Syndicalisme

Secteurs féminisés : Un Arc-en-Ciel qui ne fait pas rêver Tolbiac !




L’année 2022 se termine par une nouvelle grève victorieuse, de plus d’un mois, dans le secteur du nettoyage. Branche massivement féminisée et racisée, le mouvement a été soutenu par un large front syndical. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette lutte.

Après Sorbonne-Université en 2021, c’est à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne qu’une grève a éclaté en novembre 2022 dans le secteur du nettoyage. La dizaine d’agentes (massivement des femmes) engagées par la société Arc-en-Ciel sur le site de Tolbiac a mené, pendant un mois, une grève contre leurs conditions de travail.

Maltraitance et harcèlement, licenciement abusif d’une collègue, non-paiement des heures supplémentaires et de certaines primes, absence de contrats : autant de motifs de revendications et de colère légitime.

On retrouve là les méthodes habituelles dans le secteur du nettoyage, mais particulièrement chez la société Arc-en-Ciel, connue pour y être l’une des plus pourries, et confrontée à des conflits récurrents.

Le premier objectif a été de faire exister la présence de ces travailleuses et travailleurs « invisibles » qui nettoient au quotidien une tour de 21 étages. Un piquet de grève quotidien a été organisé dans le hall du centre, animé par les grévistes et leurs soutiens, surtout des étudiantes.

Plusieurs actions pour rendre le plus visible possible cette mobilisation ont été menées, comme le collage d’affiches, les distributions de tracts, ou les papiers répandus sur le sol du hall pour insister sur la nécessité de ce travail.

Une prise de parole s’est même tenue avec plus d’une centaine de personnes et de nombreuses interventions devant l’université. Ce fut une réussite, qui a permis non seulement d’imposer à la présidence de la fac de tolérer le piquet dans l’université (alors qu’elle voulait le rejeter à l’extérieur en plein hiver), mais aussi d’attirer plus largement l’attention.

Celle des étudiantes et personnels de l’université bien sûr, plutôt favorables dans ce centre habituellement très mobilisé, mais aussi de la presse qui est venue à plusieurs reprises, ce qui a mis une pression plus forte sur l’université.

Un soutien syndical unitaire

Cette efficacité a été permise par l’organisation des travailleuses et des travailleurs au sein de la CNT-SO (Confédération nationale du travail - solidarité ouvrière), qui a soudé l’équipe tout en leur donnant des outils de lutte.

Les organisations étudiantes, comme Révolution Permanente, Solidaires étudiantes, l’UNEF (Union nationale des étudiantes de France) et la FSE (Fédération syndicale étudiante), ainsi que les syndicats professionnels de lutte (Sud, CGT, FSU), ont soutenu le mouvement, tout en lui laissant son autonomie.

Le piquet de grève, dans le hall du centre, voit chaque jour passer des étudiantes
cc Initiative communiste

Les personnels de l’université ont ainsi pu relayer les revendications des grévistes lors du comité technique et lors de réunions avec la présidence. Le maintien d’une importante caisse de grève depuis le mouvement de 2019, cogérée par Sud et la CGT, a aussi permis de soutenir financièrement le mouvement.

La culture de lutte et l’union syndicale et interprofessionnelle ont facilité le maintien de la grève sur la durée. La présidence de la fac a ainsi été mise devant ses propres contradictions et ses arguments différents en interne et auprès des grévistes. Ce qui l’a forcée à tenir un discours plus radical que ses positions d’origine.

Autre effet positif : la droite et l’extrême droite (l’UNI, la Cocarde et le GUD) ont été tenues à distance durant tout le mouvement, ce qui prouve que le rempart le plus efficace contre l’extrême droite, c’est la lutte sociale !

Face à la solidité du mouvement, Arc-en-Ciel a bien sûr tenté de diviser les travailleuses et travailleurs en tenant une position inflexible, en refusant la réintégration de la collègue licenciée et en envoyant d’autres équipes tenter de nettoyer le site.

Le mépris et l’absence de négociation avec les grévistes a fini par être pesant au bout d’un mois de conflit, quand la question de la paie a commencé à se poser à l’approche des fêtes de fin d’année.

Malgré ces tensions, le mouvement est resté uni jusqu’à la signature le 5 décembre d’un accord victorieux : augmentations salariales, requalifications en CDI, paiement de la prime de décapage et du 13e mois . C’est donc une victoire matérielle et politique pour les grévistes.

Malgré tout, le refus obstiné de réintégration de la collègue licenciée ainsi que d’autres problèmes soulevés lors de la grève ont conduit la CNT-SO à saisir les prud’hommes. Enfin, il faudra rester vigilantes, Arc-en-Ciel n’ayant pas hésité à piétiner son propre accord de fin de conflit à Sorbonne-Université au bout de quelques mois.

Le problème de l’externalisation

En plus des conquêtes qu’elle a permis, cette lutte a eu plusieurs effets positifs au sein de l’université. Elle a renforcé l’union et la détermination des organisations de lutte, qui ont d’ailleurs gagné la majorité des sièges aux élections professionnelles qui ont suivi le mouvement.

Elle a aussi mis en lumière la sous-traitance au sein de la fac. Le phénomène est connu et massif dans le bâtiment ou à la Poste, avec à la clé des conditions de travail dégradées mais aussi des grèves.

Mais il se généralise aussi à l’université, dans les activités de sécurité, de nettoyage, et récemment même pour la prise de notes pour les comptes rendus des délibérations dans les conseils centraux !

Il est aberrant de continuer ce siphonnage de fonds publics au service d’entreprises maltraitantes, et les syndicats de Paris I ont déjà prévu de mener une campagne en 2023 pour obtenir l’internalisation de ces tâches. Enfin, cette lutte nous a rappelé que l’université ne peut fonctionner sans les métiers féminisés et racisés, dans le nettoyage mais aussi dans l’administration (aussi en grande souffrance à Paris I).

Obtenir des victoires dans ces secteurs est stratégique pour le syndicalisme de lutte. Il est essentiel de s’emparer de ces questions, notamment en vue du 8 mars.

Hugo (UCL Montreuil)


 
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