Pleins feux

Covid-19 : Crise sanitaire, riposte politique




L’autoritarisme gouvernemental échouera à enrayer la pandémie. En imposant le pass sanitaire, il contraint au lieu de convaincre, ce qui est une politique à courte vue. Pour faire progresser la vaccination dans les classes populaires, il faut au contraire une incitation fondée sur des mesures sociales.

Après une première vague de coronavirus sidérante, on aurait pu espérer une remise en question du système qui a provoqué cette crise  [1]. Il n’en a rien été. Pressés de remettre sur pied l’économie capitaliste, les dirigeantes et dirigeants ont négligé les alertes scientifiques concernant des rebonds épidémiques. Et les perspectives de sortie de crise semblent s’éloigner.

Depuis dix-huit mois, on ne s’est jamais autant intéressé aux sciences médicales, et pourtant fausses affirmations voire théories conspirationnistes polluent les débats jusque dans le mouvement social – en partie du fait d’une communication désastreuse des pouvoirs publics, et de la légèreté avec laquelle les médias ont tendu le micro à des charlatans mégalomanes...

Rappelons quelques faits nécessaires.

Le virus SARS-CoV-2 est un agent infectieux nanométrique (1 000 fois plus petit qu’une bactérie). Après liaison à une cellule humaine, il libère son matériel génétique à l’intérieur de celle-ci puis utilise la machinerie cellulaire afin de se dupliquer, libérant ainsi de nouveaux virus appelés virions. Face à cette menace, notre corps produit un grand nombre de molécules pour détruire le virus. Parfois, la réaction s’emballe et déclenche un syndrome hyper-inflammatoire. Les conséquences peuvent être dangereuses  : ce sont les cas graves admis à l’hôpital  [2].

Actuellement, il n’existe pas de traitement antiviral efficace, on ne sait que soulager les symptômes. Il faut donc apprendre à notre corps à se défendre lui-même contre le virus  : c’est le principe du vaccin.

Le vaccin à ARN messager est issu de recherches en cours depuis les années 1990. Son principe repose sur l’utilisation de la machinerie cellulaire pour produire une protéine spécifique. Au lieu de donner le mode d’emploi du virus complet à cette petite usine, l’ARN messager choisi permet à nos cellules de fabriquer uniquement la protéine S du SARS-CoV-2, présente à la surface du virus. Le vaccin entraîne donc notre système immunitaire à reconnaître cette protéine, induisant une résistance à l’infection et une réponse immunitaire plus adaptée, réduisant fortement le risque de faire un syndrome hyper-inflammatoire.

On appelle « machinerie cellulaire » l’usine à protéines de nos cellules. Elle utilise des modes d’emploi (des ARN messagers) qui sont des copies de morceaux d’ADN présents dans le noyau de nos cellules  [3]. Ces ARN messagers ne peuvent entrer dans le noyau et modifier notre ADN. Fragiles, ils disparaissent rapidement après leur utilisation.

Le développement des vaccins contre le SARS-CoV-2 a été particulièrement rapide pour plusieurs raisons :

  • des moyens humains et financiers considérables ont été investis partout à travers le monde ;
  • les phases de tests ont été déployées en parallèle et non pas les unes à la suite des autres, et passées avec succès (nous ne sommes pas des « cobayes »…) ;
  • il a été facile de trouver une masse de personnes infectées pour faire les tests (c’est le seul avantage d’une pandémie) ;
  • il n’y a pas eu de temps perdu en marketing, packaging, etc.

Cette prouesse scientifique n’est ni magique ni suspecte. Elle démontre la capacité à résoudre des problèmes complexes lorsque du temps et de l’argent y sont mis. L’inverse de ce que fait l’État quand il démolit les services publics.

L’enjeu global d’une vaccination générale

Alors pourquoi a-t-on eu une quatrième vague, alors que de plus en plus de personnes étaient vaccinées ? Parce que les virus, comme n’importe quel organisme, subissent la sélection naturelle. Ils ont intérêt, pour survivre, à devenir plus contagieux, à ne pas tuer trop vite leur porteuse ou leur porteur (pour qu’il ait le temps de le transmettre) et à résister à ce qui peut gêner leur croissance.

Plus la campagne de vaccination traîne en longueur, plus le virus risque de muter jusqu’à un variant résistant au vaccin (par exemple une protéine S un peu différente). L’urgence à vacciner concerne donc bien le monde entier. Une Europe immunisée n’empêcherait pas l’éclosion, dans les pays moins favorisés, de variants qui provoqueraient de nouvelles vagues dans les pays riches. Davantage qu’une question « humanitaire », la vaccination générale et internationale relève de la sécurité collective. Elle est aujourd’hui entravée par les brevets, la loi du marché, les égoïsmes étatiques et les rivalités géopolitiques.

Protestation et confusion

Les annonces d’Emmanuel Macron le 12 juillet sur le pass sanitaire et les sanctions qui y sont liées ont provoqué de vives protestations de rue. En maints endroits, l’extrême droite et la mouvance conspirationniste y tenaient le haut du pavé. Cependant, la population révoltée par le pass sanitaire était bien plus large que celle des noyaux antivax fascistoïdes. Les groupes UCL qui sont intervenus dans certaines manifestations l’ont fait avec un discours pro-vaccinal très clair.

Des alternatives au pass sanitaire

La gestion sécuritaire de cette pandémie va en s’aggravant [4]. Davantage que convaincre, l’État veut contraindre une fraction de la population devenue défiante à force d’ordres et de contre-ordres. Mais il faut être clair : les mesures court-termistes et autoritaires échoueront. Le risque est élevé de braquer dans une posture antivax une fraction de la population qui n’est, au départ, que méfiante ou hésitante.

Pour être pertinente, une stratégie vaccinale doit être incitative et fondée sur la réalité sociale. Par exemple  :

  • Pas de pass sanitaire, une mesure discriminatoire qui donne des armes au patronat ;
  • pour le renforcement de la campagne vaccinale avec des moyens humains et matériels, et la diffusion d’informations claires sur ce geste médical  [5] ;
  • Pour une incitation concrète à se faire vacciner : un jour de congé pour chaque dose aux salariées, y compris pour la vaccination de leur(s) enfant(s) ; une incitation monétaire équivalente pour les privées d’emploi, les sans-logis, les sans-papiers, etc.

Autant de mesures simples et d’un coût minime en comparaison de ce qu’a coûté le « chômage partiel »…

  • Pour l’abrogation des brevets sur les vaccins anti-Covid, fruits d’une recherche largement financée par de l’argent public, afin d’étendre la production dans le monde entier ;
  • Pour la socialisation de l’industrie pharmaceutique, un secteur vital et d’utilité publique pour la société et l’humanité. Il n’est pas tolérable que ce domaine stratégique obéisse à des logiques de recherche de profits rapides. Tant qu’il subsistera un intérêt autre que celui du plus grand nombre, la défiance de la population sera légitime ;
  • Pour un service public de la santé unifié, déployé sur l’ensemble des territoires, renforcé par la socialisation des cliniques privées. Il doit être financé à la hauteur des enjeux avec une embauche, massive et urgente, de personnel.

Une quatrième vague est en cours. Si nous continuons ainsi, ce ne sera probablement pas la dernière. Du fait de la déstabilisation des écosystèmes et de la biodiversité, nous risquons des crises épidémiques de plus en plus violentes et fréquentes  [6] S’il n’existe pas de solution miracle, il y a tout de même une certitude  : nous devons sortir du capitalisme de toute urgence.

Thibaut Vulpes (UCL Grenoble)

[1Bruno Canard, «  Coronavirus  : la science ne marche pas dans l’urgence  !  », Université ouverte, 4 mars 2020.

[2Inserm, «  Coronavirus et Covid-19 : Du simple rhume au syndrome respiratoire aigu sévère  », état des connaissances au 28 mai 2021.

[3Inserm, «  Secret de fabrication  : C’est quoi un ARN messager  ?  », 10 décembre 2020.

[4Félix Tréguer, «  Urgence sanitaire, réponse sécuritaire  », Le Monde diplomatique, mai 2020.

[5Christian Lehmann, «  Et maintenant, ne pas rater l’étape du vaccin », Libération, 23 novembre 2020.

[6« Échapper à l’“ère des pandémies”. Les experts mettent
en garde contre de pires crises à venir », rapport de l’IPBES, 2020

 
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