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Kanaky : qui jette le Caillou dans la mare ?




À moins de deux mois du 3e référendum que l’État français a décidé d’organiser le 12 décembre, l’ambiance sur le Caillou est à la crispation entre l’ensemble du mouvement indépendantiste réclamant son report en 2022 et les forces dites «  loyalistes  » réclamant son maintien sur fond d’une position gouvernementale pour l’instant inchangée.

Après dix-huit mois de situation «  covid-free  » sur l’ensemble du Territoire kanak au prix de mesures très strictes acceptées par tous (isolement de la Grande Terre et des îles, restriction de circulation inter-îles et des entrées, quatorzaine obligatoire), le variant delta de la pandémie s’est invité sur le Territoire déclenchant une terrible vague de contamination avec plus de 250 décès en quelques semaines (ce qui équivaudrait à plusieurs dizaines de milliers de morts pour la France hexagonale  !) dont plus de 50 % concernant la communauté kanak et plus de 25 % la communauté océanienne, sur fond de comorbidité assez répandue (surpoids, diabète…).

Macron, partisan du maintien dans la France

Face à cette catastrophe sanitaire touchant très inégalement les différentes populations du Territoire, le gouvernement actuel dirigé par Louis Mapou, figure importante de la tendance Uni-Palika du FLNKS a pris des mesures à la fois raisonnées et très fortes (gestes barrières, port du masque, obligation vaccinale, passe sanitaire, confinement) montrant le sens des responsabilités de la part de dirigeants kanak, et obtenant l’accord quasi unanime de tous les courants politiques y compris opposés au Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs les communautés mélanésiennes et polynésiennes dans la douleur font preuve d’une parfaite obéissance aux restrictions des enterrements y compris en acceptant des sépultures provisoires près de Nouméa sans pouvoir accompagner leurs proches à leur tertre et/ou île d’origine, et en renonçant provisoirement à respecter leurs rituels de deuil coutumier longs nécessitant le déplacement de tribus entières.

Il en résulte bien humainement une quasi-impossibilité d’avoir la tête et l’énergie à l’organisation d’une campagne électorale référendaire  ; d’où l’unanimité du camp indépendantiste (toutes les tendances du FLNKS, ainsi que toutes les autres composantes – MNSK, PT, USTKE, Dynamic Sud – réclamant un report du référendum en 2022, la date limite prévue par les Accords de Nouméa étant avant octobre 2022.

Dans le même temps, les forces attachées au maintien du Territoire dans la République française, rassemblées dans « les Voix du Non », s’arc-boutent quasi unanimement sur la date prévue ayant parfaitement compris que, pour elles, la campagne se fait quasi toute seule en mettant l’accent sur les mesures exceptionnelles - et réelles ! - que le gouvernement français met en place pour faire face à la pandémie et à ses conséquences (réserve sanitaire massive venue de métropole, transfert de malades, aides aux entreprises et aux personnels) prouvant par avance tout l’intérêt de rester «  dans la France  » pour le futur.

Et certains de leurs leaders en rajoutent sur la nécessité d’enfin « purger » les Accords de Nouméa qui n’ont que trop durer, tout comme le sénateur Pierre Frogier, ancien compagnon de Pierre Maresca, ancien pied-noir pro-OAS (aujourd’hui décédé), de sinistre mémoire au temps des milices Lafleur, réclamant plus d’engagement de l’Etat français. Ce même Frogier est l’un des tenants d’une proposition de donner une autonomie accrue aux 3 Provinces actuelles en cas de victoire du Non à l’indépendance comme gage donné aux indépendantistes, tout en peinant à cacher le dangereux projet de partition qui en découlerait avec une Province Sud rassemblant 75 % de la population du Territoire (et la plus grande population kanak aussi) ainsi que 75 % de l’économie locale !

Une nouvelle et terrible épreuve pour le peuple kanak

Au niveau du discours, le gouvernement français est tout à sa soi-disant neutralité dans l’application stricte des Accords de Nouméa de 1998. Mais, en fait, insidieusement, il s’affirme clairement partisan du maintien dans la France («  La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie  !  », dixit Macron) en ayant il y a quelques temps produit le document sur les «  Conséquences du Oui et du Non  », totalement déséquilibré entre les avantages du Non et les risques du Oui. Et par ailleurs dans le grand projet d’Axe indo-pacifique cher à Macron depuis 2017, et récemment ridiculisé par le choix australien des sous-marins nucléaires étatsuniens, la Nouvelle-Calédonie est une pièce maîtresse sur fond d’avancée de la Chine dans nombre de nouveaux Etats indépendants du Pacifique.

Et Paul Néaoutyne, signataire des Accords de Nouméa ancien bras-droit de Jean-Marie Tjibaou et président de la Province Nord, a raison d’invoquer le respect de la parole donnée car, en 2019, Edouard Philippe avait aussi lui-même fait la proposition d’un référendum en septembre 2022, après les échéances présidentielle et législatives nationales pour éviter toute interférence.

Rappelons-nous l’attaque de la grotte d’Ouvéa en 1988 dans le cadre d’un bras de fer Chirac- Mitterrand dans l’entre-deux tours de la présidentielle ! Mais le gouvernement Castex a changé la donne préférant demander à son ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, d’organiser des « rencontres Léprédour » (du nom d’un îlot calédonien en face de Boulouparis, propriété du Haut-Commissariat, surnommée « l’île du Haussaire »), en vase clos avec des invités sélectionnés plutôt que de rester fidèle aux Comités des signataires réguliers à Matignon.

Certes il en va de la prérogative du gouvernement de fixer la date du référendum, mais, depuis des mois et bien avant la vague virale, le camp indépendantiste a fait connaître sa préférence pour 2022. Aujourd’hui, déjà 25 communes indépendantistes refusent d’organiser le scrutin du 12 décembre.
Par ailleurs, internationalisant le problème, l’ambassadeur de la Papouasie-Nouvelle-Guinée auprès de l’ONU vient solennellement, au nom du groupe Fer de lance des Etats du Pacifique-Sud de demander au gouvernement français un report au nom de la situation sanitaire exceptionnelle actuelle sur le Territoire.

Boycott du référendum

Oui les boycotts anciens décidés par les Kanak rappellent des moments douloureux  ! Mais à chaque fois avaient-ils le choix devant des trahisons successives de la parole donnée et des projets authentiquement néocoloniaux  ? Les «  loyalistes  » ont beau jeu de tenter de faire peur à l’évocation de ces boycotts en prédisant déjà de funestes lendemains en cas de résultats faussés par la non-participation kanak, allant même jusqu’à demander l’application des résultats du 2e référendum du fait de l’impossibilité de tenir le 3e par la faute des Kanak  !

Alors ceux et celles qui risquent de provoquer des troubles à venir sont ceux et celles, gouvernement français compris, qui refusent de reporter le référendum en 2022, ne serait-ce que par respect pour la coutume de deuil du peuple kanak si durement touché par la pandémie (sans oublier tous les anonymes, la veuve du numéro deux du FLNKS Yéwéné Yéwéné, assassiné en 1989 en même temps que Jean-Marie Tjibaou, en est décédée ainsi que des fondateurs de l’USTKE).

Puissent l’humanité et la raison prendre le pas sur les calculs bassement politiciens  ; il en va du destin commun dans le Pays  ! Soutenons le peuple kanak, encore aujourd’hui dans une nouvelle et terrible épreuve, dans sa revendication d’une Kanaky- Nouvelle-Calédonie souveraine et indépendante dans le respect de toutes les composantes de sa population  !

Daniel Guerrier (ancien coprésident de l’Association information et soutien aux droits du peuple kanak (AISDPK)

Daniel Guerrier a coprésidé l’AISDPK dans les années 1980 avec Jean Chesneaux, Jean-Jacques de Felice et Alban Bensa, aujourd’hui tous trois disparus. Alban nous ayant quitté ce 10 octobre, l’auteur tient à saluer ici sa mémoire.

 
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