Constitution européenne : Les enjeux d’une campagne d’opposition




Le 14 juillet, après une longue hésitation, Chirac a donc cédé : la ratification par la France de la Constitution européenne sera soumise à référendum, sans doute au printemps 2005. Il va falloir mener la bataille contre ce projet, qui est une véritable arme entre les mains des classes dirigeantes. Résolument anticapitaliste et internationaliste, Alternative libertaire dit "non" à cet instrument de démolition sociale.

Le projet définitif de Constitution européenne, sur lequel les États de l’Union européenne (UE) se sont mis d’accord les 18 et 19 juin, doit être ratifié dans les deux ans à venir dans chaque pays, soit par un vote au Parlement (voie parlementaire) soit par référendum (voie référendaire).

Dans les cours d’éducation civique à l’école, on nous apprend qu’une Constitution est un ensemble de lois fondamentales qui, d’une part régit le fonctionnement d’un État, d’autre part doit encadrer toutes les futures lois d’un pays. Mais le projet de " Constitution européenne ", lui, est d’une tout autre nature. Il s’agit moins d’une Constitution que d’un agrégat de dogmes néolibéraux. Le fonctionnement des institutions de l’UE (parties I et IV) ne représente que 22 % de l’ensemble du texte. La Charte des droits fondamentaux (partie II) en représente 5,8 %. Enfin, les partie III et I-40 (72,2 % du texte) constitutionnalisent des politiques économiques et militaires, avec une précision édifiante. Certains articles - sur la promotion de l’enseignement privé ou la taxation des carburants par exemple - semblent avoir été rédigés directement sous la dictée des divers lobbies patronaux actifs à Bruxelles.

Les États ne se sont querellés que sur la répartition des pouvoirs - et la presse n’a parlé que de cela. En revanche, la partie de politique économique, 72,2 % de la Constitution à elle seule, fait l’unanimité des gouvernements. C’est sur cette partie, celle dont on ne parle pas, celle qui renferme le véritable contenu politique de la Constitution, que nous devons nous battre.

Le risque pris par les classes dirigeantes

La Constitution européenne doit annuler l’ensemble des traités qui régissent l’UE (Rome 1957, Maastricht 1992, Amsterdam 1999, Nice 2000), et constituer le socle fondamental de l’Union européenne. Un socle ultralibéral, dont le marché et la " libre concurrence " constituent l’alpha et l’oméga. En cela, la Constitution européenne représente un " saut qualitatif " : sa nocivité est supérieure à l’addition des précédents traités (Maastricht, etc.) parce que l’ultralibéralisme y est " constitutionnalisé ".

Ce beau scénario a cependant un talon d’Achille : le référendum. Le capitalisme européen a ceci de fragile que sa fusion n’est pas achevée, et qu’il est parfois tiraillé entre des intérêts divergeants. Les classes dirigeantes des différents pays n’ont pas une vision monolithique de l’avenir de l’UE, et toutes ne sont pas aussi euromaniaques que leurs homologues françaises ou allemandes, par exemple. Ces classes dirigeantes-là ne sont pas forcément disposées à prendre le risque d’adopter à la hussarde un projet de Constitution capital pour l’avenir du continent, en affichant trop ostensiblement leur mépris de l’opinion publique. Or, à partir du moment où certains, comme la Grande-Bretagne ou l’Espagne, ont " failli " en concédant un référendum sur la question, il devient difficile pour d’autres, comme la France, de ne pas en faire autant. Certains capitalistes fulminent : pour eux il est inconcevable de soumettre des affaires aussi importantes à l’incertitude d’un scrutin.

Effectivement, le risque est pris. Nous saurons l’utiliser.

Les enjeux du " non " à la Constitution

Le " non " l’emportera de façon quasi certaine dans plusieurs pays. La question est de savoir combien. Si dans cinq pays au moins, c’est " non ", la Constitution sera mise en échec [1] et les différents traités (Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice) continueront de prévaloir. L’UE ne connaîtra donc pas véritablement de crise institutionnelle, mais une crise morale, de légitimité et de projet. Ce sera une claque infligée à la construction capitaliste de l’UE [2].

Mais surtout, les élites financières européennes auront échoué à faire constitutionnaliser l’ultralibéralisme ; nous aurons alors tordu le canon de cette nouvelle arme de régression sociale, avant même qu’elle ait été mise en application.

Pour autant, inutile de se mentir : la lutte des classes ne se résumera pas à la bataille contre cette Constitution. Si le "non" l’emporte, l’UE n’arrêtera pas là son entreprise de démolition sociale. Un "non" massif et populaire, avec une composante anticapitaliste lisible, peut être un point d’appui pour reprendre confiance, mais sans des luttes concrètes, ce référendum peut n’être qu’un épisode sans lendemain.

Nécessité d’une campagne anticapitaliste

Une des questions que l’on peut donc se poser si le "non" l’emporte au référendum, est celle de son interprétation politique. Il est nécessaire que la composante sociale et anticapitaliste de ce " non " soit la plus lisible possible, alors que les médias vont tout faire pour réduire le débat à deux courants antagonistes : les "pro-européens" modernes et libéraux contre les "anti-européens" nationalistes et rétrogrades. Autant dire que l’un des enjeux de cette campagne sera de ne pas laisser le monopole de la parole aux libéraux et aux nationalistes. Les anticapitalistes commettraient une lourde erreur en abandonnant à l’extrême droite - qui n’hésitera pas à inclure des aspects sociaux dans son discours - le soin d’incarner à elle seule l’opposition à une UE ultralibérale.

Il n’y a pas le choix, il faut que les anticapitalistes s’expriment, et la seule façon d’être lisible, c’est de dire notre opposition - et le pourquoi de notre opposition - à la Constitution européenne. La qualité de la campagne et du discours que nous porterons comptera autant sinon plus que le résultat en lui-même.

Quelle alternative ?

Opposer un "non" sec à un projet de démolition sociale pourrait se suffire. Mais il serait dommage de limiter notre expression à cela ; l’enjeu est bien de parler politique, et de proposer une alternative. « Contre l’Europe du capital, des flics et des patrons »... quoi ? Ce sera l’objet d’une discussion que nous devrons avoir, non seulement au sein d’Alternative libertaire, mais également avec nos camarades - notamment du réseau Solidarité internationale libertaire (SIL) - dans les autres pays de l’Union européenne.

Et si le "oui" l’emporte ?

Si le "oui" l’emporte, nous continuerons, comme nous l’avons toujours fait, à nous battre contre les conséquences du traité de Maastricht ou du Pacte de stabilité de Dublin [3]. Nous devrons pousser la contradiction entre les besoins sociaux des populations et les diktats européens. Mais surtout nous aurons affirmé que s’opposer à la construction libérale de l’Europe, ce n’est pas souffrir de chauvinisme rétrograde, c’est s’opposer à un des principaux artisans de la mondialisation capitaliste et de la démolition sociale.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)


La mobilisation à venir

 Les "pour" : l’UDF, l’UMP, le PS. Le PS est cependant confronté à une fronde de son aile gauche, opposée à la Constitution, et le très libéral Laurent Fabius a fait mine d’hésiter. Les Verts tiennent le discours que la Constitution est insuffisante mais pas pire que les traités précédents, et qu’il vaut mieux l’adopter ; il faut dire qu’Alain Lipietz a travaillé à sa rédaction avec Giscard... Du côté syndical, la CFDT soutient le projet de Constitution (communiqué du 28 avril 2004), de même que la Confédération européenne des syndicats (CES).

 Les "contre" nationalistes vont être principalement portés par le Front national, mais également par le Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, qui espère ainsi rassembler quelques souverainistes de l’UMP comme Nicolas Dupont-Aignan. Le MNR de Bruno Mégret et le RPF de Charles Pasqua seront également de la partie. Il semble que le Mouvement républicain et citoyen (MRC, Chevènement) dira " non " sur des bases plus sociales que patriotiques.

 Les "contre" antilibéraux ou anticapitalistes : le PCF, la LCR, les Alternatifs, Alternative libertaire. La Fondation Copernic (un "think tank" antilibéral) a proposé de coaliser les "non de gauche" mais sur des bases très sociales-démocrates. Attac penche fortement vers le "non". La Fédération anarchiste a publié un article intitulé « La Constitution européenne, une arme contre les travailleurs » dans Le Monde libertaire du 11 mars 2004.

Lutte ouvrière a une position ambiguë, donnée dans sa lettre publique à la LCR en date du 29 juin. Tout en se déclarant « contre la Constitution européenne », elle préfère s’abstenir de faire campagne, de peur qu’on la confonde avec l’extrême droite. La CGT a n’a pas encore donné sa position ; avant l’adoption du projet définitif, elle disait simplement que le texte de la Constitution devait être « profondément modifié » (déclaration confédérale du 7 mai 2004). Force ouvrière ne s’est pas encore prononcée, de même que la CNT. L’US-Solidaires (syndicats SUD) prendra position à son congrès de décembre.


Le point sur la situation

 Adopteront la Constitution par un vote au Parlement : L’Allemagne, la Grèce, la Suède, la Finlande, Chypre, Malte, l’Estonie, la Lituanie et la Hongrie.

 Soumettront la Constitution à un référendum : La France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal, le Danemark, l’Irlande et le Luxembourg.

 Penchent plutôt pour un référendum : Les Pays-Bas, la Belgique, la Pologne, la Lettonie.

 N’ont pas tranché : L’Italie, l’Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie.

[1Une déclaration annexée à la Constitution précise : « Si à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la signature du traité, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié le traité et qu’un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés, le Conseil européen se saisit de la question. » Si un seul pays vote « non », l’UE imaginera sans doute un artifice juridique pour résoudre le problème. S’il y a plusieurs « non », la Constitution sera vraisemblablement mise en échec.

[2Lorsqu’Alternative libertaire a pris position sur la question, en janvier, nous écrivions : « L’éventualité d’un référendum sur la Constitution européenne - et d’un « non » majoritaire dans plusieurs pays - peut être l’occasion de déclencher une crise majeure dans l’UE. » Il faut nuancer cette hypothèse. Six mois de querelles entre États et un consensus obtenu de mauvaise grâce sur la Constitution sont passés par là, et ont déjà mis fin à l’euphorie des eurocrates.

[3Le traité de Maastricht en 1992 est un acte fondateur de l’Union européenne. Il définit plusieurs « critères de convergence » (impliquant une réduction des budgets publics) requis pour adopter la monnaie unique. Le Pacte de stabilité, adopté en 1996, a été qualifié de « super-Maastricht » puisqu’il faisait des " critères de convergence " temporaires, des règles immuables.

 
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