Elections en Kanaky-Polynésie : le crépuscule des dieux




Aux mois de mai et juin dernier, les élections provinciales et territoriales dans les colonies françaises du Pacifique-sud (Kanaky et Polynésie) se sont révélées catastrophiques pour les chiraquiens locaux, bouleversant totalement les échiquiers politiques dans la région.

Personne ne peut ignorer l’importance que revêtait pour l’Élysée le maintien en place de ces bastions UMP et assimilés. En Kanaky, Jacques Lafleur, grand patron, dirigeant local de l’UMP, a subi un revers historique lors des élections provinciales du 9 mai dernier et perd la présidence de la province sud. Si aucun des partis en lice n’a obtenu la majorité au congrès de Nouvelle-Calédonie (assemblée législative locale), le grand perdant est bien l’UMP de Lafleur qui régnait en maître depuis vingt-cinq ans, et qui passe de 24 à 16 élus. Une seconde formation de droite, liée à l’UDF, L’Avenir ensemble de Didier Leroux, farouche ennemi de Lafleur et ancien dirigeant de la Fédération patronale (le Medef local), se retrouve à égalité avec l’UMP. Le Front national garde quant à lui ses quatre élus. C’est un dissident de l’UMP, Harold Martin, qui, avec les voix de l’Avenir ensemble, du Front national, et des indépendantistes de l’Union calédonienne accède à la présidence du congrès de la Nouvelle-Calédonie, ce qui constitue pour le moins un « front commun » contre-nature et malsain.

Luttes sociales et conflits d’intérêts

Au-delà de ces remaniements institutionnels, le sort du peuple kanak dépend avant tout de l’application des Accords de Nouméa qui, bien qu’imparfaits, tracent le chemin vers l’indépendance, et surtout des luttes sociales qu’il pourra mener. Du samedi 31 juillet au mercredi 4 août, un mouvement de grève générale lancé par l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE, syndicat indépendantiste et de lutte de classe) a touché principalement les activités portuaires et les dépôts de gaz et de carburants et quelques autres secteurs (ramassage des ordures, aéroport).

Cette grève a éclaté après que Didier Leroux dirigeant de la Sofrana Holding, se fut opposé à une société concurrente de manutention portuaire, Manutrans, propriété de Kotra Uregei, ancien dirigeant de l’USTKE. Le conflit portait sur la dénonciation par Didier Leroux d’un accord de répartition du marché de la manutention portuaire, qui aurait abouti à une baisse importante de la part réservée à Manutrans. Un accord intervenu le 5 août entre les deux parties a mis fin au mouvement. La lutte de classe s’est ainsi vue transposée sur le terrain de la lutte d’intérêts entre deux entreprises, l’une appartenant au nouveau leader de la droite caldoche, l’autre se trouvant dans le giron de la gauche indépendantiste.

Un indépendantiste au pouvoir

À l’autre bout du Pacifique, en Polynésie, c’est également l’onde de choc. Après vingt ans de pouvoir, le 23 mai 2004, un autre féal de Jacques Chirac mord la poussière : Gaston Flosse, qui s’était fait tailler en début d’année un statut lui assurant des pouvoirs quasi régaliens, la présidence de la Polynésie française, doublée de la direction du gouvernement local. Alors qu’il préparait sa succession au profit d’un de ses gendres, Edouard Fritch, maire de Pirae, il aura été victime de sa mégalomanie et de sa politique clientéliste. Ses casseroles judiciaires, étant par ailleurs à l’image de celles de son ami de longue date, Jacques Chirac.

La nouvelle assemblée issue des élections est très fragile. Sur les 57 sièges que compte l’Assemblée de Polynésie, 28 reviennent au Tahoeraa-UMP de Flosse contre 29 à ses opposants. Oscar Temaru, indépendantiste, chef de file de la « majorité plurielle » (indépendantistes et autonomistes) est donc élu (avec 30 voix) président de la Polynésie. Il semble que des élus du Tahoeraa souhaitent désormais rejoindre la nouvelle majorité. Oscar Temaru a annoncé devant l’Assemblée ses principales orientations : priorité au tourisme et à la pêche ; des accords avec d’autres pays du Pacifique ; un train monorail autour de l’île de Tahiti ; l’augmentation du nombre d’avions de la compagnie aérienne Air Tahiti Nui ; la diminution du train de vie de la présidence ; la baisse des indemnités des ministres et des élus. L’augmentation du salaire minimum, l’aide aux mères en détresse, une meilleure allocation chômage sont seulement évoqués. Oscar Temaru, se déclarant fidèle à son idéal d’indépendance politique, souhaite faire le point avec Paris sur les relations avec la France et obtenir l’entrée de la Polynésie dans la zone euro et sa réinscription à l’ONU sur la liste des pays à décoloniser. Les indépendantistes accepteront-ils tous le positionnement de Temaru qui affirme qu’il « faudra que toutes les conditions politiques, économiques et sociales soient réunies pour que soit posée la question de l’autodétermination... et cela peut attendre dix, quinze ou vingt ans » ?

Les peuples du Pacifique-Sud ne sont pas au bout de leurs luttes contre l’impérialisme français, mais aussi face aux deux puissances, les États-Unis et l’Australie, susceptibles de prendre le relais de la domination coloniale. La défaite reste néanmoins amère pour l’Élysée qui tente de sauver les meubles. Aux Antilles, la ministre Brigitte Girardin cherche à transformer en collectivité d’outre-mer la petite île de Saint-Martin, véritable paradis fiscal comptant moins de 10 000 habitants. Ce statut scellerait la sécession d’avec la Guadeloupe dont les habitants ont commis le crime de lèse-majesté de chasser Lucette Michaud-Chevry, autre proche de Jacques Chirac.

Ngoc

 
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