Syndicalisme

Le patronat veut faire la peau au lycée pro




Le relatif succès de la grève interprofessionnelle du 18 octobre doit aussi beaucoup à la grève majoritaire dans les lycées professionnels qui a eu lieu ce même jour. Parce que la voie professionnelle concerne en majorité les franges les plus précarisées de la jeunesse populaire, la défendre face aux appétits patronaux constitue un véritable enjeu dans la lutte des classes actuelle.

Dix-huit syndicats : l’arc intersyndical appelant à la grève le 18 octobre dans la voie professionnelle était inédit par son ampleur. Le taux de grévistes a avoisiné les 60% avec des rassemblements fournis partout en France et pour la plupart ayant fait la jonction dans la rue avec la mobilisation interprofessionnelle.

Si ce premier round est plutôt réussi, il en faudra plus pour arrêter le bulldozer gouvernemental qui a déjà considérablement affaibli le service public d’éducation.

Une réforme au service du patronat

Au lendemain de l’élection présidentielle, le ton était donné : l’enseignement professionnel allait passer sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale et du ministère du Travail.

Les annonces n’ont pas tardé et répondent en tous points aux aspirations classiques du patronat sur ce sujet : adaptation de la carte des formations aux besoins immédiats des entreprises et casse des diplômes nationaux, transfert de la formation professionnelle aux entreprises à travers l’augmentation des temps de stage et valorisation du tout apprentissage qui ne coûte quasiment rien à l’employeur du fait des aides publiques.

Il s’agit, en résumé, de renforcer la mainmise des entreprises sur la formation scolaire en entraînant, au passage, un véritable plan social susceptible de supprimer plusieurs milliers de postes dans l’enseignement professionnel.

Les lycéens et les lycéennes seront utilisées encore davantage comme de la « chair à patron » dans les stages en entreprise et bénéficieront d’une formation scolaire dégradée. Leur orientation deviendra presque impossible vers les études supérieures et un avenir peu radieux les attendra dans le monde du travail faute d’une qualification solide.

lycée professionnel : 600 000 élèves

L’existence du lycée professionnel remplit une fonction dans la division du travail en formant le futur salariat d’exécution ; une fonction sociale elle-même étroitement liée à la hiérarchisation scolaire. Le lycée professionnel accueille aujourd’hui un lycéen ou une lycéenne sur trois, soit presque 600 000 élèves, essentiellement en provenance de catégories ouvrières, employées et inactives.

Les publics accueillis sont parmi les plus fragiles scolairement et socialement. C’est aussi pour cette raison que le lycée professionnel est souvent le premier touché par les diverses contre-réformes gouvernementales. Sous l’effet des luttes, le processus progressif de massification scolaire mis en œuvre sous la Ve République s’est en partie opposé à la vision « utilitaire » d’un enseignement perçu comme une antichambre du monde du travail ou réservé seulement à une minorité.

L’existence du lycée professionnel remplit une fonction dans la division du travail en formant le futur salariat d’exécution ; une fonction sociale elle-même étroitement liée à la hiérarchisation scolaire.
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Cette vision est encore loin d’avoir disparu, mais elle a dû composer au cours du temps avec la volonté d’un enseignement global alliant savoirs généraux, techniques et citoyenneté. Le lycée professionnel d’aujourd’hui est le fruit des luttes passées : toutes les attaques subies de ces quinze dernières années visent à casser ce compromis social et institutionnel.

Le passage du bac pro de quatre à trois ans en 2009 et l’exclusion des lycées du dispositif de l’éducation prioritaire en 2014 sous Hollande ont porté des coups rudes contre le lycée professionnel. Sous Blanquer, en 2018, des heures d’enseignement général ont été encore diminuées et le BEP disparaît alors qu’il restait parfois le seul diplôme accessible aux élèves les plus en difficulté.

L’apprentissage est valorisé et subventionné, au détriment du lycée professionnel alors qu’il est plus discriminatoire, dangereux (les apprentis sont surreprésentés dans les statistiques sur les accidents du travail), moins diplômant (le taux d’abandon en apprentissage est beaucoup plus élevé) et moins insérant professionnellement à moyen terme. La réforme envisagée ne dévie pas de cet objectif.

Reconduire et généraliser la grève

Les lycées professionnels occupent déjà une place centrale dans la délivrance des diplômes et la définition des qualifications, qui sont encore des droits collectifs que les travailleuses et les travailleurs peuvent opposer au patronat. Et ce même à l’heure où les conventions collectives sont gravement remises en cause.

Un affaiblissement supplémentaire des diplômes et des qualifications entamerait encore un peu plus le rapport de force entre capital et travail. Cette nouvelle réforme ne concerne pas que les profs de lycées professionnels et leurs élèves. L’ensemble du salariat organisé doit prendre sa part dans ce combat !

Il est cependant probable que la lutte pour sauver le lycée professionnel sera portée essentiellement par les enseignantes et les enseignants de lycées professionnels. Ce corps a derrière lui une grande tradition de lutte, mais elle s’est fortement effritée ces vingt dernières années. La grande grève reconductible et gagnante en 2000 pour obtenir un statut équivalent aux autres professeurs de lycée paraît très lointaine…

L’attitude du syndicat majoritaire et corporatiste, le Snetaa-FO, semble être différente qu’en 2018 où il avait soutenu la réforme imposée par Blanquer. La CGT Éduc’action, très présente dans la voie pro, la FSU ou encore SUD adoptent une posture combative. Reste à voir à quel point ces organisations et leurs équipes militantes parviendront, en pleine période d’élections dans la Fonction publique, à

ancrer la perspective d’un mouvement reconductible au sein de la profession.

Les récents échecs des mobilisations contre les réformes du collège ou du lycée général et technologique montrent qu’une mobilisation « catégorielle » est rarement gagnante même si elle est déterminée. La question de la généralisation de la grève à toute l’Éducation nationale se pose donc.

Ces difficultés sont bien connues des militantes et des militants libertaires qui s’impliquent au sein de SUD Éducation, de la CGT Éduc’action ou des CNT. Et si c’était le bon moment pour bousculer les vieux réflexes corporatistes du monde enseignant et aller vers le « toutes et tous ensemble » ?

Dadou (UCL Clermont-Ferrand) et Hugo (UCL Rennes)

 
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