passées (celle de Raoult) et à venir.

Il est fort probable qu’après le plan com du Pr Didier Raoult, d’autres chercheurs, des labos privés ou publics, se présenteront comme les sauveurs de l’humanité.

Qu’en conclure ?

Nous aurons droit à d’autres épisodes de ce type. Des chercheurs, des labos privés ou publics, vont se présenter comme les sauveurs de l’humanité. Il n’y a pas d’enjeu d’argent avec la chloroquine, juste un enjeu de notoriété. Mais on peut être sûr que, dans les mois qui viennent, des labos privés vont nous présenter des résultats très prometteurs sur des molécules, afin de lever de l’argent ou de faire monter leur cours en Bourse. Et des politiciens vont à coup sûr se ruer sur ces polémiques pour se positionner sur l’échiquier, ou pour justifier des décisions politiques sous couvert de « neutralité de la science ».

Il nous faut donc nous informer, comprendre les enjeux, ne pas laisser quelques sauveurs suprêmes, qu’ils soient politiciens ou scientifiques, décider à notre place.
Pour ce qui est de la chloroquine, nous saurons d’ici une semaine si elle est efficace ou pas, sur la base d’une véritable étude scientifique. D’ici, là elle est déjà utilisée pour les cas les plus sévères.

Union communiste libertaire, le 30 mars 2020


QUI EST LE PROFESSEUR DIDIER RAOULT ?

Rappelons en premier lieu que le Pr Raoult n’est pas le visionnaire ou le sympathique gourou décrit dans les médias. Les syndicats de l’enseignement supérieur et de la recherche ont durement bataillé pour dénoncer les conditions de travail dans le laboratoire qu’il dirige, l’Urmite [14], et le fait qu’un cas de harcèlement sexuel ait été couvert en interne [15]. Cette affaire s’était soldée par la révocation du chercheur harceleur et par le retrait du soutien scientifique du CNRS [16] et de l’Inserm [17] à ce labo. À aucun moment le Pr Raoult n’a pris de mesures contre ces faits graves et en plaisanta même ouvertement lors de l’inauguration des nouveaux locaux du labo en se proposant d’« installer un distributeur de préservatifs » [18] à l’entrée.


Alternative libertaire n°304 (avril 2020) est en libre accès
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[3Hervé Morin et Sandrine Cabut, « Coronavirus : l’immunité de groupe, un pari risqué », Le Monde, 16 mars 2020.

[4Nicolas Martin, « Chloroquine : le protocole Raoult », France Culture, 24 mars 2020.

[7Anna Sylvestre-Treiner, « Contre le Covid-19, la chloroquine prise d’assaut en Afrique », Courrier international, 23 mars 2020

[9« Chloroquine et Covid-19, où en est-on ? », Charentelibre.fr le 29 mars 2020

[14Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes.

[16Centre national de la recherche scientifique.

[17Institut national de la santé et de la recherche médicale.

 
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