Culture

Lire : Interview de Loth (auteur de Viva l’anarchie) : « Sept ans de travail, de l’idée à la BD »




Dans « Viva l’anarchie », Bruno Loth retrace les principaux événements qui ont marqué la vie des deux anarchistes Buenaventura Durruti et Nestor Makhno qui ont en commun d’avoir réussi à mettre en pratique l’anarchie le premier en Catalogne, le second en Ukraine.

Alternative libertaire :
Quelles ont été à toi et ton frère les motivations qui vous ont poussé à faire une BD sur Nestor Makhno et Buenaventura Durruti ?

Bruno Loth : Pour ma part, depuis de nombreuses années, je m’intéresse à la guerre d’Espagne et en particulier au mouvement anarchiste, j’ai d’ailleurs réalisé plusieurs BD sur le sujet… Durruti m’a particulièrement touché par son caractère pur et son dévouement à la cause libertaire. Puis de lecture en lecture j’ai découvert un autre anarchiste tout aussi fascinant  : Makhno, qui mena une révolution libertaire en Ukraine en 1917. Quand j’ai appris que ces deux personnages s’étaient rencontrés par l’entremise de Louis Lecoin en 1927, je me suis lancé dans l’écriture d’un scénario BD.

La rencontre entre Makhno et Duruti, à Paris, en juillet 1927, à laquelle vous faîtes allusion a-t-elle bien eu lieu ?

Oui, cette rencontre a effectivement eu lieu avec tous les personnages qui sont cités dans la BD. Il y a quelques lignes à ce sujet dans les Mémoires de Makhno, dans celles de Lecoin également, Ascaso en parle dans un article de presse. Abel Paz l’évoque aussi dans sa bio sur Durruti.Il y a très peu de choses retranscrites de ce qu’il s’est réellement dit ce jour-là, mais un travail minutieux sur chacun des sept protagonistes m’a permis de les faire discuter entre eux tout en respectant le point de vu de chacun ou chacune.

Le travail que vous avez accompli est très documenté ! Sur quelles archives avez-vous travaillé et comment vous en êtes-vous inspiré pour accomplir en deux tomes, l’histoire de ces deux grandes figures du mouvement libertaire ?

Je connaissais déjà les personnages pour les avoir croisés dans plusieurs livres sur l’anarchie, j’ai recherché des documents dans la presse de l’époque. C’était vaste et ça m’a demandé plusieurs années de prises de notes avant de commencer proprement dit le scénario. Il m’a fallu un temps long pour recueillir et lire tous les documents dont j’avais besoin, les vérifier et recouper les informations… En tout, depuis l’idée de raconter en BD cette rencontre historique, jusqu’à la finalisation du scénario, il s’est écoulé sept ans.

L’idéologie libertaire et la mise en pratique de leurs idées s’expriment de façon équilibrée dans votre récit. Comment avez-vous construit le scénario ?

Il y a eu de nombreuses versions. Au début, comme avec un jeu de Lego, j’avais des morceaux d’aventures concernant les deux personnages principaux, comme des briques que je pouvais déplacer. L’intention était de ne jamais oublier le lecteur, de ne pas le perdre dans ce qui pouvait ressembler très vite à un labyrinthe. Il fallait aussi laisser une place aux autres personnages qui avaient également des choses intéressantes à exprimer. Il était important de montrer leurs différentes visions de l’anarchie, à propos de la violence par exemple. Peut-on la justifier  ? Ou sur l’éducation  : comment l’aborder. J’ai fait appel également à des copains anars pour lire mes diverses versions. J’espère que je ne leur ai pas donné de mal de tête à force de lire et relire  ! Les critiques ont été bienveillantes et constructives. Au bout du compte il a fallu faire un choix définitif… et commencer le dessin.

Parmi les autres protagonistes de la BD, Galina et Yelena, respectivement la compagne et la fille de Makhno, sont très présentes dans tout le récit. Où avez-vous puisé toutes ces informations à propos d’elles deux qui les amènent jusqu’à leur détention sous la Russie stalinienne ?

Il est certain que pour chaque personnage secondaire j’ai eu beaucoup de mal à trouver des informations, encore plus pour les trois femmes qui sont souvent considérées comme «  femme de  » dans les documents historiques. Il se trouve que les trois femmes réunies dans cette BD ont aussi eu des aventures et notamment Galina qui s’est battue pour donner une éducation aux enfants ukrainiens, mais a combattu également les armes à la main et a pris des risques considérables en passant les lignes ennemies dans des missions d’espionnage ou pour rencontrer Emma Goldman en plein territoire Bolchevik risquant le peloton d’exécution. Il a fallu que je me transforme en rat archiviste, mais j’adore ça  ! Et comme dans une enquête policière, quelques fois par instinct, j’ai du tirer les fils de l’écheveau pour reconstituer plus ou moins une partie de son histoire, et éviter les pièges des fausses informations.

Peut-être un nouveau projet de BD en tête, en référence au mouvement libertaire ?

Depuis qu’on a fini Viva l’anarchie !, on a réalisé une autre BD avec une scénariste, Flore Talamon, et toujours Corentin aux couleurs, sur Les Lanceurs d’alertes qui sortira en octobre… C’est pas vraiment en référence avec le mouvement, mais je crois que ça peut intéresser tout anarchiste, puisque c’est une BD reportage sur dix lanceuses et lanceurs d’alertes, des récits qui critiquent et dénoncent la société et les entreprises capitalistes… Mais il n’y a pas vraiment d’allusion aux principes libertaires.

Propos recueillis par J.-M. Izrine (UCL Toulouse)

Bruno Loth, Viva l’anarchie !, La Boîte à bulles, 2020, 80 pages, Tome 1 et 2 : 18 et 20 euros.
 
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