Lire : Bihr, « Le Premier Âge du capitalisme (1415-1763) »




Au terme d’un travail de douze années de recherches, Alain Bihr fait paraître L’Expansion européenne, premier tome d’une trilogie sur le développement du capitalisme.

Comment le capitalisme est-il possible  ? Cette question n’a rien de rhétorique. Le capitalisme se définit par un processus d’accumulation de capital qui nécessite deux conditions  : d’un côté, il faut une masse de prolétaires pauvres – voire miséreux selon les cas – n’ayant d’autre choix que de vendre leur force de travail. D’un autre côté, il faut une minorité disposant d’un capital économique garanti par une puissance coercitive (un État) qui permet de mettre ces prolétaires au travail. Le problème posé par Marx est que cela constitue un cercle logique  : pour accumuler du capital, il faut déjà en avoir... Comment s’est donc produite, avant même le capitalisme, cette «  accumulation primitive  » de capital  ?

La grande innovation de Marx a été de montrer que cela relevait d’une extorsion violente et non d’une accumulation pacifique par de simples thésauriseurs. Il a fallu d’abord paupériser des masses pour enrichir des capitalistes. Les différentes étapes de ce processus sont connues  : les enclosures (soit l’expropriation des paysans de leurs terres, puis l’exode rural transformant d’anciens paysans des campagnes en prolétaires des villes)  ; les différentes lois entérinant la disparition des «  communs  » (le jeune Marx, alors journaliste, avait étudié une loi interdisant le ramassage de bois)  ; l’apparition des manufactures (et leur rupture par rapport aux anciennes coopérations dans le travail)  ; la domination du mode de production capitaliste industriel au niveau européen, puis mondial.

Conquête et expropriation

L’ouvrage d’Alain Bihr, qui revient sur l’histoire de cette «  accumulation primitive  », montre en quoi le développement de l’industrie nécessitait, au préalable, la soumission d’une partie du monde aux grands États européens. Économie capitaliste et développement des États-nations sont allés de pair, et ont été imposés au monde entier.

Comment  ? C’est à cette question que tente de répondre le livre, en analysant toutes les formes qu’a revêtues cette expansion, des moins brutales (commerce) aux plus violentes (colonisation). Quelles résistances les autres sociétés ont-elles opposées  ? Pour le comprendre, il faut étudier la manière dont «  l’attaque  » s’est produite (développement des ports et du commerce maritime, des armées nationales etc.), mais également les conditions sociales de la «  défense  » des sociétés. Travail d’ampleur abyssale.

Dans La Préhistoire du capital (2006), Alain Bihr examinait les conditions de la formation de l’éclosion des rapports de production capitaliste au sein du féodalisme. Il concluait alors que «  le féodalisme, tel qu’il s’est formé en Europe à la fin du premier millénaire et dans l’archipel nippon dans le cours de la première moitié du second millénaire, est le plus favorable, à la limite le seul favorable, à la formation de ce rapport de production  ». Mais le féodalisme n’était pas, à lui seul, une condition suffisante. Il a fallu également la «  mondialisation  ». Non pas celle qu’on fantasme comme extension naturelle des échanges entre êtres humains sur la Terre et condition d’une paix perpétuelle entre les États, mais la mondialisation violente de la conquête et de l’expropriation, celle qui s’est nourrie du sang et des larmes, dans la boue des batailles.

Bernard Gougeon (Sud-Educ 81)

  • Alain Bihr, Le Premier Âge du capitalisme (1415-1763). Tome 1 : L’Expansion européenne, Syllepse / Page 2, 2018, 700 pages, 30 euros.
  • Entretien avec l’auteur de l’ouvrage sur le site Le Comptoir
  • Compte-rendu de lecture par Michel Husson dans la revue Politis.
 
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