Harcèlements : On a réveillé les patriarches




Sous la chape de plomb asphyxiée de l’ordre capitaliste, de ses bulldozers détruisant les conquêtes sociales et la solidarité organisée, dans la morosité syndicale, la parole de femmes émerge comme une irruption volcanique qui met du plaisir dans la rage.

Il y a eu des années de lutte mais avec si peu d’espace, qu’on aurait pu finir par s’accoutumer à la déprime du système. Les patriarches avaient enfilé leurs charentaises. Ils avaient perdu le privilège du droit de vote, lâché l’avortement et même l’égalité des droits et se sentaient tranquilles, tout était en ordre  : les quelques chiennes hystériques résilientes faisaient toujours le ménage. Personne, du mari au patron, du camarade au collègue, ne craignait les femmes  : ils violaient, ils exploitaient, ils rigolaient, ils niaient, selon. Et pourtant  ! Il a suffi d’une allumette pour mettre le feu aux draps, la revendication bouillonne là où on la disait domestiquée.

Il y a 99 ans, Rosa Luxemburg était assassinée à Berlin par les hommes de l’ordre  : ses derniers mots nous rappellent que c’est aussi la réaction qui déroule le tapis rouge de la lutte. Parce que les réactionnaires ne manquent jamais de riposter, «  les combats révolutionnaires sont à l’opposé des luttes parlementaires. […] les révolutions n’ont apporté jusqu’ici que des défaites, mais ces échecs inévitables sont précisément la caution réitérée de la victoire finale.  » A ce titre, la réaction des valètes exprimée dans Le Monde du 10 janvier est exemplaire, elle indique le caractère révolutionnaire de la parole des femmes et la peur qu’elle inspire.

Deux titres. Un pour le buzz en ligne  : «  Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle  » ; un pour le papier  : «  Des femmes libèrent une autre parole  » Importuner, comme transgresser  ? Libérer, comme émanciper  ? Blague, mauvaise foi ou rhétorique car tout cela chapeaute l’ordre du vieux monde. Les auteures sont évidemment antiféministes. Folles du Roy, elles veillent la féodalité patriarcale pour que surtout, rien ne change. Elles se sont faites une place au soleil au prix d’allégeance aux hommes, qu’elles défendent par acte de soumission et de combat pour leur droit à les abuser. Comme tous les valets, elles ont un intérêt à flatter les puissants – et les statistiques sur les inégalités indiquent qu’il augmente avec la hiérarchie de classe . Cela est incompatible avec la solidarité  : affirmer la soumission passe par la rivalité avec les autres femmes et le féminisme.

Dans ce combat, toutes les vieilles armes servent.

La parole des femmes agressées est disqualifiée, les faits, minimisés  : «  la drague insistante n’est pas un délit  », «  ils n’ont eu pour seul tort que de toucher un genou  ». L’argument éculé de la victimisation tourne en boucle  : dénoncer et éventuellement légiférer c’est du puritanisme, cela «  enchaine les femmes à un statut d’éternelles victimes, de pauvres petites choses  ». Les basiques de droite sont à l’honneur  : la nature fonde les inégalités, il n’y a donc rien à faire. «  La pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage  ». La pulsion du Mâle, bien sûr. Par nature offensive, elle justifie la liberté d’agresser – pardon, «  d’importuner  », et oblige à la charité avec les frotteurs du métro pauvres hères en misère sexuelle. Et bête de l’Apocalypse, la guerre des sexes  ! Pas celle des hommes qui frappent et tuent chaque année des millions de femmes, les enferment dans la pauvreté et les activités et métiers domestiques, dans la peur des sorties nocturnes. Mais celle qui contrarie l’obsession des hommes à les harceler, posséder, dominer et exploiter.

Que reste-t-il aux femmes ? La liberté de dire non…

On vous voit d’ici les vilaines, chantant un slogan de 25 novembre  : «  Non, c’est non  ! La prochaine fois, ce sera trois coups de cutter dans ta bite, connard  !  ». Ah  ! Range ta lame, meuf  ! A droite, LA liberté sexuelle (des femmes) c’est l’adaptation puisqu’il faut élever les filles pour qu’elles soient suffisamment informées (des risques  ?) et conscientes pour pouvoir vivre leur vie sans se laisser intimider ni culpabiliser (quand elles seront, forcément, importunées). LA liberté c’est donc le repli de survie  : Nous ne sommes pas réductibles à nos corps. Notre liberté intérieure est inviolable… et ne va pas sans risques ni responsabilités. Elles vont loin, les femmes de droite dans l’abnégation et dans l’injonction terrible qu’elles imposent aux autres  : mon corps, ton corps, on s’en fout, il est fait pour encaisser. LA liberté des hommes, elle, est totale, nulle n’envisage d’élever les garçons à ne pas importuner.

La réaction des bourgeoises du monde révèle le caractère foncièrement révolutionnaire de la prise de parole et à travers les épouvantails on aperçoit le vacillement du système. Car la violence sexuelle est la peur qui fait la clef de voûte de l’ordre patriarcal, capitaliste. Les violences, du harcèlement à l’attouchement, au viol et au meurtre, et les inégalités salariales, d’emploi, ne sont pas indépendantes les unes des autres  : elles font toute ensemble le système. C’est parce qu’il est possible de violer une femme, qu’on peut la payer 25 % moins cher. La «  justice  » garde le temple  : «  il faut porter plainte  », voilà la tangente opportune pour dédouaner tous les coupables. Car la plupart des plaintes meurent  : en 2017 en France, sur plus de 60 000 viols, 46 ont été condamnés. La prescription est de 3 et 10 ans pour les attouchements et viols antérieurs à mars 2017, de 6 et 20 ans depuis. Les requalifications des crimes en délits ou non-lieu, finissent la sape. Comme la société, la justice accepte les violences. L’appeler, au lieu de soutenir les femmes victimes, les relègue dans la solitude invisible de la salle des pas-perdus.

Tout au contraire, la parole autonome nous relie. La vague de dénonciations des violences sexuelles dit aux femmes harcelées ou violentées qu’elles sont les membres d’un groupe qui comprend… toutes les femmes. Elle ouvre aussi les yeux des hommes qui auraient été assez distraits pour n’avoir rien vu. Et parce qu’elle atteint le cœur du système, elle porte un espoir que l’on croyait mort partout ailleurs. Les femmes pourraient-elles être aux côtés d’autres «  dominées  », victimes de racismes, migrantes, d’autant plus qu’elles sont prolétaires et ont tout à gagner, les ouvreuses de la Révolution que l’on veut  ?

Christine (AL Sarthe) et Valérie (AL Paris Nord-Est)

 
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