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Il y a quatre-vingt-dix ans, le 1er août 1914, la mobilisation générale était proclamée, la grève générale insurrectionnelle qui devait s’y opposer n’eut pas lieu.

Face à la barbarie déferlant sur l’Europe, Marcel Martinet fit parti du petit nombre de militant(e)s qui restèrent fidèles à leurs principes révolutionnaires. Tandis que les peuples s’entretuaient au profit de leurs maîtres, il écrivait rageusement des poèmes pleins de malédiction, hantés par les morts et les fantômes des idéaux internationalistes. Ils sont réunis dans Les Temps maudits, « un livre de poèmes qui n’est qu’un cri de douleur et de colère », publié en Suisse en 1917, et en France seulement en 1920. Ils sont réédités aujourd’hui par les éditions Agone avec les Carnets des années de guerre (1914 à 1918) de Martinet, suivi d’un glossaire et d’une chronologie qui facilitent la compréhension des événements qui y sont rapportés.

Le recueil contient de nombreux beaux poèmes, sombres et d’une grande force, qui dénoncent la guerre et ses conséquences. Mais c’est dans ceux qui fustigent la trahison du mouvement ouvrier que Martinet met toute sa douleur et sa colère, comme, par exemple, Tu vas te battre... et Non, vous n’étiez point frères... qui reviennent avec amertume sur les congrès internationaux d’avant-guerre. Alors que les champs de batailles dévorent la jeunesse européenne, désespéré, il se demande « Ô Révolution, quand donc soufflera-t-elle, Ton haleine enflammée ? » (Cadavres). Les Carnets des années de guerre permettent de suivre la création des poèmes et les efforts pour les faire publier. Ils donnent aussi un aperçu du combat d’une poignée de révolutionnaires pour maintenir, dans la tourmente, le flambeau de l’internationalisme. Les poèmes et les Carnets forment ensemble un témoignage de grande valeur sur ce qu’ils ont ressentis devant la catastrophe.

Dans ses Carnets, Martinet écrivait le 2 août 1914 : « pour beaucoup de ceux qui luttaient pour un nouveau monde et qui se connaissaient d’autres ennemis que ceux qu’on leur envoie combattre, c’est un écrasement, la ruine de tout. » Dans Ce soir... dédié à Pierre Monatte, qui venait « d’être jeté là-bas, Dans les champs du crime et de la mort », Martinet revient sur ces premières semaines où les espoirs de fraternité humaine s’effondraient. Il s’interroge et interroge ceux qui n’ont pas trahi : pour empêcher la catastrophe « Avons nous tout fait ? » et de constater douloureusement « Notre impuissance ! Notre impuissance ! ». Mais il garde espoir, après les temps maudits, viendront ceux « Où nous nous dresserons, nous aujourd’hui déchus », où la victoire est promise « aux éternels vaincus ». Car, malgré la mort qui rode partout :

" Le pépiement de l’alouette
Est plus puissant que le canon ",
(Premier jour de lumière).


Hervé

 Marcel Martinet, Les Temps maudits, Agone, 2003, 16 euros.

 
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