Syndicalisme

Belgique : Le collectif La santé en lutte bouscule la bureaucratie syndicale




Mai 2021, en pleine troisième vague de la pandémie, le collectif La santé en lutte organisait une journée d’action dans plus d’une dizaine de villes d’Europe, à partir d’un manifeste en 10 langues signé par plus de 60 collectifs et syndicats. Retour sur un mouvement dans lequel s’activent les communistes libertaires de Bruxelles.

En mars 2019, à Bruxelles, les urgences et les soins intensifs du CHU Brugmann (hôpital public) ont fait grève pour contester leurs nouveaux horaires. Le mouvement a pris comme une traînée de poudre en Belgique francophone pour s’élever contre le manque de personnel, le sous-financement, les bas salaires. Pour beaucoup de soignantes, c’était la première lutte.

Pour unir les différents secteurs de la santé, les travailleurs et travailleuses du secteur public, soutenues par un syndicat des plus combatifs, la CGSP-ALR (services publics bruxellois), ont décidé d’élargir leur combat et de créer des assemblées générales régulières où ont été invitées les ­collègues du secteur privé, mais également les usagers et usagères de soins. Ainsi est né le collectif La santé en lutte.

En rupture avec le syndicalisme de services

De mois en mois, des revendications se sont dessinées et des principes ont émergé. L’autogestion a été actée dès le départ, le fonctionnement se veut démocratique et la lutte interprofessionnelle et directe. Ce faisant, La santé en lutte se démarque nettement du syndicalisme de services, le modèle dominant en Belgique, qui laisse peu d’espace à la démocratie interne et encore moins à un possible combat révolutionnaire. Mené directement par la base, le collectif La santé en lutte a ainsi permis d’organiser les travailleurs et ­travailleuses de la santé, syndiquées ou non.

Un des premiers succès a été la réappropriation de notre propre récit : celui de salariées du secteur de la santé, et la mise à jour d’un vécu commun là où, systématiquement, le capitalisme renvoie vers nos individualités, faisant de la souffrance au travail un problème personnel. Grâce à la publication régulière, sur les réseaux sociaux, de témoignages de soignantes et d’analyses qui démontaient la propagande étatique, La santé en lutte est devenue, durant la première vague de Covid, la caisse de résonance de la base, en rendant une part de sa légitimité au vécu de terrain. Cela a permis de mobiliser largement pour sa première manifestation (7 000 personnes), le 13 septembre 2020.

Et la directrice fut virée

En parallèle de la mobilisation et de l’agitation, un travail d’organisation s’est développé. Suite à la première manifestation de septembre 2020, nous avons été contactées par des travailleuses d’une maison de repos bruxelloise. Elles subissaient un harcèlement quotidien de la part de leur direction, avec des licenciements abusifs, des menaces et intimidations, la flexibilisation des équipes, l’externalisation des services et une augmentation de la productivité. Ces travailleuses revendiquaient le licenciement pur et simple de la directrice qui faisait régner ce climat nauséabond.

S’inspirant de techniques des IWW (syndicat révolutionnaire états-unien), nous les avons soutenues et mis ensemble une pression croissante sur le conseil d’administration : publication de témoignages, remise en main propre, et en groupe, des revendications au domicile du président, collages dans le quartier, campagne massive d’envois de mail, tractages et mobilisation devant la maison de repos pour impliquer le quartier... Après six mois de lutte, c’était la victoire : le conseil d’administration a plié et mis la directrice à la porte.

Ce combat et cette victoire ont reçu un bon écho dans le secteur précarisé des maisons de repos : quelques semaines plus tard, nous avons été contactées par d’autres travailleuses qui désiraient également mener une lutte dans leur institution.
Au cours de ces mobilisations, nous n’avons pas eu pour seuls adversaires les directions d’institutions de soins. Il a aussi fallu se frotter aux résistances de certaines organisations syndicales traditionnelles, qui n’ont pas hésité à essayer de saboter la mobilisation et de diviser les travailleuses.

C’est qu’elles voient notre mouvement comme trop radical, proche de la base, et remettant en cause leur pouvoir et leurs pratiques de cogestion ; mais en réagissant de la sorte, elles perdent en légitimité et révèlent leurs limites. Avec La santé en lutte, nous voulons créer un renouveau syndical, une alternative autogestionnaire et combative face aux syndicats sociaux-démocrates.

D’autres initiatives s’en inspirent

Dans le paysage social belge, La santé en lutte a inspiré d’autres initiatives similaires en dehors du carcan syndical traditionnel : Travail social en lutte, École en lutte, Jeunesse en lutte... En plus des perspectives internationales, ces initiatives belges nous permettent de tisser des solidarités intersectorielles, de créer un réseau et de renforcer notre camp social.

« Enlutte/In Actie », un logo en français et flamand arboré par des milliers de personnes lors d’une manif mémorable en septembre 2020.

Depuis plus de deux ans, La santé en lutte réussit à rassembler les plus déterminées, à bousculer l’agenda social et à inspirer d’autres secteurs. Cela en s’organisant à la base avec les plus précaires, en croisant les enjeux capitalistes, racistes et patriarcaux et en développant des luttes directes portées par les premières et premiers concernées. En somme, des principes et des méthodes dans lesquels se reconnaissent les communistes libertaires.

Front syndical UCL Bruxelles, et une autre militante libertaire
https://lasanteenlutte.org
Crédit photos : La santé en lutte.


Une dimension internationale

Quelques mois après la manif initiatrice de septembre 2020, une manifestation Acte II a été organisée le 29 mai 2021, avec la volonté de se coordonner sur le plan international. Des contacts ont été pris en France (SUD-Solidaires, le Collectif inter-urgences, Collectif inter-hospitalier), en Espagne (Marea Blanca, MATS, Solidaridad Obrera), en Italie (Materia Grigia et USB), en Angleterre (Health Campaigns Together), en Roumanie (Federatia Sanitas), en Suisse (Unia), etc. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs pays européens. Suite à ce travail de coordination, une plateforme internationale s’est construite, avec un meeting prévu pour l’automne 2021.

 
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