Clients de la prostitution : Pénaliser, une fausse bonne idée




La récente loi sur la prostitution a suscité le débat autour des mesures de pénalisation des clients, et de leurs effets. Après un premier point de vue paru le mois dernier, nous poursuivons la réflexion sur ce sujet ce mois-ci.

Au-delà des questions éthiques et féministes que pose la prostitution, il faut s’intéresser à l’amélioration immédiate des conditions de vie et de travail des personnes se prostituant. Plusieurs d’entre elles dénoncent le projet de pénalisation des clients, mettant en avant les effets pervers de cette mesure.

Une efficacité à modérer

Il est difficile de se prononcer sur les effets attendus de la loi de pénalisation, tant les sources en matière de prostitution sont peu fiables. Celles et ceux qui défendent la pénalisation des clients s’appuient souvent sur l’exemple de la Suède, où la pénalisation existe depuis 1999. Plusieurs enquêtes quantitatives auprès d’échantillons représentatifs de Suédois révèlent une légère baisse du nombre de clients, qui serait passé de 6,7 % en 1999 à 5 % en 2011  [1]. Les services de police de Malmö, troisième ville de Suède, constatent également une baisse de la prostitution de rue.

Cependant on peut imaginer que la prostitution se sera déplacée, soit sur internet, soit à l’extérieur des villes 
 [2], voire dans d’autres pays comme en Finlande où le nombre de lieux de prostitution a augmenté aux frontières 
 [3]. En France, des effets similaires de relégation de la prostitution dans des lieux excentrés et moins visibles que les centres-villes avaient été observés lors de la création du délit de racolage passif, créant ainsi des zones de non-droit pour les personnes se prostituant  [4].

Quels effets pervers pour les prostitué-e-s ?

Les associations de santé communautaires, le Strass et les personnes se prostituant que l’on veut bien entendre s’opposent à la pénalisation des clients parce qu’elle détériore les conditions de vie et de travail des prostitué-e-s. Là encore, les témoignages se croisent et se contredisent : un rapport du Comité national suédois de 2003 estime que rien ne prouve que la violence liée à la prostitution ait augmenté depuis la pénalisation des clients. Une travailleuse sociale du centre de prostitution de Stockholm affirme que les usager et usagères du centre ne mentionnent pas plus de situations de violences, et disent au contraire que la loi a permis une reconnaissance publique de leurs souffrances, liées à leur activité de prostitution. D’autres rapports et témoignages viennent contredire cela : à Edinburgh, en Écosse, l’association Scot-pep signale 66 incidents de violence en 2006 contre 126 l’année suivante, année ou des mesures répressives contre les clients ont été prises ; un constat similaire à Montréal en 2001, où les prostitué-e-s ont subi trois fois plus de violences durant une période
de surveillance policière des clients  [5].

Outre les violences, c’est la santé des personnes prostituées qui est en jeu  : contraintes à se cacher, elles auront plus difficilement accès à des services de soins proposés par les associations de santé communautaires  [6]. La pénalisation des clients implique aussi de devoir réduire le temps de négociation afin d’échapper au contrôle policier, ce qui peut inciter les personnes à accepter des rapports à des prix plus bas, ou non protégés.
Être contre la pénalisation des clients de la prostitution n’implique pas de se ranger dans le même camp que les auteurs de l’immonde manifeste des 343 salauds, ou que des ultra-libéraux pro-prostitution qui considèrent que fournir des services sexuels payants serait l’apogée de la libération sexuelle.

L’urgence : des droits sociaux pour toutes et tous

On peut à la fois critiquer les effets pervers de la pénalisation des clients et être contre la prostitution. La prostitution résulte de l’exploitation économique : ce sont souvent des femmes précaires, peu ou pas diplômées, souvent sans papiers et non francophones, qui se prostituent, dans des conditions de travail extrêmement pénibles, parce qu’elles n’ont pas d’autre choix pour survivre (sans parler de celles qui sont prises dans des réseaux de proxénétisme, qu’il faut évidemment démanteler). La prostitution perdure aussi car la société patriarcale érige la sexualité phallocentrée, où les hommes désirent et les femmes reçoivent, en norme sociale. Le projet de société communiste libertaire veut abolir l’exploitation économique et patriarcale, en cela AL est abolitionniste. Aujourd’hui, malheureusement, des personnes se prostituent pour survivre : faut-il attendre l’avènement d’une société idéale pour leur accorder un minimum de droits sociaux (couverture maladie, allocations de logement, congés maladie...) auxquels ont droit l’ensemble des travailleuses et travailleurs ? Il ne s’agit pas de savoir s’il est acceptable de se prostituer, mais de faire en sorte que les personnes contraintes à se prostituer puissent le faire dans les moins mauvaises conditions possibles. Cela commence par prendre réellement en compte la parole de toutes les personnes se prostituant, syndiqué-e-s ou pas, par revendiquer les droits sociaux minimaux et l’arrêt de toute répression envers les personnes qui se prostituent, à l’image du syndicat Solidaires Étudiant-e-s  [7] qui, sans prôner la réglementation, s’oppose fermement à la pénalisation des clients et exige plus de droits pour les prostitué-e-s.

Auréline (AL Toulouse)

[2Voir sur le site de Minorités « La pénalisation contre-productive », 3 novembre 2013.

[3Voir Hélène Hernandez et Elisabeth Claude, Anarchisme, féminisme contre le système prostitutionnel, Editions du Monde Libertaire, 2009.

[4Voir « De nouvelles zones de non droit, des prostituées face à l’arbitraire policier », LDH, MRAP, Syndicat des avocats de France et Syndicat de la magistrature.

[5Voir sur le site de Minorités « La pénalisation contre-productive », 3 novembre 2013.

 
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