Culture

Lire : Piaget, « On fabrique, on vend, on se paie. Lip, 1973 »




C’est un petit livre et il se lit vite. Un peu moins d’une centaine de pages pour raconter la longue et importante lutte des Lip. Longue de plus de neuf mois, de la mi-avril 1973 à la fin janvier 1974, victoire à la clef. Importante, car elle est emblématique de «  l’insubordination ouvrière  » des années 68. Charles Piaget, militant ouvrier d’une grande intégrité, nous la raconte cette lutte, à sa manière, précise et sincère. Son livre tient à la fois du témoignage et de la transmission.

Rappelons en quelques mots ce qu’a été «  Lip  »  : les 1 200 ouvrières et ouvriers étaient promis au chômage et l’usine au démantèlement. Au mois de juin, suite à la séquestration des administrateurs provisoires, les grévistes subtilisent le stock de montres avant de relancer la production pour financer la grève – et tenir. L’élan de solidarité est fantastique. «  On fabrique, on vend, on se paie.  » C’est ce qui est inscrit à l’été 1973 sur la banderole accrochée sur les grilles de l’usine occupée. Elle sera par la suite évacuée de force par la police. Les chaînes de montage déménagées au gymnase Jean Zay non loin de là  : «  l’usine est là où sont les travailleurs  » dira Piaget.

L’expérience concrète d’un apprentissage syndical

On fabrique, on vend, on se paie, c’est donc le titre qu’il a choisi de donner à son livre. Mais pour en arriver là, il a fallu construire un «  grand collectif  » comme il l’appelle. C’est tout le sel de ces pages  : raconter l’expérience concrète et vivante d’un apprentissage syndical.

Embauché en 1946, Charles Piaget est délégué du personnel à partir de 1954. Il raconte comment va être décidé de bousculer la routine  : «  il faut aller vers les salariées, ne pas rester entre-nous seulement  ». C’est «  aller à la pêche à l’information  » dans les interstices de la vie usinière, à la cantine, dans les vestiaires ou les transports. Repérer aussi celles et ceux qui peuvent être leurs relais.

Et puis il y a les grèves qui émaillent la vie de l’entreprise, nombreuses à partir de 68, qui fondent ce «  grand collectif  » et où la pratique de l’assemblée générale est centrale. En 1973, Piaget est déjà un militant aguerri, animateur chez Lip d’une «  CFDT des luttes  » qui se veut autogestionnaire. Surtout il sait qu’il n’est pas seul et que tout tient dans la délibération, l’imagination, l’implication collective. Et c’est ce qu’il détaille ici à l’œuvre dans l’une des grèves les plus marquantes de la seconde moitié du vingtième siècle en France.

Ça n’est pas pour autant une histoire exhaustive de la lutte des Lip. Mais c’est une réflexion sur la lutte où Charles Piaget n’hésite pas à nous livrer ses propres contradictions, nées du combat commun, pour parties liées à la fabrique du «  leader  ». Parce qu’il nous donne en partage tout cela, ce petit livre nous sera précieux.

Théo Roumier (UCL Orléans)

  • Charles Piaget, On fabrique, on vend, on se paie. Lip 1973, Syllepse, 2021, 80 pages, 4 euros, .
 
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