Brésil

Analyse du premier tour des élections présidentielles au Brésil de 2022




Le texte qui suit vise à saisir les premières impressions entre la fin du premier tour des élections de 2002 - pour la présidence dans ce cas - et l’arc des alliances qui ont été annoncées dans les sept à dix jours qui ont suivi l’annonce du second tour. À des fins historiques uniquement, il convient de rappeler que Lula a obtenu environ 48,43 % des votes valides et Bolsonaro 43,20 %, avec une moyenne inférieure de votes nuls et blancs et une abstention qui se maintient autour des 20 %.

Quelques observations :

Tout d’abord il faut savoir qu’une partie de l’électorat évangélique ne répond pas aux enquêtes. Pour pallier à ce manque d’informations, il est nécessaire de disposer d’une série d’instruments de recherche comportant des questions indirectes et de consacrer plus de temps aux entretiens en présentiel.Ensuite via des enquêtes plus coûteuses, amplifiées par le fait qu’il existe une dizaine d’« instituts » de recherche et aussi par le risque de pénalisations si le résultat s’avère très mauvais. Cette menace émane du chef du gouvernement Bolsonaro, ainsi que par le député fédéral du Parana Ricardo Barros (PP-PR), qui a été réélu.

En conséquence ce n’est pas seulement l’extrême droite qui progresse de manière consolidée dans divers groupes sociaux il y a également la volonté de prêcher un système où, de fait, un ensemble de pouvoirs n’est plus hégémonique. Par exemple, des groupes de médias qui ne soutiennent pas le gouvernement. Ce que Trump a fait aux États-Unis avec la CNN et la MSNBC, Bolsonaro l’a fait avec Globo, qui possède la moitié des audiences du Brésil. Les instituts de recherche connaissent la même situation. La Cour suprême idem.

Dans cette idée de guerre idéologique qui se joint au pire de ce que peut faire le pays, même avec l’exposition vexatoire du gouvernement Bolsonaro due à la pandémie, il y a environ 45% de la population du Brésil qui soutient quoi qu’il arrive les effets de ce qu’ils perçoivent être le gouvernement du Trumpisme tropical.

A partir de là pour rétablir la social-démocratie au pouvoir, ce sera la réédition du barrage lors de la campagne des élections directes qui a eu lieu le premier semestre de 1984, durant la dernière année de la dictature militaire. Les positions des autres partis de centre-droit (MDB, PSDB, PSD) et de droite (União Brasil) vont s’ajouter, « se débarrassant » de leur base et de leurs dirigeants pour rechercher le soutien le plus pertinent en fonction de leurs intérêts personnels.

Analysons Simone Tebet (MDB), troisième des éléctions, soutient Lula et exige une alliance programmatique. Le PDT aussi, à contrecœur et dans le cadre de la discipline de partis, Ciro Gomes (4e place) a réalisé une vidéo sans citer de « soutien » et sans dire qui il soutient. Or, le vice-candidat, Geraldo Alckmin, est la porte d’entrée vers la reprise du statu quo, s’il gagne dans les urnes et surmonte la terreur cybernétique et patronale qui frappe le Brésil.

Il ne s’agit pas d’une alliance avec un oligarque corrompu, comme dans le cas de l’ancien président golpiste Michel Temer (celui qui a renversé Dilma Rousseff en avril 2016). Il ne s’agit pas non plus d’une alliance capital-travail comme ce fut le cas avec José de Alencar (propriétaire d’industries, vice-président de Lula en 2002 et 2006).

Il s’agit d’une alliance politique qui sauve le libéralisme démocratique, en essayant de rejoindre le concept du post-néolibéralisme : le contrôle des finances publiques sans enlever le matelas de la protection sociale. C’est plus intéressant que ce que propose le bolsonarisme, mais en termes de projection de l’économie politique brésilienne, ça passe à peine. En termes de conflit distributif et d’antagonisme de classe, c’est passable. Sans lutte sociale, uniquement la défense de la république et de ses institutions. Toute similitude avec l’impact de la politique intérieure américaine n’est pas une coïncidence.

Un autre fait de comparaison est avec le grand pays voisin. Aujourd’hui, en 2022, il ne s’agit pas, littéralement, d’une candidature de gauche. C’est très similaire à l’Argentine, où pour gagner des voix à droite (Juntos por el Cambio) Alberto Fernández (Frente de Todos) a eu Cristina Kirchner comme vice-présidente et le soutien des deux autres prétendants, Daniel Scioli et Sergio Massa.

Ce dernier qui est le pouvoir de facto en Argentine après juillet 2023 (l’ancien président de la Chambre des députés qui a gagné des pouvoirs en tant que super ministre) qui bien qu’il ait l’empreinte péroniste vient d’un milieu néolibéral dans le groupe d’Alvaro Alsogaray. Scioli, en revanche, était très proche de Menem dans les années 90, plus que Cristina elle-même.

Pour sa part, Alberto Fernández était issu de l’Union civique radicale (UCR), très proche de l’ancien président Raúl Alfonsin. En d’autres termes, l’actuel « péronisme de gauche » (qui n’est pas de gauche, il est de centre-gauche comme la ligne Kirchnériste et d’autres groupements) qui aurait une similitude avec la social-démocratie va faire cette méga fusion pour restaurer le barrage des élections directs.

C’est que depuis 2015, la droite brésilienne est hégémoniquement d’extrême droite. Et ils jouent à la limite de ce que les règles du jeu démocratique libéral permettent. Et comme ils ont le radicalisme, ils continuent à tendre la corde, ils continuent à tendre les règles. Par exemple, le droit à la propriété, en relation avec le droit à la propriété collective des terres indigènes et ancestrales.

Le droit à la vie, avec le droit à la légitime défense et le droit à la défense des biens. Avec la militarisation de la société, la militarisation de la politique, l’emploi de la para-police. Et avec cette absorption de l’extrême droite qui fait le bouillon de la culture du trumpisme, aligné sur les pentecôtistes et les néo-pentecôtistes ou encore la radicalisation à droite des groupes protestants traditionnels.

La question sous-jacente est d’avoir une société policée pour défendre la propriété et les biens, mais pas pour endiguer la criminalité d’élite. Elle remet en cause les pouvoirs de facto de cet agenda libéral progressiste, dans le cas des mœurs identitaires. Et un alignement international très absurde, sans aucune rigueur, quand Bolsonaro emballe toutes les nuances du centre-gauche latino-américaine, les met dans le même pot commun et leur donne un quelconque sens. Surtout quand ils ne peuvent plus compter sur la bénédiction des États-Unis.

Trump et Bannon soutiennent mais la Maison Blanche et l’État profond nord-américain ne le font pas. Le fossoyeur du pays cite et critique sans vergogne, comme s’il s’agissait d’un seul bloc, les gouvernements d’Argentine, du Chili, du Pérou, de Colombie, du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba ! L’ignorance et la désinformation sont de la taille de la mauvaise foi de son conseil international ou quelque chose de similaire.

En ce qui concerne la campagne du second tour, dès la première semaine, Bolsonaro a établi une alliance avec les gouverneurs d’État réélus. Telle est la question centrale. Quel est l’éventuel transfert de voix du gouverneur de l’État de Minas Gerais, l’ultralibéral Romeu Zema. Car on pensait que Lula aurait 10 points d’avance dans le Minas Gerais (deuxième groupe électoral du pays) et ce n’est pas le cas, il n’a que quelques points d’avance.

Et qu’il y avait une égalité technique prévue pour le candidat du PT, Fernando Haddad pour le gouvernement de l’État de São Paulo, mais le social-démocrate a perdu de huit points face à Tarsicio de Freitas, candidat de l’extrême droite. Il est important de rappeler que São Paulo compte plus de 40 millions d’habitants et représente 40 % du PIB national. Les sondages étaient donc très faux, ce qui accroît la rébellion de la droite contre la science et les médias.

Nous sommes dans un moment paradoxal. Toute forme de rigueur à laquelle nous étions habitués en tant que pays provenant de l’ouverture lente, graduelle et sans restriction après la fin de la dictature a échoué. Cette alliance des oligarques de droite et de centre-droit, quand les pires du pays acceptent tous ensemble de jouer les règles du jeu démocratique et d’accorder des droits sociaux, à condition qu’au final la condition leur soit favorable, c’est fini.

L’agenda régressif du Congrès existe depuis l’époque du récemment libéré Eduardo Cunha, manœuvrant la « House of Cunha » dans la chambre des députés en essayant d’échapper à son procès en cassation. Aujourd’hui, au lendemain d’avoir été lavé de tout soupçon, Cunha se trouve sur la même estrade que l’ancien juge et ancien ministre de Bolsonaro, Sergio Moro (élu sénateur du Paraná, dans União Brasil) et l’ancien procureur fédéral de la « république de Curitiba », Deltan Dallagnol (élu député fédéral de Podemos paranaense).

Enfin, nous devons comprendre qu’il y a un taux d’abstention de 20%. C’est la moyenne nationale. Et Bolsonaro, dans sa stupidité, est un grand expert. Quand il a vu Globo TV faire campagne pour le vote des jeunes, de 16 à 18 ans, il a compris que c’était une réserve de voix pour la gauche, il parle que « la jeunesse est rebelle, elle veut un changement rapide », etc. Encore une fois, c’est la logique du Trumpisme. Plus de votes là où il y a moins de dépenses et d’engagement pour la mobilisation des ressources.

Le jeu de l’abstention est la même situation. Bientôt, elle reproduira aussi une logique américaine, celle de la réserve électorale. Comment Biden a-t-il pu les élections ? Avec les votes de la Géorgie. Et il a gagné parce qu’il avait un groupe de démocrates de la section afro-américaine noire du parti démocrate - dirigé par l’ancienne représentante de l’État Stacey Abrams - qui a réussi à inscrire près d’un million d’électeurs et d’électrices.

La question est de savoir qui a le contact avec les couches qui sont abstentionnistes ? L’ensemble de la gauche et du centre-gauche, à l’inverse des milieux pentecôtistes évangéliques, y a perdu nettement son insertion sociale et il sera très difficile d’inverser la tendance.

D’autre part, les coûts de mobilisation de l’extrême droite sont faciles, il suffit de se rendre à un rassemblement de motos avec un réservoir plein, de klaxonner, de porter un maillot jaune ou celui de l’équipe nationale brésilienne.

Il ne s’agit pas d’un coût de mobilisation comme celui qui consiste à faire sortir les gens de chez eux pour aller faire une marche, marcher douze heures sans arrêt avec la pluie, le risque de la répression, les problèmes de transport et de nourriture. En d’autres termes, ce n’est pas la logique de la lutte qui mobilise ces personnes, c’est un autre type de logique.

Autre manœuvre de la dernière semaine de septembre, le comportement du troupeau : à l’issue du premier tour des élections, on a assisté à une « vague jaune d’extrême droite ». Si nous voyons la massification des actes sur Tweeter, nous pouvons voir que les protofascistes ont gagné les rues, la reprise de cet espace public par la gauche sera très difficile. Même si la social-démocratie gagne dans les urnes.

Bruno Lima Rocha, politologue, journaliste et professeur de relations internationales (Institut de Théorie et d’Histoire Anarchistes, ITHA)

 
☰ Accès rapide
Retour en haut