Syndicalisme

Histoire du syndicalisme : Les premières années du Syndicat des travailleurs corses




À l’approche de son douzième congrès, retour sur la fondation et le développement d’une organisation syndicale originale  : le Syndicat des travailleurs corses.

Le processus historique ayant mené à la création du Syndicat des travailleurs corses (STC) commence au début des années 1970. C’est à cette époque qu’une équipe de jeunes syndicalistes, à la sensibilité à la fois autogestionnaire et régionaliste, prend le contrôle de l’Union départementale CFDT (UD-CFDT) de Corse.
Très tôt, ces militantes et militants prennent position en faveur des revendications du mouvement national corse. Dans leur conception, «  la revendication autonomiste du peuple corse [constitue un] levier puissant de la lutte des classes  ».

Alors que la lutte corse se radicalise à partir de 1976 après la fondation du Front de libération nationale corse (FLNC), un conflit éclate autour de la question nationale entre la direction de l’UD-CFDT de Corse et plusieurs responsables confédéraux. Ces derniers s’efforcent, avec difficulté, de limiter la place occupée par les revendications autonomistes dans l’activité des équipes syndicales.

En 1980, après quatre ans de lutte armée, le FLNC annonce publiquement une modification de sa stratégie. L’organisation nationaliste souhaite maintenant compléter son activité militaire par «  la mise en place de structures de contre-pouvoir à tous les niveaux de la vie économique, politique, sociale et culturelle  ». À la suite de cet appel, les nationalistes commencent à s’organiser directement sur leurs lieux de travail. Cette dynamique aboutira, le 1er mai 1984, à la fondation du STC.

Isolement et forte adversité

Cet effort organisationnel, où l’on retrouve plusieurs militantes et militants venus de la CFDT, est aussi l’occasion pour un nombre significatif d’entre elles et eux, issues de la gauche radicale, de s’impliquer dans le mouvement national. Ainsi, le premier secrétaire général du STC est un ancien militant trotskiste, ex-membre de l’Organisation communiste internationaliste. À ses côtés, on retrouve également des personnes venues de la Fédération anarchiste ou de la Ligue communiste révolutionnaire, l’ancêtre du NPA.

Pour le STC, nouvellement formé, la tâche qui s’annonce est considérable. Le syndicat le plus puissant sur l’île est alors la CGT, forte de plusieurs milliers d’adhérentes et d’adhérents. Largement alignée sur les positions du PCF, elle est très hostile au STC, qu’elle accuse de diviser la classe ouvrière. En outre, le tissu économique de la Corse est constitué essentiellement de TPE-PME qui, déjà à l’époque, sont un terrain difficile, largement laissé de côté par les organisations syndicales.

Pourtant, deux ans après sa création, le STC parvient à mettre en place près de 80 sections syndicales, dont un peu plus de trois quarts dans le secteur privé. En comparaison, la CGT, qui conserve la première place, revendique à la même époque 120 sections, dont seulement 30 % dans le secteur privé.

La lutte menée pour le développement de leur organisation par les militantes et les militants du STC est particulièrement rude. Face à eux se dressent des patrons pour lesquels l’activité syndicale est souvent à la fois inédite et scandaleuse, des administrations publiques hostiles au mouvement corse, et même parfois d’autres structures syndicales. En effet, ces dernières, qu’il s’agisse de FO, de la CFDT ou de la CGT, cherchent souvent à empêcher le développement du STC, notamment en faisant invalider ses listes lors de plusieurs scrutins d’entreprise. Ces obstructions n’empêchent pas le syndicat nationaliste de remporter de nombreuses victoires dans les urnes, et notamment lors des élections prud’homales de 1987, où, parti de rien, il obtient 17 % des voix.

Syndicalisme STC-Ajaccio
DR

Malgré ces succès, le STC reste isolé du reste du mouvement ouvrier insulaire. Cet isolement se fait particulièrement sentir à l’occasion du grand conflit social de 1989, durant lequel une vaste grève de la fonction publique, largement soutenue par la population, paralyse la Corse pendant près de trois mois. Pendant une bonne partie de ce mouvement, le STC se tient à l’écart de la mobilisation. Certes, il est encore relativement peu implanté dans le secteur public, qui est en pointe sur ce conflit, mais il est surtout en désaccord avec les mots d’ordre portés par les syndicats mobilisés.

Ces derniers réclament en effet la mise en place d’une «  prime d’insularité  » qui doit venir compenser un coût de la vie particulièrement élevé en Corse par rapport au continent. Le STC affirme quant à lui que les soucis du prolétariat insulaire sont une conséquence de la situation coloniale de l’île, et demande donc une solution globale au problème corse, plutôt qu’une prime coloniale, comme il l’appelle à l’époque. Cette position de la direction du STC n’empêche pas une partie de sa base de rejoindre tout de même le mouvement.

Néanmoins, ce n’est que lorsque le gouvernement français proposera comme issue au conflit la tenue d’une série de tables rondes visant à discuter des divers problèmes de la Corse que le STC jettera toutes ses forces dans la bataille afin de se frayer par la lutte un chemin jusqu’à ces négociations.

Indépendance politique progressive

Les positions adoptées par le STC durant ce conflit de 1989 sont largement liées à son appartenance à la coalition Unita Nazionalista. Cette dernière regroupe, sous la direction du FLNC, l’ensemble des contre-pouvoirs mis en place au fil des années par la mouvance indépendantiste corse. Ainsi, au moment où commence la grève de 1989, le FLNC est en trêve avec l’État français. Pour une bonne partie du mouvement indépendantiste corse, cette trêve militaire semble devoir se traduire par une trêve sociale, et ce d’autant plus que c’est contre l’État que se dressent les grévistes de 1989.

C’est lors de son congrès de 1991, à la faveur des querelles qui déchirent le FLNC, que le STC se dégage de la tutelle des structures militaires clandestines. Il affirme alors  : «  La seule direction politique que nous acceptons est celle des travailleurs corses.  »

Dans les années qui suivront, le STC sera une des rares organisations nationalistes à préserver son unité alors qu’éclate une véritable guerre civile entre les différentes composantes du mouvement corse. Le maintien de cette structure de masse, dans laquelle cohabitent des militantes et des militants issus de l’ensemble des sensibilités du nationalisme, sera l’un des éléments qui empêchera cette mouvance d’être réduite en lambeaux par ses conflits internes.

Guillaume (UCL Paris Nord-est)

 
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