Nestor Makhno était-il antisémite ?




Rappeler, aujourd’hui, le combat du mouvement insurrectionnel paysan en Ukraine, d’inspiration libertaire, la Makhnovchtchina, n’est pas anodin dans une période où la confusion idéologique et les thèses conspirationnistes infectent de façon récurrente le débat sur l’antisémitisme.

L’Ukraine est, dans les premières années de la Révolution russe dans une situation d’instabilité totale, en proie à une guerre civile aux multiples facettes. Des pogroms font des dizaines de milliers de victimes. Nestor Makhno, anarchiste et figure de proue de l’insurrection paysanne en Ukraine, accusé d’antisémitisme par certains détracteurs, est un enfant de la paysannerie pauvre. Il est imprégné de la culture paysanne et développe une confiance indéfectible envers le moujik  [1] qu’il considère comme l’élément potentiellement révolutionnaire, grâce à ce que nous appellerions aujourd’hui son «  bon sens paysan  ». Le regard qu’il porte sur toutes les autres couches actrices de la révolution est périphérique, critique, voire conflictuel. Il n’y a aucun antisémitisme dans ses écrits, mais il développe parfois une prose très rude face à des démarches communautaires qu’il estime contraires aux idéaux de la révolution. Toutefois, il sait discerner les Juifs des responsables communautaires opportunistes prêts à monnayer au plus offrant la tranquillité de la communauté. Il a d’ailleurs toujours fréquenté des Juifs, dans son enfance, en prison à Moscou en 1911 ou lors de son exil à Paris.

Makhno joue, dans ces temps de crise, un rôle de modérateur, tempérant sans cesse les tentations antisémites qui parcouraient le monde paysan et ouvrier de Gouliaï Polié et ses alentours  : «  Nestor Makhno proscrivait sévèrement toute discrimination et il s’efforça de combattre les fortes tendances antisémites des paysans, ce qui s’avéra à peu près aussi difficile que de les empêcher de boire et de piller. » [2]  Lorsque la nouvelle d’une exaction parvient à ses oreilles, elle est immédiatement sanctionnée.

Les colonies agricoles juives, situées sous le contrôle géographique du mouvement, reçoivent des armes pour leur autodéfense, alors même que celles-ci font cruellement défaut sur le front.
Venus de l’exil où d’autres provinces russes, de nombreux juifs et juives rejoignent le mouvement. Certain.es prennent des postes importants au sein de la Makhnovchtchina. A Karkov, il est mis en place un groupe de propagande en langue yiddish.

La calomnie stalinienne

À la suite de la rupture avec le mouvement makhnoviste en novembre 1920, les soviétiques cherchent à le salir plutôt qu’à le combattre politiquement. Des historiens soviétiques échafauderont des récits à coup d’approximations dénonçant des actes d’antisémitisme perpétrés par des groupes makhnovistes. L’historien Ilia Tchérikover, spécialiste reconnu de l’histoire des pogroms dans cette région, disculpera la Makhnovchtchina de ces accusations.

Makhno réfutera jusqu’à sa mort cette persistante rumeur. Ainsi écrit-il en 1927, dans le journal Dielo Trouda no 30-31  : «  C’est ainsi que la Makhnovchtchina, durant toute son existence, observera une attitude intransigeante à l’égard de l’antisémitisme et des pogromistes, cela parce qu’elle était un mouvement authentiquement laborieux et révolutionnaire en Ukraine  ».

Lorsque Léon Shapiro rencontre Makhno, en 1930, et le questionne sur le sujet, ce dernier ne nie pas certaines exactions mais explique ne pas avoir réussi à tout maîtriser. Il nie le fait d’y avoir été personnellement impliqué  [3].

Jean-Marc Izrine

[1Paysan en russe

[2Paul Avrich, Les anarchistes russes,
AK Press, 2005.

[3Paul Avrich, Anarchist Voices, AK Press, 2005.

 
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