Syndicalisme international : Un panorama pour y voir clair




Le syndicalisme international : voilà bien un objet mystérieux pour la plupart des syndiqué.es ! Des sigles méconnus, des structures lointaines, des Meccano linguistiques à l’action mal identifiée au-delà des slogans internationalistes traditionnels... Comment se structurent les différents mouvements syndicalistes au niveau mondial ? Que font-ils concrètement ? Ce mois-ci, un panorama complet pour mieux comprendre, avant de s’atteler, le mois prochain, à la question : « Que faire là-dedans ? »

Christian (AL Paris-Banlieue sud-est)


Confédération syndicale internationale

MASTODONTE RÉFORMISTE

Fondée en 2006, la CSI est ­l’organisation qui rassemble le plus de syndiqué.es à ce jour : 331 organisations dans 163 pays, pour 207 millions de membres. Mais ceci couvre des réalités très différentes selon les pays ; en France par exemple, la CGT, la CFDT, FO et la CFTC sont membres de la CSI.

La CSI apporte un soutien aux organisations membres confrontées à la répression et à la négation des libertés syndicales. Elle appuie des campagnes « généralistes » sur des thèmes que les révolutionnaires peuvent partager – la justice climatique, l’élimination de l’esclavage… – mais elle n’organise pas d’actions directes du type grèves, manifestations, etc., considérant que c’est de la responsabilité des struc­tures nationales membres d’une part, des fédérations sectorielles internationales d’autre part. Ces dernières ne sont pas membres en tant que telles de la CSI, mais elles travaillent avec, notamment à travers le groupement Global Unions (Global-­unions.org).

La CSI est à la fois le lieu d’un syndicalisme convenu et hautement bureaucratisé, et un moyen de rencontrer des syndicats de toutes les régions du monde, certaines aux orientations et pratiques radicales. En vue du 4e congrès mondial de la CSI, qui se tiendra en décembre 2018 à Copenhague, la CGT française soutient la candidature au secrétariat général de l’actuelle responsable de la CGIL (Italie), Susana Camusso, dont l’élection serait présentée comme un « tournant à gauche »… Les communistes libertaires d’AL/FDCA (Italie) et bien d’au­tres syndicalistes de ce pays pourraient expliquer avec force exemples en quoi l’éventuel tournant serait bien modéré, avec cette digne bureaucrate, aussi conciliante avec le patronat qu’intraitable avec ses oppositions internes.

www.ituc-csi.org


Confédération européenne des syndicats

IMBRIQUÉE DANS LA TECHNOCRATIE

La CES n’est pas organiquement liée à la CSI, qui possède son propre secteur régional pour l’Europe. Sa création en 1973, son existence et son fonctionnement sont en fait étroitement liés à l’Union européenne. Sa politique consiste à accompagner le système capitaliste, à le réguler, sans nullement en remettre en cause l’existence. L’action revendicative n’est pas du tout une priorité. « Petit à petit, il existe une dérive de la CES vers une pratique syndicale qui est plus du lobbying et de la représentation que du concret et de l’action », a regretté Philippe Martinez devant la commission exécutive confédérale de la CGT, le 3 juillet. Le constat est juste... mais contrairement à ses propos, il n’y a là rien de nouveau !

La CES compte quelques organisations au sein desquelles des communistes libertaires interviennent, telles que la CGT en France ou la CGIL en Italie. No­tre courant, et plus globalement les syndicalistes révolutionnaires, ne pèsent pas dans les orientations nationales de ces confé­dérations syndicales, mais sont influents dans quelques syndicats ou structures interprofessionnelles qui les composent.

La CES affilie 85 organisations issues de 36 pays, et 10 fédérations professionnelles européennes sont constituées. Certaines sont à la fois la fédération sectorielle de la CES et la structure européenne d’une internationale professionnelle. Par exemple, ETF est la fédération des transports de la CES, mais aussi la structure européenne d’ITF, fédération internationale des transports qui est bien plus ancienne, et combative, que la CES.

www.etuc.org


Plateforme des syndicats des nations sans État

ANTICOLONIALISME ET LUTTE DE CLASSE

Ce réseau regroupe des syndicats de ­classe, indépendants des partis, luttant contre la globalisation capitaliste, et qui associent libération sociale et libération nationale. Autant de raison de s’y intéresser, pour des communistes libertaires, et de chercher à favoriser le dialogue entre ces organisations et les syndicats dans lesquels nous sommes investi.es.

Une douzaine d’affiliés – tous issus de régions dépendantes d’États européens – ont participé à sa dernière rencontre internationale, en 2015, en Italie. On y trouvait le LAB du Pays basque, mais aussi des syndicats majoritaires dans leur secteur géographique comme le STC en Corse, l’UTG en Guyane, l’UGTG en Guadeloupe, l’USTKE en Kanaky, ou d’autres comme l’Intersindical CSC (Catalogne) et la CUT (Galice) par ailleurs membres de la FSM, et encore quelques syndicats bien plus faiblement implantés.


Le réseau des forums sociaux, le Global Labour Institute

HÉRITAGE DE L’ALTERMONDIALISME

Si le processus des forums sociaux européens (FSE) est en panne depuis celui d’Istanbul en 2010, celui des forums sociaux mondiaux (FSM) se poursuit. Ces grands rassemblements n’ont véritablement d’intérêt pour les syndicats que s’ils s’inscrivent dans un travail international de longue haleine, régulier, tant professionnel qu’interprofessionnel.

En Europe, les principales forces syndicales investies dans les forums sociaux sont Solidaires (France), la FSU (France), la CSC (Belgique), ESK (Pays Basque), IAC (Catalogne), la Confederacion Intersindical (État espagnol). D’autres organisations y participent comme la CGT (France), la FGTB (Belgique) et plusieurs syndicats d’Europe de l’est en recherche de contacts internationaux. Sur le plan européen, des réseaux comme l’Altersummit ou Blockupy regroupent sensiblement les mêmes organisations.

Au croisement des structures syndicales internationales et de ces réseaux, on peut situer le Global Labour Institute (GLI), dont le lien avec l’éducation populaire est une autre caractéristique. Le projet du GLI repose aussi sur la recherche d’une meilleure efficacité pour les fédérations sectorielles internationales. Solidaires et la CGT étaient parties prenantes de la rencontre francophone de 2017.

www.globallabour.info/fr


Réseau syndical international de solidarité et de luttes

AU CARREFOUR DES COMBATIVITÉS

Le RSISL existe en tant que tel depuis mars 2013. Sa création est le fruit d’un travail commun entre l’Union syndicale Solidaires (France, syndicat « alternatif »), la Centrale syndicale et populaire Conlutas (Brésil, très liée à des courants trotskystes, notamment « morénistes ») et la CGT (État espagnol, anarcho-syndicaliste), 3e force syndicale dans la péninsule ibérique.

Le Réseau accueille aussi bien des confédérations et des unions interpro­fessionnelles que des fédérations professionnelles, des unions locales ou de simples syndicats, mais aussi des tendances syndicales. Cela permet de tenir compte des courants combatifs existant au sein de centrales syndicales quasi uniques dans certains pays.

La participation au Réseau se fait sur la base d’un appel dont le contenu anticapitaliste, écologiste, féministe, autogestionnaire, antiraciste, anticolonialiste, etc., est très clair. Il est signé par une soixantaine d’organisations parmi lesquelles la CUB et SI-Cobas (Italie), Batay Ouvriye (Haïti), UNT (Salvador), RMT (transports, Grande-­Bretagne), CGSP-FGTB (rail, Belgique), CGATA (Algérie), Sinaltrainal-CUT (agro-alimentaire, Colombie), CUPW-STTP (Poste, Canada), CGT (Burkina Faso), FGPTT-UGTT (Poste, Tunisie), PPSWU (Poste, Palestine), KPRI (Indonésie)… En France, outre Solidaires, la CNT-SO et la CNT-F, des tendances comme Émanci­pation et le CSR en sont membres.

L’adhésion au RSISL n’est pas exclusive. Ainsi, on trouve en son sein des organisations par ailleurs membres de la CSI, de la FSM, de la Coordination rouge et noir, voire sans aucune autre affiliation.

Le Réseau travaille sur trois axes :

  • la solidarité pour appuyer des luttes ou contre la répression ;
  • le renforcement de réseaux sectoriels pour ancrer l’internationalisme dans le syndicalisme quotidien (Réseau rail sans frontière, centres d’appels, santé, Amazon, automobile, etc.) ;
  • la réflexion sur des sujets jugés prioritaires : l’autogestion, le contrôle ouvrier ; les droits des femmes ; les migrations ; la répression envers les mouvements sociaux ; le colonialisme.

www.laboursolidarity.org


Coordination syndicale rouge et noir

LE RÉFÉRENT ANARCHO-SYNDICALISTE

Cette coordination rassemble des organisations se revendiquant de l’anarcho-syndicalisme : CGT et Solidaridad Obrera (État espagnol), SAC (Suède), USI (Italie), CNT-F (France) et IP (Pologne). Toutes – hormis la SAC – sont également membres du Réseau syndical international de solidarité et de luttes. On y trouve également l’ESE (Grèce) ou le BIROC-IWW (Grande-­Bretagne) qui, de facto, tiennent davantage du groupe affinitaire que de l’organisation syndicale. La CGT espagnole porte l’essentiel de ­cette coordination.

La Coordination syndicale ­rouge et noir publie parfois du matériel commun en plusieurs langues, mais la faible implantation en entreprise de la plupart de ses organisations membres limite sa capacité à mener de vraies ­campagnes internationales ou à peser dans le mouvement social européen.

www.redblack.org


Fédération syndicale mondiale

CURIEUX ATTELAGE SYNDICALO-ÉTATISTE

Fondée en 1945, la FSM fut jadis l’internationale syndicale inféodée à Moscou. Déjà affaiblie par les crises du bloc communiste (exclusion des syndicats yougoslaves en 1950, chinois en 1966, départ de la CGIL italienne en 1975), elle est fortement amoindrie dans les années 1990 par l’éclatement du bloc soviétique. Elle subit alors la défection des syndicats d’État qui, à l’Est, en formaient la colonne vertébrale, et de syndicats procommunistes de l’Ouest qui, comme la CGT, se repositionnent.

Aujourd’hui, la FSM agglomère trois types d’organisations.

  • Premier type, le plus solide : les syndicats officiels d’États ­dictatoriaux (Iran, Syrie, Vietnam, Cuba, Corée du Nord…) qui n’ont de syndicat que le nom, et sont en fait des organismes d’encadrement de la classe ouvrière au service du pouvoir.
  • Second type : des organisations ­marquées par la nostalgie de l’URSS comme la tendance PAME (Grèce), la CTB (Brésil) et, en France, la fédération CGT de l’Agroalimentaire.
  • Troisième type : des organisations qui adhèrent à la FSM surtout par rejet de la Confédération syndicale internationale (et de la CES pour l’Europe), comme le Cosatu (Afrique du Sud), le LAB (Pays basque), certaines fédé­rations de la CGTP (Portugal), l’USB (Italie) ou le RMT ­(Grande-Bretagne). En France, les fédérations CGT de la Chimie et du Commerce, les UD 13 et 94 par exemple, font partie des structures qui ont rejoint la FSM pour cette raison ou ont lancé le processus en vue de le faire.

La situation de la FSM est donc paradoxale puisqu’en son sein des syndicats authentiquement de lutte de classe se trouvent associés à des organismes de collaboration de classe soutenant des régimes d’exploitation qui nient les libertés syndicales.

Lors du prochain congrès confédéral de la CGT française, en mars 2019, le hochet du « retour à la FSM » pourrait être agité par les courants oppo­sitionnels staliniens, à défaut ­d’une véritable orientation alternative à la direction Martinez.

www.wftucentral.org


Association internationale des travailleurs

SPIRALE AUTODESTRUCTRICE

L’AIT a été fondée en 1922 par de robustes organisations syndicalistes révolutionnaires (puis, par la suite, anarcho-syndicalistes) refusant la tutelle soviétique. Parmi elles : la CNT (État espagnol), la FAUD (Allemagne), l’USI (Italie), la SAC (Suède), la Fora (Argentine)… La plupart ont été brisées par le fascisme au cours des années 1930 et ont survécu dans l’exil.

Après-guerre, l’AIT a joué un rôle dans la reconstruction de l’anarcho-syndicalisme dans le monde mais, dans les années 1990, elle a connu une dérive dogmatique et sectaire, enchaînant les schismes et les excommunications. À tel point qu’elle n’existe plus aujourd’hui qu’autour de petits groupes anarchistes en Norvège, France, Italie, Pologne, Russie, Portugal et Grande-Bretagne.

Après avoir elles-mêmes été exclues de l’AIT pour une quelconque déviation doctrinale, les deux dernières organisations dignes de ce nom, la FAU allemande et l’historique CNT (État espagnol) ont décidé de refonder une internationale.
C’est chose faite depuis le 13 mai 2018. À Parme s’est tenu le congrès fondateur de la Confédération internationale du travail (CIT), qui a rassemblé la CNT, la FAU, les IWW d’Amérique du nord, l’USI d’Italie, IP de Pologne, ESE de Grèce.

www.iwa-ait.org

 
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