Climat : Que faire des théories de l’effondrement ?




Face à l’aggravation de la crise climatique mais aussi au déclin irrémédiable du pétrole, la collapsologie est un thème montant dans la société. De plus en plus de gens réfléchissent à la probabilité d’un effondrement des circuits économiques et donc de la société. Quels sont leurs arguments ?

L’année 2019 aura battu plusieurs records de mauvaise augure. Juin 2019 a ainsi été le mois de juin le plus chaud jamais mesuré sur la planète. En France la température a atteint 42,6 °C à Paris et 46 °C dans le Gard et l’Hérault. Cela confirme la tendance de ces dernières années, puisque les années 2014 à 2018 étaient déjà les cinq plus chaudes jamais enregistrées. Ces records s’accompagnent chaque année de leur lot de sécheresses, incendies, etc., qui font régulièrement la une des médias.

Ça ne va pas s’arranger

Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (GIEC) – dont les prévisions et analyses sont plutôt consensuelles – nous avons franchi la barre de 1 °C d’augmentation de la température moyenne du globe par rapport à l’ère préindustrielle. Et au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre (GES), nous aurons atteint 1,5 °C d’ici 2050, alors que c’était l’objectif à ne pas dépasser à l’horizon 2100, selon l’Accord de Paris sur le climat de 2015 signé par la plupart des États. Rappelons qu’avec les engagements réellement pris par ces États pour l’instant, nous sommes en fait sur une trajectoire de +3 °C !

Mais d’autres études sont plus pessimistes, telle celle parut le 6 août 2018 dans la revue Proceedings of the national academy of sciences : entre 1,5 et 2 °C de réchauffement, les forêts boréales et amazonienne pourraient dépérir et ne plus absorber de CO2, le permafrost  [1] pourrait fondre. Cela pourraient alors générer un réchauffement de 4 à 6 °C d’ici 2100, avec élévation du niveau des mers de 10 à 60 mètres, réduisant d’autant les zones habitables.

Crise générale !

À cela ajoutons la pollution de l’eau, la destruction des sols par l’agriculture chimique, et la disparition massive de la biodiversité. Et l’épuisement des ressources – pétrole conventionnel, métaux, sable – sans disposer d’alternative. La collapsologie se fonde en bonne partie sur le déclin annoncé du taux de retour énergétique (TRE) est parlant. À l’âge d’or du pétrole aux États-Unis, le TRE était de 100/1 (100 unités d’énergie récupérées pour une unité d’énergie investie). Mais après l’épuisement des gisements les plus accessibles, le coût de l’exploitation pétrolière n’a fait que monter, et son TRE a irrémédiablement baissé. Aujourd’hui, au niveau mondial le TRE moyen du pétrole se situe entre 10/1 et 20/1. Le TRE du charbon de 50/1 est lui aussi en déclin.

Le capitalisme vert, lui, promet que la montée des énergies renouvelables permettra de remplacer le pétrole. Or c’est faux. Vu leur TRE très bas – 3/1 pour le photovoltaïque, 4/1 pour l’éolien – ces énergies ne satisferont jamais la demande énergétique actuelle. Il risque donc d’y avoir sortie de route et effondrement : avant 2050 disent les collaposlogues les plus optimistes, avant 2030 disent les plus pessimistes.

Face à ces constats, une conclusion s’impose : il faut radicalement changer nos modes de vie, de production et de consommation, pour aller vers la sobriété énergétique.

Or, le capitalisme ne le permettra pas, puisqu’il ne peut renoncer à son ressort existentiel : la croissance. Produire toujours plus, consommer toujours davantage, inventer des « grands projets inutiles » au besoin pour « tirer la croissance ».

Pour mettre un terme à cette fuite en avant, il faut en finir avec le capitalisme, et inventer une société sobre, solidaire, décentralisée, avec une économie en circuits courts. Cela, les communistes libertaires le disent depuis des décennies déjà.

Le problème est qu’au stade actuel, même si nous renversons le capitalisme demain, le changement climatique est déjà enclenché. La question sera d’en limiter l’ampleur, et d’y adapter la société.

Mais alors… tout va s’effondrer ?

L’être humain ayant une capacité d’adaptation importante, il est peu probable que l’humanité disparaisse. Il est en revanche probable que sécheresses, incendies, inondations et autres pénuries se multiplient et entraînent des crises, des famines, des migrations forcées, des guerres. Il est aussi probable que, comme toujours, ce soit d’abord les pauvres qui trinquent, pendant que les riches s’accrochent à leurs privilèges et se construisent des îlots de bien-être au milieu d’un monde en basculement. Selon la définition établie par l’ancien ministre Verts Yves Cochet, devenu un des collapsologues les plus connus, l’’effondrement c’est un « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, énergie, logement, etc.) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi  »  [2]. Il n’y a là nulle vision eschatologique ou millénariste.

En fait, l’effondrement est déjà une réalité dans bon nombre de régions de la planète, et y compris pour les pauvres des pays riches. Coupures d’eau, électricité intermittente, transports publics paralysés... Si on laisse faire le capitalisme, l’effondrement risque très concrètement de se généraliser et de s’amplifier, tout comme la domination de classe et l’autoritarisme.

Réfléchir politiquement

Alors que cet imaginaire progresse dans la société, engendrant une forme d’« éco-anxiété », on voit se développer la « collapsologie », définie comme une science appliquée interdisciplinaire de l’effondrement, prenant en compte des critères écologiques, géopolitiques, financiers. Par exemple, le système financier international est aujourd’hui un facteur de vulnérabilité, car il peut déclencher une crise s’ajoutant à la crise environnementale. L’interdisciplinarité conduit aussi à considérer les dimensions psychologiques de la situation, sous deux aspects. Le premier invite à faire le deuil du monde que nous connaissons, avec son standard de vie, ses perspectives de progrès. Faire ce deuil et accepter l’effondrement permettrait alors d’entrer en action, condition indispensable pour éviter les pires scénarios. Cela ne signifie pas accepter de vivre mal, mais de changer nos standards et modes de vie pour vivre mieux avec moins. Le deuxième aspect vise à « accompagner » les gens souffrant d’éco-anxiété, alors qu’ un mélange d’émotions (déni, colère, renoncement, dépression) peut les empêcher de se mobiliser.

La collapsologie fait l’objet de nombreuses critiques, notamment sur l’insuffisance de ses analyses et propositions politiques, et nous reviendrons prochainement sur cela. Mais elle a le mérite d’ouvrir des espaces de réflexion et de discussion nécessaires à notre époque, sur ce que nous pouvons faire face à la gravité et à la complexité de la situation. Il faut détruire le capitalisme avant qu’il détruise la planète. Mais voilà : l’emballement actuel du réchauffement climatique réduit les échéances. Les révolutionnaires ne peuvent s’épargner une réflexion sur ce point.

Jocelyn (UCL Gard)

[1Sol gelé du grand Nord renfermant énormément de méthane, un puissant gaz à effet de serre.

[2Cité par Servigne et Stevens dans Comment tout peut s’effondrer.

 
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