écologie

L’aire ne sera pas plus verte ailleurs




Dans le Puy-de-Dôme, près d’Issoire, un projet d’aire d’autoroute « écoresponsable » a vu le jour fin 2020 et se met en place à toute vitesse, porté par le fond de dotation Landestini. Ce projet menace cinq hectares de terres d’artificialisation alors que les agricultrices et agriculteurs locaux peinent à trouver des terres cultivables sous la pression foncière.

Quelques chèvres pour partager un pique-nique ; des animations nature pour les enfants ; un restaurant avec des produits locaux ; un verger, un potager, une ferme pédagogique. Tout se présente comme un havre de biodiversité dans ce projet d’aire d’autoroute « écoresponsable ». Un exemple rondement mené de greenwashing (verdissement d’image). Le « blabla durable du communiquant minable » [1]

Le projet se situe à l’entrée d’Issoire dans le Puy-de-Dôme, sur un terrain appartenant à l’agglomération du Pays d’Issoire. Cinq hectares en bord de Couze où, il y a vingt ans, une casse automobile a occupé une petite partie de la parcelle, avant que des militaires ne s’y exercent. Depuis plusieurs années, une partie du terrain est en friche tandis qu’une autre sert de prairie de fauche. C’est une petite épine pour l’agglomération d’Issoire : un terrain qui ne sert à rien ce n’est pas bien. Exister en tant qu’espace riche en biodiversité à l’entrée de la ville n’est apparemment pas suffisant.

Puis, en fin d’année 2020, Bertrand Barraud, élu LR et président de la communauté de commune d’Issoire est démarché par le fond de dotation Landestini pour un projet « d’aire de repos écoresponsable ».

À fond la caisse

Séduit par ce projet, le maire lance rapidement un appel d’offre, pendant les fêtes de fin d’année. Un moyen d’assurer un faible nombre d’autres candidatures  ? Puis le travail de commission de la communauté de communes, lui, est piétiné. Les élues ne sont que peu informés alors que, dès le mois de mars, la presse annonce le lancement du projet Landestini Issoire.

Une telle rapidité, peu démocratique, s’explique en grande partie par les liens médiatiques, politiques et financiers entretenus par les fondateurs de Landestini. D’une part, Fanny Agostini qui a obtenu une certaine renommée médiatique après avoir animé la météo sur BFM puis l’émission Thalassa sur France 3. De l’autre, Henri Landes, ancien directeur général de la fondation GoodPlanet présidée par Yann-Arthus Bertrand, qui fut également chargé de mission « transition énergétique » auprès de Claude Bartolone, alors président PS de l’Assemblée nationale.

Tous deux appartiennent à la classe dominante et ont tissé de forts liens avec les entreprises et les politiciens. Le comité de pilotage du projet Landestini Issoire est ainsi constitué du directeur et de la coordinatrice développement durable de Bouygues, d’un conseiller d’Anne Hidalgo, d’attachées parlementaires PS et d’Antoine Levasseur, directeur général délégué de Free. En habile communicant, Landestini a aussi intégré à ce comité des cautions vertes et locales : Marc Dufumier, agronome, Wazoo, un groupe de folk auvergnat (aux paroles bien sexistes par ailleurs), et des éleveuses et éleveurs locaux…

Terres en danger

Un tel casting n’inspire pas confiance. Ce fonds de dotation, une organisation à but non lucratif créée en 2019 pour « reconnecter l’humain à la nature », rassemble-t-il des capitalistes rongés de culpabilité par la crise écologique et qui cherchent une issue avec les outils de leur monde  ? De bons communicants qui ont trouvé un créneau professionnel  ? Ou des multinationales pressées de se racheter une image, voire même de racheter des crédits carbone  [2] ?

Fer de lance de la croissance « verte », Landestini est le parfait exemple de ce qu’est l’écologie des classes dominantes  : une ferme pédagogique en Haute-Loire, la coupe de France du potager, le développement de startups environnementales... S’enchaînent ainsi sur leur site internet les vidéos d’enfants qui jardinent et de chèvres, puis celles d’un financier luxembourgeois ou d’un conseiller de BNP Paribas.

Mais ce sont bien les conséquences concrètes de ce projet qui inquiètent. Faut-il rappeler qu’on bétonne en France l’équivalent d’un département tous les 7 à 10 ans  ?  [3] Ceci au détriment des terres agricoles et naturelles comme ici aux portes d’Issoire.

Prairies, talus et bosquets, en bord de rivière, que Landestini destine à l’artificialisation. Pas moins de 5000m2 de bâtiments sont prévus  : boutique, restaurant, bureaux... Des chambres ont également été évoquées, auxquelles s’ajoutent le parking et les voies d’accès dont la surface n’est pas précisée.

En admettant qu’il soit nécessaire de réduire la biodiversité des lieux, autant le faire pour répondre à de réels besoins humains. En petite Limagne, plaine céréalière fertile, le foncier est devenu une denrée rare et les personnes souhaitant s’installer en agriculture peinent à trouver un lopin de terre. Elles rêveraient de se voir offrir l’opportunité de produire à deux pas d’un bassin de consommation.

L’enjeu est aussi l’autonomie productive de la région. Si les agriculteurs et agricultrices du bassin d’Issoire produisent des céréales dans la plaine, du lait et de la viande sur les hauteurs, il existe un réel manque de production en fruits et légumes.

Cette écologie de façade amène le paradoxe suivant : les habitant-es d’Issoire et des environs veulent manger des fruits et légumes locaux ; les personnes souhaitant s’installer en agriculture veulent produire des fruits et légumes ; mais les gouvernants locaux font le choix de bétonner pour « faire de l’éducation à l’environnement » !

Le groupe UCL Livradois, composé d’agricultrices et agriculteurs et de personnes travaillant avec des produits locaux a été particulièrement choqué par ce projet. Son lancement coïncide avec l’appel aux Soulèvements de la terre [4]. Celui-ci concerne nos voisines de Haute-Loire avec le projet de détournement de la RN88, mais aussi de nombreux autres projets de routes, carrières, usines.

Nous avons donc décidé de contacter les organisations signataires de l’appel ainsi que d’autres associations locales afin d’en apprendre plus sur le projet et de mettre sur pied un début de résistance.

Une première réunion au mois de juillet a permis d’échanger des informations, d’explorer des pistes de lutte. Une seconde devrait avoir lieu au mois de septembre afin de se rendre sur les lieux et de voir si nous sommes en capacité d’entamer un bras de fer avec Landestini.

Eric (UCL Livradois)

[2Toute expertise sur le sujet est la bienvenue, merci de nous contacter : ucl-livradois@communisteslibertaires.org.

[4Les soulèvements de la Terre est un appel à lutter contre toute bétonisation, voir Lessoulevementsdelaterre.org.

 
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