Economie

Hausse des prix et capitalisme en roue libre




Question hautement inflammable, l’inflation est revenue de plein fouet dans le débat public. Pratiquement oubliée en France après deux décennies de stabilité monétaire, il s’agit d’un phénomène complexe qui révèle des inégalités considérables et les failles les plus fondamentales du capitalisme. Décryptage.

Une fois n’est pas coutume, l’actualité économique et sociale a été ramenée sur la place publique par la hausse des prix que l’on constate quotidiennement. Alors certes, en toute rigueur, il est difficile de dire si nous vivons bien un phénomène inflationniste important (voir encadré)  : certains prix, comme ceux du gaz, augmentent tandis que d’autres diminuent.

Résultat  : l’indice qui synthétise les prix à la consommation connaît une augmentation assez modérée. Est-ce à dire que la hausse des prix est un faux problème  ? Essayons d’y voir plus clair.

L’inflation n’est pas la même pour tous

L’ampleur de la hausse des prix que nous vivons depuis quelques mois peut apparaître relativement anodine au regard des taux d’inflation très élevés qui prévalaient encore à la fin du XXe siècle  : les prix augmentaient facilement de 2 à 3 % par an dans les années 1990, et de 3 à 13 % dans les années 1980. Mais la croissance très faible et les politiques d’austérité des dernières décennies nous ont habitués à des taux d’inflation minimes, de l’ordre de 1 % par an, à tel point que les spécialistes ont craint un phénomène déflationniste.

Autant dire que l’augmentation de 2,6 % enregistrée entre janvier et octobre 2021 est considérable en comparaison. Le phénomène semble d’ailleurs encore plus important à l’étranger  : aux États-Unis, on assiste à une augmentation des prix de 5,3 % pour le seul mois d’octobre.

Comment comprendre ce phénomène  ? Premier élément, on assiste à des pénuries de matières premières comme les semi-conducteurs, les produits agricoles ou les matériaux de construction. Ces pénuries ne sont pas sans lien avec les plans de relance massifs façon «  grands travaux  » qui ont été annoncés du côté de la Chine et des États-Unis. Nettement plus ambitieux que les mesures prises en Europe, ces plans constituent un puissant choc de demande qui tend à polariser les flux de matériaux en direction de ces deux puissances.
D’une façon générale, les mesures visant à stabiliser le capitalisme qui sont mises en œuvre à échelle du monde ont tendance à limiter voire à annuler la hausse prévisible du chômage, à solvabiliser les entreprises et à accroître les commandes publiques.

La pandémie et notamment les confinements ont entraîné un accroissement ou une diminution de la demande dans certains secteurs. Là où les services liés au tourisme et à la restauration ont connu une forte chute, le matériel informatique a explosé. Il n’est cependant pas évident que ces évolutions perdurent une fois la crise passée.

Tous ces éléments concourent à un accroissement des prix dans le BTP, l’énergie, les denrées alimentaires et les biens de consommation notamment. On mesure facilement que de telles augmentations sont subies très inégalement selon les classes sociales.

Entre le budget d’une famille populaire et celui d’une famille bourgeoise, la nourriture et le carburant ne pèsent pas en proportions égales. Plus le budget est réduit, plus les biens et services de base représentent une part importante des dépenses.

Le constat étant fait, quelles sont les mesures prises par l’appareil d’État  ? La fameuse «  indemnité inflation  » de 100 euros distribuée largement par le gouvernement favorise l’effet d’annonce d’un chiffre rond. Mais elle échouera à compenser les effets dévastateurs de la hausse des prix sur les ménages les plus pauvres, si tant est qu’elle soit votée par le Parlement. Le blocage partiel des prix de l’énergie a été décidé trop tardivement pour limiter les dégâts. Dans un contexte où l’indexation des salaires et des pensions sur les prix a été largement abandonnée, il en faudrait bien davantage.

Un numéro d’équilibrisme les mains liées

Il existe un risque non négli­geable que les banques centrales européenne (BCE) et états-unienne (FED) soient tentées de couper le robinet du crédit en rehaussant les taux d’intérêts directeurs. Rappelons qu’en dépit de politiques plus audacieuses menées depuis la crise de 2008, la seule mission confiée officiellement à la BCE est la lutte contre l’inflation.

Or, augmenter les taux d’intérêt conduirait à une diminution de la masse monétaire en circulation et donc à un ralentissement des investissements privés, favorisant une baisse de la croissance et de l’emploi. Les mesures budgétaires relativement généreuses qui sont prises actuellement sont elles-mêmes des bombes à retardement  : financées par l’endettement public, elles justifieront un retour d’autant plus brutal aux politiques d’austérité une fois la pandémie maîtrisée.

On le voit, cette hausse des prix manifeste une des contradictions les plus fondamentales du capitalisme. Les prix et la monnaie, ces inventions purement humaines reposant sur des conventions et de la confiance, peuvent devenir hors de contrôle alors que personne n’y a fondamentalement intérêt. Comme la créature de Frankenstein, les logiques du capitalisme échappent à leurs maîtres. En l’absence d’une coordination consciente entre la production et la consommation, l’économie est condamnée à des fluctuations erratiques voire catastrophiques.

Face à ce problème, les politiques budgétaires et monétaires sont fortement contraintes, du moins si l’on refuse de prendre l’argent là où il est, c’est-à-dire dans les poches du grand capital. À ce titre, l’État s’est volontairement lié les mains en privatisant le secteur de l’énergie. Aussi central qu’il soit, l’État n’est pas l’acteur tout-puissant qu’il prétend être pour asseoir sa légitimité. Soumis aux intérêts des grands capitalistes, il mène des politiques tantôt insuffisantes, tantôt grossières, qui conduisent à un gaspillage considérable de ressources.

Certes, la relance budgétaire, c’est mieux que rien  : les politiques keynésiennes ont sauvé la vie du capitalisme à maintes reprises, en atténuant la colère des classes laborieuses. Mais il faudra tôt ou tard constater les limites indépassables de cette logique. Seule une planification démocratique, conduite par le peuple travailleur lui-même, peut en venir à bout. L’économie est notre création, elle doit être entre nos mains.

Mathis (UCL Grand-Paris sud)


L’inflation, quézaco ?

L’Insee définit l’inflation comme « la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix ». En clair, l’inflation fait diminuer ce qu’il est possible d’acheter avec une pièce d’un euro. La dimension « générale » du phénomène est importante : une simple augmentation du prix du blé ou des composants électroniques n’est pas un phénomène inflationniste. En revanche, la hausse des prix de certains produits cruciaux pour l’ensemble de la production peut entrainer une inflation importante. C’est notamment le cas du pétrole, dont les fluctuations se répercutent sur les prix de très nombreuses marchandises. Quant à la déflation, c’est tout simplement le contraire de l’inflation, c’est à dire une baisse générale et durable des prix.

 
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