Syndicalisme

Les enjeux d’une sécurité sociale unifiée




La Sécurité sociale est une institution à laquelle nous sommes toutes et tous attachées. Mais elle est très mal connue, tout comme les enjeux liés à ses modalités d’organisation. D’où la nécessité de développer des analyses et de la formation sur la Sécu. Et de l’inscrire ainsi dans une perspective concrète pour un projet de société communiste libertaire.

Les nouvelles attaques contre nos retraites sont l’occasion d’aborder un sujet plus global, celui de la Sécurité sociale. Nous en avons une conception large, bien au-delà des remboursements de soins. Nous y incluons aussi les retraites complémentaires, le chômage, la perte d’autonomie, le handicap, etc. C’est ce à quoi nous invite l’article premier de l’ordonnance du 4 octobre 1945 de création de la Sécurité sociale : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ».

Le premier constat est que notre Sécu est une institution éclatée, entre la multiplicité des prestations, des caisses et celle des différents régimes. Tout au long de l’histoire de la mise en place d’une protection sociale obligatoire, aboutissant à la Sécu, patronat et État n’ont eu de cesse de maintenir et d’accroître cette fragmentation tant que le rapport des forces leur est plutôt défavorable. Ainsi, l’existence de plusieurs branches dans le régime général (maladie, famille, retraite et recouvrement des cotisations, et désormais perte d’autonomie) est le résultat d’une décision de l’État en 1967, par les ordonnances Jeanneney, suite à une revendication clairement formulée par le patronat.

Une fragmentation qui ne date pas d’aujourd’hui

Le second constat est que la Sécu est un enjeu de pouvoir entre les classes, un élément important du rapport global des forces entre elles. État et patronat en ont une idée très claire. Malheureusement, c’est bien moins le cas parmi les organisations syndicales et politiques militant pour une autre société. À la création de la Sécu en 1945, les syndicats sont majoritaires dans les Conseils d’administration (CA) des caisses locales de sécurité sociale. La CGT y tient alors une place centrale.

Un pouvoir syndical en ligne de mire

Mais rapidement l’État va répondre à la demande du camp patronal d’affaiblir le pouvoir syndical. Ainsi, les caisses d’allocations familiales sont pérennisées et les syndicats n’y ont pas la majorité aux CA. De même, le patronat décide de mettre en place des retraites complémentaires, refusant d’augmenter le niveau des retraites du régime général. Se mettent alors en place des caisses où il détient la moitié des sièges dans les CA : c’est le paritarisme. Il contourne ainsi la place prépondérante de la CGT, et joue sur la division syndicale pour imposer ses choix. La même démarche aboutit à la création du régime d’assurance-chômage avec l’Unédic à la fin de 1958. Les représentantes des salariées affiliées dans ces nouvelles institutions ne sont pas élues, mais désignées.

Et les ordonnances de 1967 mettent fin aux élections des membres des CA des caisses des nouvelles branches, ainsi que la majorité de la représentation syndicale. Le paritarisme est alors généralisé. Par ces deux mesures, la légitimité syndicale à gérer les organismes de Sécu est fragilisée. C’est une attaque en règle contre tous les éléments qui pourraient matérialiser une conscience de classe. À partir de la fin des années 1990, on assiste à une offensive autoritaire de l’État pour vider le peu de pouvoir syndical restant. On peut relier la suppression des élections aux conseils des tribunaux de prud’hommes à cette démarche. Le coup de force récent sur l’assurance-chômage en est la dernière manifestation.

Il faut alors aussi lire les tentatives récurrentes de mettre fin aux régimes spéciaux de retraite de salariées avec cet angle d’analyse qu’est le fil rouge du binôme État-patronat. Ces régimes sont des éléments du rapport de force. Leur suppression n’a pas qu’un objectif financier, mais aussi politique en affaiblissant des secteurs fortement syndiqués. Leur défense face à la nouvelle offensive du pouvoir qui s’annonce sur tous les régimes de retraite, est donc un préalable.

Cependant, les organisations syndicales ont aussi défendu dans le passé des projets d’une Sécurité sociale unifiée pour toute la population, et gérée par des représentantes élues par elle. C’était l’objet de la loi de 1946. Cela ne s’est pas fait. Ce projet doit être pour nous un tremplin pour donner une perspective plus large à nos luttes actuelles.

Donner une perspective plus large à nos luttes actuelles

Pour une Sécurité sociale de très haut niveau, et point d’appui d’une conscience de classe renforcée, nous défendons l’idée d’une Sécu unifiée, démocratique et autogestionnaire. Son périmètre doit être élargi, notamment pour couvrir de ­nouveaux risques comme ceux liés aux dérèglements climatiques.

Les caisses locales et uniques doivent être nombreuses, puis coordonnées aux niveaux géographiques plus larges. Toutes doivent être gérées par des représentantes élues et par les organisations syndicales des salariées qui y travailleraient.

Toutes doivent avoir un champ d’action qui correspond au périmètre de la Sécurité sociale afin que les administrateurs et administratrices aient une vision large des risques et de leurs liens. Par ce moyen, on établirait et renforcerait la démocratie au sein de la Sécu, et on combattrait plus efficacement les tendances au bureaucratisme.

Débattre pour une Sécu unifiée et autogestionnaire

Les caisses locales devraient pouvoir expérimenter sur leur territoire, et disposer des moyens pour le faire, en lien avec les associations populaires. Ce sont là aussi des moyens de construire la conscience de classe, de lui donner une base solide, en élargissant la participation à la vie quotidienne de la Sécurité sociale unifiée et autogestionnaire.

Voilà quelques éléments pour un débat large que nous souhaitons, et renouer ainsi avec le projet émancipateur des militantes syndicalistes de 1945.

Michel (UCL Vosges)

 
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