Ecologie. Entretien.

Lutte contre le périphérique de Montpellier : « on dérange, et il faut continuer à déranger »




Depuis l’automne dernier, une galaxie de militantes écologistes, autonomes, zadistes, libertaires et riveraines construisent ensemble une lutte contre la construction d’un périphérique au nord de Montpellier. Rencontre avec deux d’entre elles et eux.

Alternative libertaire  : Le Département de l’Hérault a entamé le déboisement de collines au nord de Montpellier, première étape du dernier tronçon de la liaison intercantonale d’évitement nord (LIEN). Mais de quoi cette route est-elle le nom  ?

Anna  : C’est un périph, une liaison autoroutière entre l’A9 et l’A75. Le Département la présente comme une petite route qui va désenclaver des villages et résoudre les embouteillages. Il s’agit en réalité d’un énorme projet routier, qui va d’une part détruire 115 espèces protégées et 28 hectares de zones naturelles très riches en biodiversité, et d’autre part ouvrir la voie à énormément d’infrastructures  : un minimum de 70 hectares de zones d’activités commerciales (ZAC) et l’ouverture d’une carrière Lafarge, qui vont polluer trois sources d’eau dans une région où l’eau potable est un enjeu majeur.

Cette route n’a rien d’un besoin pour les gens qui vont bosser le matin. Il s’agit en fait d’un accaparement des terres communes et des ressources publiques pour des intérêts privés  : pour Lafarge, pour les ZAC, pour les liaisons autoroutières entre Espagne et Allemagne. C’est ce petit bout de route qui rend les autres projets possibles. L’empêcher nous évite de nombreuses luttes futures.

Etienne : On vend aux gens qu’ils pourront aller plus vite au boulot, mais c’est un problème de devoir y aller vite  ! Le confort de vie, ce serait de sortir de ce modèle qui concentre tout sur les métropoles, qui nous dit «  va bosser à la ville et habite en-dehors  ». Ça rejoint la lutte des Gilets Jaunes, la question écologique est liée à la question sociale.

Cette route est aussi le symbole d’une fausse démocratie, qui ne te donne que des infos tronquées, pour que tu sois d’accord. Par exemple, le Département ne précise pas qu’il va dynamiter une colline. Quand on le dit aux gens, ils hallucinent  !

Cette route est en projet depuis les années 1980. Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui l’opposition a changé de dimension  ?

Anna : Côté riveraines, ça fait vingt-cinq ans qu’on milite con­tre cette route avec des recours juridiques et des manifs. Aujourd’hui, tous les recours sont épuisés, et certaines d’entre nous ont décidé de constituer un collectif, le SOS Oulala, pour élargir la question. En épluchant les documents officiels, les études, on construit un discours qui démonte leurs arguments, on sensibilise la population pour inverser le rapport de force. On est passés d’une lutte réglementaire à une lutte politique. Car ce n’est pas parce qu’ils ont le droit de faire cette route que c’est juste, éthique et légitime.

Elargir le mot d’ordre de «  pas de route chez nous  » à «  pas de route du tout, pas de ZAC, pas de gentrification des campagnes  », pointer que ce n’est pas un problème local mais une question globale a permis d’opérer une convergence avec des militantes écologistes, puis d’autres. Et il y a eu, en octobre, un début de ZAD, avec l’occupation d’une maison sur le tracé de la route.

Etienne : Cette maison était la dernière bâtisse existante sur le futur tracé. On a décidé de l’occuper rapidement, parce qu’on s’attendait à ce qu’elle soit vite détruite. Plein d’individus et différentes organisations (Extinction Rebellion, ANV-Cop21, Greenpeace…) ont participé à cette occupation, des gens très différents réunis sur une lutte commune qui avait du sens. Il se passait quelque chose et on y croyait. C’était jouissif de s’opposer à quelque chose qui nous révolte tout en créant en même temps le monde qu’on veut voir. C’est la lutte la plus belle : tu luttes pour et contre.

Le projet routier va détruire 28 hectares de zones naturelles pour bâtir encore des zones commerciales et ouvrir une carrière Lafarge, polluant trois sources d’eau. Les riveraines et les riverains se mobilisent.
Photo : SOS OULALA

Mais, quelques jours plus tard, la maison a été expulsée…

Etienne : À 6h du mat’, un commando de gendarmes armés de fusils d’assauts est venu nous expulser. C’était absurde, et en plus illégal, puisqu’ils n’avaient pas d’avis d’expulsion. La maison a été rasée dans l’heure et les gens qui étaient là accusés d’obstruction à un chantier public.

Anna : Dans la foulée de l’expulsion, le département a distribué un 4-pages dans toutes les boites aux lettres de Montpellier pour démonter nos arguments. Depuis, ils font un article par semaine dans les journaux pour expliquer à quel point ils sont écolos, vanter leur nouveau bitume en résine de pin... Notre occupation leur a mis la pression.

Après l’expulsion, comment la lutte s’est-elle réorganisée ?

Etienne  : L’occupation de la maison a impulsé la création d’un collectif informel [1], toujours actif, d’individus d’horizons politiques différents qui s’organisent pour protéger la zone à défendre. L’expulsion a été un coup dur, et il a fallu d’urgence trouver de nouveaux lieux pour se réunir, parce que sans réunion, pas de lutte. Elle nous a aussi fait prendre conscience qu’on n’était pas assez forts. Alors on s’est donné comme objectif de tisser du réseau. On a organisé des rencontres avec nos copaines des luttes intersquat, avec des artistes, des Gilets Jaunes, un collectif contre les violences policières, des hackers militants, des riverains... On participe aussi aux interorgas et aux manifs contre la Loi de Sécurité Globale. Un travail de réseau et de convergence pour faire grossir les forces et imaginer des actions plus importantes.

Et maintenant ?

Etienne  : On a besoin de gens qui viennent nous soutenir, comme les ZAD du Carnet et de Gonesse ont besoin de gens aujourd’hui pour contrer les expulsions. On les soutient et des gens de notre collectif sont partis là-bas. On entend plein de ZAD qui se font détruire peu de temps après s’être montées. Ça pourrait être décourageant mais ça montre en réalité qu’on dérange et qu’il faut continuer à déranger, et se mettre en lien toutes et tous.

Il n’y a pas de petites luttes, pour faire une force d’opposition globale, il nous faut plein de forces d’oppositions sur tout le territoire. C’est une lutte globale, et la nôtre s’intègre dedans. Après la convergence avec les organisations écolo, on a besoin que des militantes d’autres réseaux nous rejoignent. Et on peut les accueillir.

Propos recueillis par Romain (UCL Montpellier)

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